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Toxique affaire

Publié le 17 septembre 2016
Par Magali Clausener
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La France fait figure de modèle. Si les victimes du valproate de sodium sont reconnues dans notre pays, certains de nos voisins européens minimisent encore les risques en faisant traîner les choses. Dangereux déni.

Les autorités ne gèrent pas le problème du valproate de sodium !   », déplore Nathalie Raemdonck, présidente de l’Association belge des victimes du syndrome valproate, fondée en 2014. En Belgique, Dépakine est commercialisée depuis 1970, mais c’est en 2011 que Nathalie Raemdonck, lors de la reprise de son traitement, découvre dans la notice que les enfants peuvent être atteints de troubles autistiques. Ses deux enfants sont atteints du syndrome valproate, sans qu’elle le sache alors. «   J’interrogeais les médecins mais ils évitaient le lien. En consultant en 2001 la littérature scientifique, je me suis rendue compte qu’il y avait eu des alertes sans que les autorités n’informent les spécialistes ni ne réévaluent le médicament. Il y a trente ans d’errance et de désinformation   », déplore-t-elle.

L’inertie des autorités

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

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TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Dans son rapport sur les spécialités contenant du valproate de sodium, de janvier 2016, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) retrace la chronologie des modifications des RCP (résumé des caractéristiques du produit) et notices en Europe, notamment après que les risques de malformation, les retards de développement et les troubles autistiques aient été avérés. On est alors dans les années 2000. La Suède est la première à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine. En octobre 2002, c’est au tour du Royaume-Uni de soulever le problème et d’insister «   sur le manque d’information des patientes et la nécessité pour les prescripteurs de les tenir informées des conséquences d’une grossesse   », précise l’IGAS. Moins d’un an après, un autre rapport de la Suède, présenté au groupe de travail Pharmacovigilance de l’Agence européenne du médicament (EMA), confirme qu’il faut revoir les RCP. En février 2004, il est proposé des mentions communes dans les RCP de tous les Etats membres. Deux ans après, elles ne figurent pas dans les RCP de plusieurs pays dont la France. La situation est aussi contrastée pour les génériques de Dépakine. Une étude réalisée par l’EMA en juillet 2012 révèle que 14 des 18 pays ayant répondu, n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques. Dans 10 pays, un ou plusieurs RCP des génériques ne mentionnent pas les retards de développement. Seuls 6 Etats (dont la France) évoquent des troubles autistiques. Et il n’y a que l’Espagne qui propose «   d’améliorer l’information des patientes via la notice   ».

Minimisation des risques

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Dans son rapport sur les spécialités contenant du valproate de sodium, de janvier 2016, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) retrace la chronologie des modifications des RCP (résumé des caractéristiques du produit) et notices en Europe, notamment après que les risques de malformation, les retards de développement et les troubles autistiques aient été avérés. On est alors dans les années 2000. La Suède est la première à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine. En octobre 2002, c’est au tour du Royaume-Uni de soulever le problème et d’insister «   sur le manque d’information des patientes et la nécessité pour les prescripteurs de les tenir informées des conséquences d’une grossesse   », précise l’IGAS. Moins d’un an après, un autre rapport de la Suède, présenté au groupe de travail Pharmacovigilance de l’Agence européenne du médicament (EMA), confirme qu’il faut revoir les RCP. En février 2004, il est proposé des mentions communes dans les RCP de tous les Etats membres. Deux ans après, elles ne figurent pas dans les RCP de plusieurs pays dont la France. La situation est aussi contrastée pour les génériques de Dépakine. Une étude réalisée par l’EMA en juillet 2012 révèle que 14 des 18 pays ayant répondu, n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques. Dans 10 pays, un ou plusieurs RCP des génériques ne mentionnent pas les retards de développement. Seuls 6 Etats (dont la France) évoquent des troubles autistiques. Et il n’y a que l’Espagne qui propose «   d’améliorer l’information des patientes via la notice   ».

