Vigilances Réservé aux abonnés

Prescriptions inappropriées d’antibiotiques : résistez !

Publié le 22 avril 2023
Par Yves Rivoal
Mettre en favori

Une dizaine de patients qui s’estiment victimes de lourds effets indésirables à la suite de la prescription inappropriée de fluoroquinolones ont déposé plainte contre leur médecin et contre X. Une démarche qui rappelle que la lutte engagée contre les prescriptions inutiles ou inadaptées d’antibiotiques est encore loin d’être gagnée. Comment parvenir à les réduire ?

 

« Au comptoir, nous voyons passer de tout, assure Félicia Ferrera-Bibas, vice-présidente officine de la Société française de pharmacie clinique (SFPC). Pendant le Covid-19, c’était les ordonnances de macrolides. Si les choses se sont un peu améliorées s’agissant du traitement systématique par antibiotiques de l’angine virale, il n’est pas rare de voir prescrire de la furadantine en première intention chez les femmes pour une cystite, ou des fluoroquinolones pour une simple sinusite ou bronchite… » Le décor est planté.

 

Une étude d’impact de l’Agence européenne des médicaments (EMA) montrait que 50 % des prescriptions d’antibiotiques en Europe, entre 2018 et 2020, étaient hors autorisation de mise sur le marché (AMM). « Elle pointait aussi du doigt un manque de connaissance des restrictions d’indications par les prescripteurs, et d’information des effets indésirables pour les patients, note Bruno Maleine, président du conseil central de la section A de l’Ordre des pharmaciens. Et comme ces ordonnances inutiles ou inappropriées contribuent à alimenter l’antibiorésistance, nous sommes face à un véritable enjeu de santé publique dont il faut s’emparer. » Sans compter qu’elles alimentent aussi les pénuries de médicaments.

Un manque de temps

 

Côté médecins, on ne nie pas la réalité du problème. « Il y a effectivement encore beaucoup trop d’antibiotiques prescrits en ville pour des angines, des sinusites, des bronchites virales, des bronchiolites ou des rhinopharyngites, reconnaît Pauline Jeanmougin, membre du Collège de la médecine générale (CMG). Or, un médecin est toujours responsable de sa prescription. Il est donc censé s’assurer à chaque fois que l’indication et la posologie sont bonnes, et qu’il n’y a pas de contre-indications avec un autre traitement. »

 

Pour tenter d’expliquer ces mésusages, cette praticienne avance plusieurs explications. « Le généraliste a à sa disposition très peu d’examens pour formuler un diagnostic qui se révèle souvent complexe, rappelle-t-elle. La plupart du temps, nous devons nous contenter du tableau clinique et du contexte du patient. » D’autres facteurs influencent, selon elle, les prescriptions : le manque de temps pour se former régulièrement, les salles d’attente bondées, les consultations qu’il faut enchaîner avec des patients persuadés qu’en prenant des antibiotiques ils seront guéris en 48 heures… « Cette pression de la performance ne favorise pas la prise de recul et amène parfois des prescriptions d’antibiotiques hors recommandations parce que le médecin ne va pas prendre le temps d’expliquer que la bronchite est d’origine virale, et que les antibiotiques ne seront donc pas efficaces », reconnaît-elle.

Les limites de l’exercice

 

90 % des antibiotiques étant délivrés dans les officines, les pharmaciens se retrouvent souvent confrontés aux limites de leur exercice. « Quand vous voyez un patient arriver au comptoir avec une ordonnance de lévofloxacine, alors qu’il a contracté une bronchite, est-ce que c’est au pharmacien de dire si l’ordonnance est appropriée ou non ? Je ne le crois pas. Nous ne sommes pas là pour diagnostiquer, et nos logiciels de gestion officinaux ne sont pas encore assez centrés autour du patient. Notre rôle, c’est de donner des conseils sur le bon usage et de rappeler les risques liés à l’exposition au soleil », rappelle Félicia Ferrera-Bibas. « Au comptoir, nous n’avons, en plus, pas toujours connaissance de l’indication, celle-ci figurant rarement sur l’ordonnance, ajoute Bruno Maleine. Dans ce cas, la règle est simple : en cas de doute, il faut appeler le prescripteur, même si la situation n’est pas toujours facile à gérer avec les médecins et les patients. Et lorsque vous êtes devant une ordonnance clairement inappropriée, comme pendant la pandémie de Covid-19 avec l’azithromycine, le Code de la santé publique est clair : il est de la responsabilité du pharmacien de refuser la dispensation et d’en informer le prescripteur. »

