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Soyez plus vigilants !

Publié le 24 novembre 2007
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Le Pr Marie-Christine Perault-Pochat préside l’Association nationale des centres de pharmacovigilance. Elle invite les officinaux à déclarer plus systématiquement les effets indésirables dus aux médicaments. Par expérience, elle constate qu’ils déclarent des effets indésirables graves que les médecins n’ont pas toujours détectés ! Par ailleurs, Marie-Christine Perault-Pochat craint le libre accès à certains médicaments.

« Le Moniteur » : Reçoit-on suffisamment de déclarations de pharmacovigilance ?

Marie-Christine Perault-Pochat : Avec les 20 648 déclarations, dont 10 472 graves, reçues en 2006 par les 31 centres régionaux de pharmacovigilance, nous obtenons de bons signaux sur les molécules posant problème. C’est une moyenne honorable par rapport à d’autres pays européens, mais nous serions plus à l’aise si nous disposions d’un nombre plus important de notifications pour confirmer un signal. Nous estimons que seuls 5 % des effets indésirables nous sont déclarés. C’est là que les études de pharmacoépidémiologie ou post-AMM peuvent avoir leur intérêt. En France, nous faisons des efforts importants dans ce domaine.

Multiplier les études post-AMM ne risque-t-il pas de diminuer l’activité des CRPV ?

Non, les deux approches sont très importantes et complémentaires. La notification spontanée demeure indispensable, notamment pour l’alerte. En revanche, les études post-AMM devraient être systématiquement réalisées avec les centres régionaux de pharmacovigilance. Avant la mise en place des plans de gestion de risques [PGR] fin 2005, ces études étaient souvent à visée marketing.

De quoi s’agit-il ?

Pour tout nouveau produit lancé, un plan de gestion de risques spécifique, comprenant entres autres un volet de pharmacovigilance, est mis en place. Cela permet d’avoir un recueil beaucoup plus large des éventuels effets indésirables et une mise en commun précoce avec l’industriel des données dont chacun dispose.

Y a-t-il également des programmes nationaux de surveillance en ce moment ?

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Nous surveillons la classe des glitazones. Nous avons également fait une étude cette année au niveau national pour déterminer l’incidence des hospitalisations liées à l’iatrogénie médicamenteuse. Les résultats seront connus en fin d’année. Elle fait suite à une précédente étude réalisée il y a cinq ans. Malheureusement, selon les résultats préliminaires, nous observons toujours une iatrogénie importante avec les antivitamines K alors que d’importantes campagnes de communication et d’information auprès des professionnels de santé et des patients ont eu lieu et que des mesures ont été prises.

Pourquoi le nombre de déclarations reste-t-il stationnaire depuis ces trois à quatre dernières années ?

Nous fonctionnons sur la base du volontariat, et ce sont en général les mêmes professionnels de santé qui ont le réflexe déclaratif. Il nous faut donc réussir à créer ce réflexe auprès de tous les professionnels, et notamment auprès des pharmaciens.

Ne faut-il pas alors les rémunérer ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour ! Mais pourquoi pas, dans la mesure où il faut compter le temps d’une consultation pour bien remplir une déclaration de pharmacovigilance. A l’heure actuelle, il faut l’avouer, certaines déclarations que nous recevons sont un peu succinctes. Quand nous voulons nous faire une opinion sur la validité d’un dossier, nous sommes obligés de rappeler le professionnel de santé car nous ne pouvons pas nous permettre d’accuser un médicament à tort. Nous sommes là pour surveiller, pour mettre en garde en cas d’effet indésirable grave et pour permettre une amélioration des pratiques de prescription, pas pour « tuer » un médicament. Nous ne tirons aucune gloire du retrait d’un produit.

Les pharmaciens notifient-ils beaucoup ?

Ils représentent 11 % des notifications. Un chiffre qui progresse depuis 1995, mais lentement. Ces notifications proviennent majoritairement des pharmaciens hospitaliers. Ceci s’explique par l’implantation hospitalière des CRPV.

