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Posologies : un savant dosage d’études cliniques

Publié le 7 avril 2017
Par Magali Clausener
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La détermination de la posologie poursuit un double objectif : connaître la toxicité et la dose efficace d’un médicament. La bonne solution est trouvée au bout de longues études cliniques.

Avant de figurer sur le « résumé des caractéristiques du produit » (RCP) et la notice, la posologie d’un médicament se sera dessinée tout au long des études cliniques des phases I à III. La première grande étape est le passage des essais sur les animaux — qui ont duré de deux à trois ans — aux essais sur l’homme, à savoir les études cliniques de phase I. Ces études sont généralement menées auprès de volontaires sains, âgés entre 18 ans et 50 ans, ayant répondu à des questionnaires précis, effectué des bilans biologiques et ne prenant aucun autre médicament. L’objectif est d’évaluer la tolérance (les effets secondaires) de ce médicament en développement. Ce qui implique déjà de déterminer les doses qui seront administrées aux sujets humains, à partir des données recueillies sur les animaux.

Evaluer la tolérance en phase I

« Nous donnons des doses croissantes aux animaux et nous mesurons les concentrations dans leurs organismes. A partir de là, nous déterminons les doses qui sont sans effet indésirable chez l’animal. Pour choisir les premières doses à administrer chez l’homme, nous appliquons un facteur de sécurité en faisant des extrapolations. Celles-ci tiennent compte du poids », explique François Donat, responsable du groupe Pharmacocinétique, pharmacodynamique et métabolisme France chez Sanofi. « Les études de phase I reposent sur l’administration d’une dose unique très faible, que nous augmentons jusqu’à atteindre une dose non tolérée qui pourrait provoquer des effets indésirables importants, comme des vomissements, des maux de tête, des saignements. Le but est de recueillir toutes les données sur la tolérance au médicament », précise le Pr Xavier Declèves, responsable de l’unité fonctionnelle « Biologie du médicament et toxicologie », à l’hôpital Cochin (Paris). Les sujets font par conséquent l’objet d’une surveillance continue dans des centres spécialisés. Parallèlement, il s’agit d’étudier l’absorption, la distribution, le métabolisme et l’excrétion dans les urines et les fèces. « Nous obtenons ainsi des paramètres pharmacocinétiques après chaque dose du candidat médicament administré en dose unique, puis en dose répétée. Nous observons également la linéarité entre les doses de médicament administré et sa concentration sanguine. Dans la majorité des cas, celle-ci augmente de façon proportionnelle avec la dose administrée, ce qui sera un élément important pour la sécurité d’emploi du médicament une fois sur le marché », remarque Xavier Declèves.

Forme galénique affinée en phase II

Pour autant, la posologie n’est pas encore arrêtée lors de ces premiers essais de phase I. Les études cliniques de phase II, menées cette fois auprès de patients, doivent permettre de mettre en relation l’efficacité et les doses du médicament, et le rapport bénéfice/risque de la molécule. Différentes doses sont alors administrées à des malades atteints de la même pathologie. « Il s’agit de déterminer la dose minimale efficace », souligne Stéphane Kirkesseli, responsable du groupe de Pharmacologie clinique et médecine translationnelle France chez Sanofi. Là encore, les patients inclus dans les études cliniques sont suivis en permanence. Lors de la phase II, la forme galénique est également affinée. « En phase I, la formulation galénique est relativement simple pour assurer une bonne absorption du produit. Ensuite, on passe à une autre formulation qui pourra être industrialisée et répondra aux besoins des patients tout en assurant de meilleures performances pharmacocinétiques et une bonne observance », relate Stéphane Kirkesseli. Le choix de la formulation est aussi dicté par des considérations stratégiques et marketing. Lorsqu’une dose apparait efficace et bien tolérée sur les patients dans les études de phase II, le laboratoire passe alors aux études de phase III, multicentriques (c’est-à-dire réalisées dans plusieurs centres en France et à l’international) et menées auprès de centaines ou milliers de patients. Durant la phase II, la posologie, la voie d’administration et la forme galénique sont définitivement arrêtées. Pour sa demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM), le laboratoire doit en effet indiquer la posologie et la forme galénique.