Minimisation des risques

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Dans son rapport sur les spécialités contenant du valproate de sodium, de janvier 2016, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) retrace la chronologie des modifications des RCP (résumé des caractéristiques du produit) et notices en Europe, notamment après que les risques de malformation, les retards de développement et les troubles autistiques aient été avérés. On est alors dans les années 2000. La Suède est la première à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine. En octobre 2002, c’est au tour du Royaume-Uni de soulever le problème et d’insister «   sur le manque d’information des patientes et la nécessité pour les prescripteurs de les tenir informées des conséquences d’une grossesse   », précise l’IGAS. Moins d’un an après, un autre rapport de la Suède, présenté au groupe de travail Pharmacovigilance de l’Agence européenne du médicament (EMA), confirme qu’il faut revoir les RCP. En février 2004, il est proposé des mentions communes dans les RCP de tous les Etats membres. Deux ans après, elles ne figurent pas dans les RCP de plusieurs pays dont la France. La situation est aussi contrastée pour les génériques de Dépakine. Une étude réalisée par l’EMA en juillet 2012 révèle que 14 des 18 pays ayant répondu, n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques. Dans 10 pays, un ou plusieurs RCP des génériques ne mentionnent pas les retards de développement. Seuls 6 Etats (dont la France) évoquent des troubles autistiques. Et il n’y a que l’Espagne qui propose «   d’améliorer l’information des patientes via la notice   ».

Minimisation des risques

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte

Dans son rapport sur les spécialités contenant du valproate de sodium, de janvier 2016, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) retrace la chronologie des modifications des RCP (résumé des caractéristiques du produit) et notices en Europe, notamment après que les risques de malformation, les retards de développement et les troubles autistiques aient été avérés. On est alors dans les années 2000. La Suède est la première à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine. En octobre 2002, c’est au tour du Royaume-Uni de soulever le problème et d’insister «   sur le manque d’information des patientes et la nécessité pour les prescripteurs de les tenir informées des conséquences d’une grossesse   », précise l’IGAS. Moins d’un an après, un autre rapport de la Suède, présenté au groupe de travail Pharmacovigilance de l’Agence européenne du médicament (EMA), confirme qu’il faut revoir les RCP. En février 2004, il est proposé des mentions communes dans les RCP de tous les Etats membres. Deux ans après, elles ne figurent pas dans les RCP de plusieurs pays dont la France. La situation est aussi contrastée pour les génériques de Dépakine. Une étude réalisée par l’EMA en juillet 2012 révèle que 14 des 18 pays ayant répondu, n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques. Dans 10 pays, un ou plusieurs RCP des génériques ne mentionnent pas les retards de développement. Seuls 6 Etats (dont la France) évoquent des troubles autistiques. Et il n’y a que l’Espagne qui propose «   d’améliorer l’information des patientes via la notice   ».

Minimisation des risques

Il faut attendre l’arbitrage de l’EMA en 2014 pour avoir des mesures de minimisation des risques. Il s’agit de renforcer les mises en garde sur l’utilisation des médicaments à base de valproate de sodium chez les femmes et les filles : mise à jour des RCP et des notices, lettre d’information aux prescripteurs sur les risques en cas de grossesse, prescription limitée aux cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Il est aussi recommandé la diffusion de documents éducatifs qui informent les prescripteurs et les patientes des risques pendant la grossesse. Il est également demandé que le traitement soit initié et supervisé par un spécialiste de l’épilepsie ou du trouble bipolaire. Les Etats membres peuvent enfin appliquer les mesures supplémentaires mises en place, entre autres, par la France – prescription par un spécialiste et formulaire de consentement du patient pour la délivrance en officine.