Beaucoup de confrères trouvent la déclaration encore trop compliquée…

Nous l’avons pourtant simplifiée. Il faut simplement mentionner le nom du médicament, le nom du patient, la chronologie avec le début et la fin de l’administration, l’indication, et enfin décrire le type d’effet indésirable qui survient… Les pharmaciens ont les prérequis pour remplir une fiche. S’ils ne le souhaitent pas, ils peuvent nous transmettre les coordonnées du médecin, à qui nous téléphonerons. C’est notre rôle. Dans notre région, nous avons de la chance car les pharmaciens bénéficient d’un enseignement de pharmacovigilance à la faculté de pharmacie, ce qui n’est pas le cas dans toutes les facs. Sur la quinzaine d’heures enseignées, nous ciblons les pathologies qui peuvent être intéressantes et nous leur expliquons les informations indispensables à recueillir.

Pourquoi avoir mené un programme avec Giphar ?

Au départ, c’est un responsable de l’Ordre qui avait eu l’idée de mettre la fiche de pharmacovigilance dans le DP. Deux ans sont passés et nous n’avons eu aucune nouvelle. Entre-temps, Giphar est venu présenter à l’Association des centres régionaux de pharmacovigilance son logiciel qui permet, lors de chaque délivrance d’ordonnance, de remplir immédiatement la fiche de déclaration en cas de problème. Nous avons trouvé que c’était bien fait et nous leur avons demandé d’ajouter un ou deux items supplémentaires par rapport à la fiche Cerfa…

Cela a-t-il donné lieu à plus de déclarations ?

Au départ, pour être franche, certains centres étaient sceptiques et ne voyaient pas trop l’intérêt de déclarations de pharmaciens… Mais l’expérience est vraiment positive, à tel point que nous les avons associés à la surveillance de spécialités nouvellement commercialisées dans le cadre de PGR. Ils nous ont notamment transmis une vingtaine d’observations pour Champix, ce qui est encourageant pour l’avenir.

Et si d’autres groupements venaient à taper à votre porte ?

Ils seront les bienvenus, mais je trouverais plus logique que l’Ordre nous contacte afin que la fiche de déclaration soit enfin intégrée dans le DP… J’attends toujours, mais j’avoue être un peu déçue.

Les pharmaciens remontent-ils surtout des effets déjà signalés par les médecins ?

Oui, mais ils nous remontent aussi des effets graves qui n’ont pas été déclarés par les médecins. Tout simplement parce qu’il y a un temps de parole important au comptoir d’une officine. Les pharmaciens prennent le temps d’écouter. Et puis, avec le développement de l’automédication, ils vont pouvoir nous transmettre de nombreuses informations. Pour l’instant, il y a extrêmement peu d’effets indésirables déclarés concernant des médicaments conseil.

Pour quelle raison ?

Les patients n’y pensent pas parce que, pour eux, ce ne sont pas réellement des médicaments !

Leur vente en grande surface contribuerait encore plus à les banaliser ?

Pour moi, ce serait catastrophique en termes de santé publique. Je vais vous citer un exemple que je crois éclairant : c’est au bout de la troisième interrogation qu’un patient a fini par dire qu’il prenait du Dafalgan, alors qu’il avait été hospitalisé deux fois à la suite de chocs anaphylactiques, dont la seconde fois dans un service de réanimation…

Et que pensez vous du libre accès en pharmacie ?

Je crains que cela pose aussi des problèmes, mais c’est encore une opinion personnelle. Il faudra être extrêmement sélectif sur les médicaments en accès libre. Nous avions été il y a quelques années choqués que l’ibuprofène soit disponible sans ordonnance. Pour nous, un AINS ne devrait pas l’être.

Cela s’est-il traduit pas des problèmes de pharmacovigilance ?

Des insuffisants rénaux qui ont en pris ont aggravé leur état ! Heureusement, il semblerait qu’il n’y ait pas trop de problèmes. Cependant, nous ignorons beaucoup de choses. De plus, je vous dirais de façon humoristique que la nature humaine est très bien faite.

Cela signifie-t-il que beaucoup d’effets indésirables restent méconnus ?

Tout à fait, beaucoup ne sont perçus. Les malades ne font pas le rapprochement.

Il y a donc un important travail de communication à faire ?

Evidemment, mais le niveau de compréhension est très hétérogène et, pour certaines personnes, il ne sera pas facile d’expliquer que prendre un médicament n’est jamais sans risque. Le patient peut être un vrai acteur dans la prise en charge, et donc de son traitement, notamment s’informer par la notice et, en cas de doute, auprès de son médecin et/ou de son pharmacien.

