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De l’importance de ne pas s’écraser face aux moustiques

Publié le 8 juillet 2023
Par Yolande Gauthier
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Le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) a livré aux autorités, avant l’été, un avis sur les risques sanitaires liés à la dengue, au chikungunya et au virus Zika, transmis par des moustiques dont l’implantation en France augmente. Que faut-il craindre et comment s’y préparer ? Eléments de réponse.

 

Dengue, chikungunya et fièvre à virus Zika sont des arboviroses dues à des virus transmis par les moustiques du genre Aedes, dont deux espèces sont présentes en France (Ae. aegypti et Ae. albopictus, ou moustique-tigre). Le nombre de départements métropolitains colonisés par le moustique-tigre a été décuplé depuis 2010 et seuls 24 d’entre eux en sont pour l’heure exempts. Compte tenu du fait que les cas de dengue explosent dans le monde (entre 100 et 400 millions de personnes touchées, selon une estimation de l’Organisation mondiale de la santé) et que les virus Zika et chikungunya continuent à circuler activement, on peut s’attendre à une recrudescence du nombre de cas en métropole au cours des prochains étés. La France n’est en effet pas à l’abri. Soixante-cinq cas de dengue autochtone ont été recensés en 2022, et le nombre de cas importés d’arboviroses a été multiplié par 4,5 en l’espace de quatre ans, entre 2015 et 2019. « Nous anticipons que le risque va augmenter avec les changements climatiques, mais pas seulement. Les évolutions en matière de transferts de population (voyages, migrations) sont également sources de transmission de ces maladies », a prévenu Brigitte Autran, immunologiste et présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars). Les grands événements internationaux programmés en France (mondial de rugby et Jeux olympiques) sont d’ailleurs « à surveiller tout particulièrement ».

 

Même si les infections peuvent être faiblement symptomatiques, ces maladies vectorielles sont loin d’être anodines. La dengue est susceptible de provoquer un syndrome de fuite plasmatique avec un risque rapide de défaillance circulatoire et multiviscérale, en particulier chez les femmes enceintes, aux âges extrêmes ou chez les patients atteints de pathologies chroniques (diabète, obésité, insuffisance cardiaque, etc.). Le chikungunya est responsable de douleurs articulaires et périarticulaires ou de chutes chez les personnes âgées. Des complications graves peuvent également survenir : neurologiques, cardiovasculaires, hépatiques, rénales, etc. La principale complication du virus Zika est le syndrome de Guillain-Barré qui entraîne une paralysie progressive. Chez la femme enceinte, l’infection de l’embryon ou du fœtus peut conduire à des malformations du crâne et du système nerveux central.

Pas de traitements et peu de vaccins

 

« En l’absence de traitement antiviral spécifique, la prise en charge de ces arboviroses, symptomatique, fait surtout appel à la réhydratation, qui empêche les formes graves de dengue d’évoluer vers le décès, et aux antalgiques », explique André Cabié, infectiologue au centre hospitalier universitaire de Martinique. Les pistes thérapeutiques explorées portent sur des inhibiteurs de la polymérase et de la protéase virale pour la dengue (essai clinique de phase 2 pour une molécule de Janssen efficace in vivo chez les primates non humains) ou un anticorps monoclonal pour le chikungunya (phase 1). Du côté de la prévention, seuls deux vaccins vivants atténués quadrivalents sont autorisés pour la dengue. « L’une des difficultés est que l’on se bat non pas contre un mais contre quatre sérotypes de virus en même temps, avec le risque de reproduire par la vaccination le schéma immunitaire d’une primo-infection exposant à des formes graves lors d’infections ultérieures insuffisamment contrôlées », poursuit l’infectiologue. Le premier produit homologué en 2018 est Dengvaxia, plutôt actif contre les sérotypes 3 et 4. Il a montré une efficacité de 60 % en prévention de la dengue symptomatique et de près de 80 % contre les formes graves. Il est réservé aux personnes âgées de 9 à 45 ans déjà exposées au virus de la dengue (séropositives) qui vivent en zone endémique. Son utilisation chez des sujets séronégatifs peut en effet engendrer des formes compliquées en cas d’infection naturelle ultérieure, en raison d’une immunisation déséquilibrée contre les différents sérotypes du virus. Autorisé fin 2022, Qdenga est à l’inverse plus actif sur les sérotypes 1 et 2, et est plus efficace chez les personnes déjà exposées au virus (61 % en prévention des formes symptomatiques) que chez les séronégatifs (53 %), sans qu’un surrisque significatif ait été mis en évidence chez ces derniers. La stratégie d’utilisation de ce vaccin en France est en cours d’évaluation par la Haute Autorité de santé.