Qu’en est-il en 2016 ? Selon Sanofi, «   la mise en œuvre de ces mesures de limitation des risques est terminée ou en cours de finalisation en Europe   ». Certains pays ont-ils instauré des mesures supplémentaires ? Difficile de le savoir via l’EMA, celle-ci renvoyant vers chacune des autorités nationales. En Belgique, pas de mesures, selon Nathalie Raemdonck. L’apposition d’une mise en garde sur la boîte des produits à base de valproate de sodium, réalisée en France depuis début janvier, est prévue au Royaume-Uni, en Belgique et en Italie. Et selon l’ANSM, «   en discussion dans plusieurs autres Etats membres   ». Le Royaume-Uni a également demandé l’élaboration d’une « Carte Patiente » que les pharmaciens doivent remettre aux patientes en âge de procréer. Cette carte est aussi prévue en République Tchèque, Irlande, Italie, Pologne, Espagne et en discussion dans d’autres pays. Chez Sanofi, on explique que le laboratoire a «   décidé d’étendre ces nouvelles mesures de limitation des risques à tous les pays, dès leur approbation par les autorités locales   ».

Des victimes non reconnues

A combien se monte le nombre de femmes et d’enfants qui ont subi les dommages liés au valproate de sodium en Europe ? En Belgique, Nathalie Raemdonck demande – en vain – au ministère de la Santé un recensement des victimes. « Nous avons le cas d’un bébé de six mois atteint du syndrome valproate. Ce qui signifie que des femmes ne sont toujours pas informées des risques   », s’alarme-t-elle. Au Royaume-Uni, on estime qu’environ 24 000 enfants sont exposés au valproate de sodium depuis 1994. «   Les politiques ne font rien, la loi de protection des consommateurs est insuffisante, il n’y a aucune aide de l’Etat pour engager des poursuites contre l’industrie pharmaceutique   », commente Emma Friedmann, victime anglaise. Avec le déni de certaines autorités nationales, le dossier valproate est loin d’être clos en Europe. 

TROIS QUESTIONS À 

« L’EMA N’A PAS FAIT SON TRAVAIL »

Sommes-nous face à un scandale sanitaire européen ?
MICHÈLE RIVASI :La Dépakine est un scandale aussi important que le Médiator. Elle révèle des dysfonction-nements qui existent toujours : les études cliniques qui ne sont pas pertinentes lors de la demande d’AMM ; la non prise en compte des effets secondaires par les autorités sanitaires nationales ; la pharmacovigilance. L’EMA ne fait pas son travail. Elle a fait une enquête en 2012 révélant que plusieurs Etats n’avaient pas modifié les RCP. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les Etats sont responsables, Sanofi également.

Que peut faire le Parlement européen ?
M.R. :Les politiques doivent s’emparer du sujet. Je vais saisir la Commission ENVI* du Parlement européen sur la Dépakine et inviter l’EMA et Sanofi à venir s’expliquer.
Quelles seraient, selon vous, les solutions ?
M.R. :Il faut responsabiliser les médecins pour qu’ils remontent les effets secondaires. Les autorités nationales doivent être plus réactives. Il faut aussi arrêter les conflits d’intérêts : les experts, membres de l’EMA, ne doivent pas être financés par les laboratoires. Je recommande de créer un corps d’experts rémunérés par l’Etat. Enfin, les sanctions contre les laboratoires devraient être plus importantes, comme c’est le cas aux Etats-Unis. Concernant l’indemnisation des victimes, les laboratoires devraient payer sur le principe de « pollueur-payeur ». Ce n’est pas normal qu’en France, le fonds d’indemnisation fasse jouer la solidarité nationale. Ce n’est pas aux contribuables de payer.

* Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire
MICHÈLE RIVASI, DÉPUTÉE EUROPÉENNE

À RETENIR

2002 La Suède a été le premier pays à donner l’alerte en mars 2002 dans un rapport concluant à un risque trois fois plus important de malformations congénitales pour le valproate de sodium que pour la carbamazépine.
2012 Enquête de l’EMA montrant que 14 des 18 pays ayant répondu n’ont pas harmonisé les RCP des princeps et des génériques.
2014 Arbitrage rendu par l’EMA pour minimiser les risques.

REPÈRES 

LE RÔLE DE L’AGENCE EUROPÉENNE DES MÉDICAMENTS (EMA)

Texte : loan tranthimy, infographie : Franck L’hermitte