Y a-t-il plus de problèmes avec les nouveaux lancements ?

Non, même si l’actualité récente pouvait faire penser le contraire. Le problème est que les contraintes budgétaires poussent les laboratoires à mettre le plus rapidement possible leurs produits sur le marché. La phase de « go-no go », où la décision de développer un produit est prise, est plus courte qu’avant. Les industriels démarrent le plus souvent la phase I chez l’homme avant d’avoir terminé la fin de l’étude de toxicité chronique. Cela peut leur permettre de gagner jusqu’à un an ! L’industrie, dont les actionnaires demandent aussi des comptes, doit être rentable… Pourquoi ne pas prévoir des brevets plus longs ?

Quels sont les médicaments dans la ligne de mire des CRPV actuellement ?

Ce ne sont pas forcément les médicaments les plus récents qui posent le plus de problèmes. Nous découvrons en effet des effets indésirables bien longtemps après leur commercialisation. Regardez l’exemple récent de l’Agréal…

Certains signaux actuels pourraient-ils déclencher une procédure d’urgence ?

Un produit qui a été récemment mis sur le marché nous pose actuellement problème. La décision de déclencher ou non une procédure d’urgence va être prise très bientôt, à la lumière de l’avis des experts…

Existe-t-il des problèmes de pharmacovigilance avec les génériques ?

Les génériques ne posent pas de problème, nous avons cependant une alerte sur les antiépileptiques. Des travaux sont en cours pour confirmer ou infirmer d’éventuelles variations pharmacocinétiques entre génériques et princeps.

Les pharmaciens pensent qu’il s’agit d’une manoeuvre pour décrédibiliser les génériques…

Non, pas du tout, même si certains médecins ont effectivement tenté d’extrapoler à tous les génériques. Nous avons constaté aussi que des pharmaciens avaient substitué des antiépileptiques alors que le médecin avait mentionné NS [NdlR : « non substituable »].

Vous savez certainement que beaucoup de médecins ont longtemps fait de l’opposition passive en mentionnant systématiquement NS !

Ah bon ? Que le pharmacien travaille par « appel d’offres » auprès des génériqueurs est également ennuyeux, il ne va pas toujours délivrer le même générique. Pour les personnes âgées, qui peuvent avoir des problèmes de compréhension, c’est vraiment problématique.

Quelles sont vos relations avec les laboratoires ? Faites-vous l’objet de pressions ?

Il peut y avoir des tensions, comme dans toutes les négociations. Certains laboratoires cherchent à minimiser la responsabilité de leur produit dans la survenue d’effets indésirables nouveaux. Ceci dit, quand nous sommes en contact avec leur service de pharmacovigilance, nous avons les mêmes objectifs, à savoir assurer une prise en charge optimale du patient.

Un produit retiré en France pourrait donc ne pas l’être aux Etats-Unis ou au Japon ?

Tout à fait, car nous n’avons pas la même culture. En France, nous appliquons le principe de précaution. Vous savez, nous ne sommes pas tous égaux. Des effets indésirables (cas agranulocytoses) peuvent survenir dans le nord de l’Europe avec une fréquence rare, et chez nous avec une fréquence très rare. Nous conduisons alors des études permettant un meilleur encadrement de la prescription du produit afin de permettre son maintien ou sa réintroduction sur le marché.

Les populations peuvent donc réagir très différemment d’un continent à l’autre ?

Nous n’avons pas le même équipement enzymatique et, par conséquent, nous ne métabolisons pas de la même manière. Les risques d’effets indésirables peuvent donc différer. D’ailleurs, les médicaments qui ont des AMM au niveau de l’Asie et pour lesquels une demande d’enregistrement en France est faite sont l’objet d’études complémentaires.

Il n’y a jamais eu de cas où un laboratoire pharmaceutique a réussi à empêcher un retrait ?

Non, mais nous souhaitons éviter un tapage médiatique, toujours délétère pour l’industriel et, surtout, pour le patient. Le retrait se fait en douceur, contrairement à un arrêt brutal de commercialisation. Sauf, bien sûr,, si le produit présente un risque vital. Aucune mesure transitoire ne peut alors être envisagée.