Le laboratoire doit également être en mesure d’étudier les adaptations de posologie en fonction des sous-populations de malades, comme les patients insuffisants rénaux et hépatiques. L’élimination de la molécule est essentielle, qu’elle se fasse par les urines ou le foie. La posologie doit en tenir compte.

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Aux deux extrémités de la vie

Concernant les enfants, les essais cliniques sur des sujets sains ne sont pas autorisés, ils ne peuvent se pratiquer que si le rapport bénéfice/risque est « raisonnable ». « A partir du comportement pharmacocinétique du médicament chez l’adulte, nous essayons les doses chez l’enfant en fonction de l’âge et du poids, et en prenant compte la maturation des organes qui éliminent le médicament. Nous essayons d’anticiper le plus possible les posologies nécessaires pour atteindre le même niveau de concentration, qui est responsable de l’activité et de la toxicité éventuelle du produit. Nous faisons donc des études chez les adolescents puis les enfants, voire chez les nouveaux nés, et nous sommes appelés à développer des posologies et des formulations différentes de celles testées chez les adultes », explique François Donat. Quant aux personnes âgées, des études sont menées si le médicament concerne une proportion importante de sujets âgés et si le laboratoire estime que la tolérance ou la pharmacocinétique peuvent être différentes, notamment en raison d’une altération de la fonction rénale due à l’âge. « Si on s’aperçoit que les concentrations du médicament ont tendance à augmenter, on peut modifier la dose pour que les concentrations soient les mêmes que chez un sujet adulte jeune », complète Stéphane Kirkesseli. Mais on peut encore aller plus loin et adapter la posologie à chaque individu. C’est déjà le cas en thérapie immunosuppressive contre le rejet de greffe, dans les épilepsies, avec les nouveaux médicaments anticancéreux par voie orale, dits thérapies ciblées, et pour les traitements anti-VIH. « On prend en compte la variabilité individuelle, mais la médecine personnalisée implique un plateau technique hospitalier important : imagerie, biologie, pharmacologie… », indique Xavier Declèves. « La médecine personnalisée est encore une vision idéaliste. Nous parlons plus aujourd’hui de médecine stratifiée, répond Stéphane Kirkesseli. Dans nos études cliniques, nous caractérisons les populations de patients avec des biomarqueurs et nous essayons ensuite d’identifier certains biomarqueurs qui pourraient prédire l’efficacité. Nous pouvons ainsi stratifier les populations, c’est-à-dire identifier des sous-populations de patients qui répondent mieux à un nouveau médicament que d’autres. » Seul inconvénient : ces développements compliquent le processus et coûtent plus cher. Le prix à payer pour cibler des populations pour lesquelles le rapport bénéfice/risque va être optimal. 

VERS UNE POSOLOGIE INDIVIDUELLE

« L’avenir, c’est l’ajustement des posologies aux individus. Nous allons passer du prêt-à-porter à la haute couture ! », lance Frédéric Dayan, fondateur de ExactCure. L’idée est, via une application, de simuler et modéliser le devenir d’un médicament chez une personne, en créant son « jumeau digital » grâce à des informations sur son poids, son âge, son sexe, ses pathologies, ou ses autres traitements médicamenteux. « L’application, qui est en phase de prototype, permet de prédire à quel moment le médicament va être le plus actif et quand il sera éliminé. Ce qui est important n’est pas la dose prise, mais la quantité qui va rester dans l’organisme une heure après la prise, explique Frédéric Dayan. Nous nous intéressons aussi bien aux médicaments de tous les jours qu’à ceux dits innovants. Le but est que l’application devienne un “compagnon” du médicament qui personnalise le traitement et le sécurise en évitant une toxicité ». Frédéric Dayan espère pouvoir développer une première modélisation pour le paracétamol. A terme, l’objectif est aussi de mettre à disposition cette application auprès des pharmaciens pour qu’ils puissent mieux conseiller leurs patients.

À RETENIR


•  Les études cliniques de phase I évaluent la tolérance sur des volontaires sains. Ils reçoivent des doses extrapolées des données recueillies sur les animaux.

•  Les études de phase II sur les patients vont permettre d’arrêter la posologie, la voie d’administration et la forme galénique.

•  Les études multicentriques de phase III peaufinent les résultats sur des centaines ou milliers de patients.