 

Les recherches restent actives dans le domaine de l’immunisation. Un candidat vaccin encodant les protéines non structurales des sérotypes 1, 3 et 4 de la dengue devrait livrer des résultats de phase 3 en 2024. Plus de 50 candidats seraient en cours de développement pour le virus Zika, dont les relations de séroprotection ou de sérofaciliation avec le virus de la dengue compliquent les choses. Deux vaccins contre le chikungunya sont en phase 3 d’essai clinique : l’un est un vaccin inactivé adjuvanté et l’autre un vaccin vivant atténué (Valneva) en cours d’examen par la Food and Drug Administration américaine.

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La lutte antivectorielle en premier lieu

 

Pour l’entomologiste Didier Fontenillle, l’augmentation du nombre de cas et de foyers d’épidémie est inéluctable du fait des changements climatiques et des voyages. « En outre, on s’achemine vers la fin des insecticides. Les moustiques Ae. aegypti y sont devenus résistants, le choix est restreint et les gens n’en veulent plus en raison de leur impact sur l’écosystème. » Que faire alors pour lutter contre ces satanés insectes ? « Trouver de nouvelles méthodes de contrôle des vecteurs, renforcer la formation continue et l’information-communication à destination des professionnels de santé, et favoriser l’adoption par les citoyens de comportements adaptés à la lutte contre la prolifération des vecteurs », répond le Covars. Des solutions alternatives aux biocides peuvent d’ores et déjà être mises en place : pièges à moustiques, répulsifs corporels, moustiquaires de fenêtres, de portes et de lits, lutte contre les gîtes larvaires par la suppression des eaux stagnantes. D’autres techniques se profilent à l’horizon, comme l’utilisation d’insectes stériles. Expérimenté à La Réunion en 2022, ce procédé a permis de réduire de 50 à 60 % la fertilité des moustiques, conduisant à une diminution des populations d’Ae. albopictus. Son principe : lâcher des moustiques mâles stériles avec lesquels les femelles sauvages vont s’accoupler sans avoir de descendance. Les chercheurs travaillent aussi à la mise au point de nouveaux biocides à faible impact environnemental, à l’utilisation de virus, de nématodes ou de champignons entomopathogènes spécifiques des moustiques, à la formulation de nouveaux répulsifs, à l’amélioration des répulsifs spatiaux (tortillons, diffuseurs électriques avec plaquettes ou flacons de répulsifs) ou encore à des techniques d’irradiation et de modification génétique des insectes. « La société est un facteur essentiel de la lutte contre ces maladies, estime Brigitte Autran. Le développement d’une culture de la prévention du risque associé à ces moustiques est nécessaire. Nous ne sommes pas dans le cadre d’un scénario catastrophe, mais ce risque incontournable doit être pris au sérieux. Il est évitable par des campagnes de prévention, une meilleure organisation de la lutte contre les vecteurs, de la recherche et des progrès dans les traitements, les vaccins et les nouvelles méthodes de lutte antivectorielle. » La chasse aux moustiques est ouverte, et elle est l’affaire de tous.

       

Le saviez-vous ?

– Il existe 3 600 espèces de moustiques connues. Trois sont vecteurs de maladies dans les territoires français : Aedes, Culex et Anopheles.

– La femelle moustique vit en moyenne deux mois, s’accouple généralement une seule fois, et peut faire jusqu’à cinq pontes d’environ 150 œufs chacune.

– Les œufs de moustique peuvent survivre pendant plus de six mois en milieu sec, même s’il gèle.

– La liste des communes colonisées par le moustique-tigre Aedes albopictus est régulièrement actualisée sur le site signalement-moustique.anses.fr.