Quid de l’information des professionnels de santé ?

Nous communiquons de plus en plus afin, là encore, d’éviter une psychose générale. Nous avons encore tous à l’esprit la panique qui a suivi la décision unilatérale de Bayer de retirer du marché la cérivastatine.

Ne pensez-vous pas que les professionnels pourraient être avertis un peu avant le grand public ?

Les centres régionaux de pharmacovigilance ont obtenu de l’Afssaps d’être prévenus 48 heures avant l’annonce d’un retrait ou d’une suspension. Cela nous permet si besoin de prévenir les prescripteurs concernés qu’ils vont bientôt recevoir un communiqué concernant tel ou tel produit, soit par fax, par téléphone ou par courriel.

Ce système d’alerte est donc plutôt à l’usage des médecins ?

Pour l’instant, nous communiquons uniquement au niveau des prescripteurs. Ce serait une bonne chose de faire de même avec les pharmaciens, mais tant que l’Afssaps n’a pas publié un communiqué officiel, c’est délicat… J’invite donc les pharmaciens d’officine à se connecter au site http://agmed.sante.gouv.fr/ pour être informés des alertes sanitaires. L’Association française des centres régionaux de pharmacovigilance possède également le sien (http://www.centres-pharmacovigilance.net), qui fait un lien vers tous les communiqués de presse de l’Afssaps. Les pharmaciens peuvent également y avoir accès à des abstracts ainsi qu’à l’actualité des différents centres. Par ailleurs, chaque centre régional de pharmacovigilance édite un bulletin diffusé auprès des médecins et, selon les centres, auprès des pharmaciens aussi. C’est le cas en Poitou-Charentes pour ceux qui en ont fait la demande.

Pourquoi ne pas prévoir d’envoyer systématiquement le bulletin aux pharmaciens ?

Je n’y vois pas d’inconvénient, mais nous allons nous heurter à notre éternel problème de manque de moyens. Cela nous demande beaucoup de temps car nous n’avons pas toujours les logiciels et le personnel qui nous permettent de le faire rapidement.

Au-delà des notifications, y a-t-il beaucoup d’échanges avec les professionnels ?

Nous répondons à des demandes de médecins qui veulent changer le traitement de leur patient ou connaître les conséquences de leur prescription lors d’une grossesse. Cela nous demande beaucoup de travail car, même si nous disposons de bases de données, il nous faut nous adapter au cas de chaque patient ! Ce travail est passionnant, enrichissant de par nos échanges avec les professionnels de santé.

Médecin et pharmacienne !

Marie-Christine Perault-Pochat est à la fois médecin et pharmacienne. Pharmacologue, elle a été nommée, le 1er septembre 2001, professeur des universités et praticien hospitalier affecté au CHU de Poitiers. Elle dirige depuis la même date le centre régional de pharmacovigilance de Poitou-Charentes. Marie-Christine Perault-Pochat arrive au terme de son mandat de présidente de l’Association française des centres régionaux de pharmacovigilance. Il n’est pas exclu qu’elle soit réélue.

Comment déclarer ?

Vous pouvez trouver la fiche de déclaration d’effet indésirable susceptible d’être dû à un médicament sur le site de l’Afssaps, celui de l’Association française des centres de pharmacovigilance ou, le cas échéant, celui des centres régionaux. Ces derniers peuvent également en adresser directement ou sur demande. Enfin, la fiche figure dans le bulletin trimestriel de l’Ordre.

De plus en plus de pharmaciens dans les CRPV

La progression du nombre de pharmaciens est constante dans les centres régionaux de pharmacovigilance. Certains sont très « médicalisés », d’autres, au contraire, font appel à de nombreux pharmaciens. L’idéal, selon Marie-Christine Perault-Pochat, serait d’avoir un équilibre à 50/50. Quel que soit le profil, le recrutement pose problème en raison d’une rémunération peu élevée (celle d’une vacation hospitalière…). Les centres font aussi appel à des internes et à des médecins généralistes. Mais pas à des officinaux, ce qui est pourtant possible. « Ils ne seraient pas opérationnels tout de suite, mais les compétences, cela s’acquiert. Ils deviendraient alors de bons relais pour informer et former des pharmaciens d’officine », estime Marie-Christine Perault-Pochat.