 

Problème : la règle ne résiste pas toujours à la réalité du terrain. « En l’absence d’indication sur l’ordonnance, nous n’allons pas déranger les médecins à chaque fois pour savoir si leurs prescriptions sont bien adaptées, note Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Nous le faisons lorsque nous avons un doute sur la posologie ou la durée du traitement. Mais lorsque le médecin nous confirme pour la quatrième fois qu’il a bien prescrit Pyostacine pendant 10 jours, alors que l’AMM prévoit 4 ou 14 jours de traitement, on jette l’éponge. »

Publicité

Le petit plus du Trod

 

Lorsqu’on leur demande quels leviers activer pour améliorer la situation, tous les professionnels de santé s’accordent pour dire que le test rapide d’orientation diagnostique (Trod) angine pourrait constituer une partie de la solution. « Mais à ce jour, il reste trop peu utilisé par les médecins », regrette Pauline Jeanmougin.

 

Même constat côté pharmaciens. « Beaucoup d’officines ne le proposent pas parce que cela implique de se changer pour réaliser le test, tout cela pour une rémunération de 5 € », suggère Pierre-Olivier Variot. Le président du conseil central de la section A de l’Ordre des pharmaciens invite toutefois la profession à s’en emparer. « Comme il est désormais remboursé, il ne faut pas hésiter à le réaliser en cas de prescription, mais aussi lorsqu’un patient se présente à l’officine en première intention, rappelle Bruno Maleine. En fonction du résultat, l’antibiotique est dispensé ou non, avec des arguments scientifiques qui nous aident à convaincre les patients en présence d’une pathologie qui représente le premier motif de demande de conseils en officine, avant la douleur ou les troubles du sommeil. Or neuf fois sur dix, l’angine est d’origine virale, et induit des symptômes qui se traitent avec des médicaments non remboursés. »

 

Pour Félicia Ferrera-Bibas, c’est là où le bât blesse. « Lorsque vous proposez du paracétamol après un Trod angine positif, celui-ci n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale, cela peut rebuter certains patients, souligne la vice-présidente officine de la SFPC. Dans ce cas, il me semble que son remboursement n’aurait rien de déraisonnable et permettrait d’aller au bout de la démarche. »

 

Les nouveaux Trod susceptibles d’être mis sur le marché pourraient, eux aussi, favoriser le bon usage. « La Haute Autorité de santé (HAS) devrait donner son avis dans les jours qui viennent sur les tests diagnostiques pour la grippe, le Covid-19 et le virus respiratoire syncytial, rappelle Pierre-Olivier Variot. S’il est positif, nous irons à la rencontre de l’Assurance maladie et du ministère de la Santé pour voir s’ils peuvent être remboursés, et à quel prix, idéalement dès l’automne prochain. » Le président de l’USPO suggère également que la France s’empare des Trod de la C-reactive protein. « Comme la quantité de ce biomarqueur inflammatoire dans le sang n’augmente pas de la même manière en cas d’infection virale ou bactérienne, ce test permet de savoir s’il est utile de prescrire un antibiotique ou non. »

Alerte ordonnance

 

Imposer aux médecins de faire figurer l’indication sur l’ordonnance en cas de prescription d’antibiotiques ne convainc en revanche pas Pauline Jeanmougin. « Je crains que cette solution ait du mal à passer auprès des généralistes qui verront d’un mauvais œil le fait de devoir indiquer leur diagnostic et d’être éventuellement rappelés à l’ordre par un autre professionnel de santé. Une solution qui nous obligerait à le mentionner dans notre logiciel d’aide à la prescription, avec un système d’alerte pour rappeler qu’une indication ne nécessite pas d’antibiotiques, me paraîtrait plus constructive, explique-t-elle. Le CMG milite également pour que les recommandations en infectiologie soient davantage adaptées à la pratique de ville. « Aujourd’hui, elles sont essentiellement écrites à travers des études en milieu hospitalier, et rarement sur des patients de ville en ambulatoire, rappelle la docteure. Il y a donc parfois une forme de discordance entre ce que nous lisons dans les recommandations, et la vraie vie. »

Des protocoles étendus

 

Pour Félicia Ferrera-Bibas, l’extension des protocoles angines et cystites, qui permettent au pharmacien de dispenser des antibiotiques sans ordonnance, est une autre piste à explorer. « Mais si l’on veut que cela fonctionne, il faudra procéder différemment. Pour l’angine et la cystite, les protocoles ont été jetés en pâture dans le cadre d’un exercice coordonné, avec une rémunération de 25 € à se partager entre professionnels de santé, sans fixer de règles précises, regrette la vice-présidente officine de la SFPC. Dans un contexte où les médecins ressentent aujourd’hui un démembrement de la médecine générale, cela n’a fait qu’alimenter les conflits. Si l’on veut que ces dispositifs se développent, ils ne devraient pas figurer dans l’exercice coordonné, celui-ci n’apportant aucune valeur ajoutée. » Elle estime toutefois que la solution passera par plus de collaboration entre les médecins et les pharmaciens. « Mais avec des interventions pharmaceutiques qui seront acceptées par le médecin et le patient. Car si la durée de traitement ou des posologies non conformes aux recommandations imposent notre intervention, nous restons dans notre rôle d’expert du médicament », conclut-elle.

     

Les prescriptions inappropriées ou inutiles d’antibiotiques sont un enjeu de santé publique, où chaque professionel de santé peut intervenir.

 

Les Trod peuvent contribuer à réduire ces prescriptions mais, actuellement, ils sont peu nombreux, leur rémunération n’est pas assez attractive et les traitements en cas de Trod négatif ne sont pas pris en charge.

 

S’appuyer sur des logiciels métier, généraliser la prescription sous protocole ou l’intervention pharmaceutique sont d’autres solutions envisagées.

Fluoroquinolones et cystite : à éviter

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) rappelle régulièrement, depuis 2019, l’usage restreint des fluoroquinolones du fait de leurs effets indésirables graves et durables (neuropathies périphériques, troubles neuropsychiatriques, affections du système musculosquelettique, anévrisme et dissection aortique, régurgitation ou insuffisance des valves cardiaques), invalidants et potentiellement irréversibles. Ainsi, les fluoroquinolones ne sont pas recommandées dans le traitement de la cystite, qu’elle soit simple, à risque de complications ou récidivante. Une dizaine de patients victimes d’effets secondaires graves ont d’ailleurs porté plainte, début mars, pour « blessures involontaires » et « tromperie aggravée » contre leur médecin et contre X. Tous pointent du doigt les prescriptions souvent injustifiées et dénoncent un « scandale sanitaire ». Pour rappel, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), la fosfomycine-trométamol est le traitement de première intention de la cystite aiguë simple mais aussi récidivante. En cas de cystite aiguë à risque de complications, le traitement probabiliste de première intention repose sur la nitrofurantoïne, ou par ordre de préférence et selon l’antibiogramme : amoxicilline, pivmécillinam ou nitrofurantoïne.

Birodogyl en odontologie : rien ne va

L’association spiramycine/métronidazole représentait, en 2021, 22 % des prescriptions des chirurgiens-dentistes, alors qu’elle n’est pas recommandée en première intention (source : Caisse nationale de l’Assurance maladie). De plus, l’association spiramycine/métronidazole prête à l’emploi actuellement commercialisée (Birodogyl) ne correspond pas aux dosages recommandés, et génère plus de résistance que l’amoxicilline seule. Plus généralement, « 18 % du montant global des antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes en France en 2021 correspondent à des molécules peu préconisées en odontologie (doxycycline, pristinamycine, association spiramycine/métronidazole). Ce montant s’élève à 14 millions d’euros en 2021 », rapporte la Cnam. L’amoxicilline est la molécule de référence en odontologie.

A retenir

Les prescriptions inappropriées ou inutiles d’antibiotiques sont un enjeu de santé publique, où chaque professionel de santé peut intervenir.

Les Trod peuvent contribuer à réduire ces prescriptions mais, actuellement, ils sont peu nombreux, leur rémunération n’est pas assez attractive et les traitements en cas de Trod négatif ne sont pas pris en charge.

S’appuyer sur des logiciels métier, généraliser la prescription sous protocole ou l’intervention pharmaceutique sont d’autres solutions envisagées.