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Gare à l’atterrissage !

Publié le 3 décembre 2022
Par Francois Pouzaud
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En 2021 et sur le premier semestre 2022, l’officine a profité à plein de la suractivité liée au Covid-19. Un retour progressif à la normale est maintenant pressenti. Cependant, dans un contexte d’inflation record, d’augmentation des charges d’exploitation et des frais de personnel, l’officine risque de se retrouver en situation de « gestion de crise ». Mais, cette fois, d’un genre différent.

Depuis bientôt trois ans, l’économie de l’officine connaît une franche embellie sous la conjonction de trois facteurs de croissance : les missions confiées aux pharmaciens pendant la crise du Covid-19, l’augmentation des produits chers et, plus récemment en 2022, le retour en grâce des activités traditionnelles de l’officine lié à une consommation de soins qui s’est progressivement normalisée. 2021 est sans conteste une année historique et particulièrement faste pour les pharmacies qui ont su s’adapter à la nouvelle donne pharmaceutique. Le chiffre d’affaires des officines affiche en effet une croissance exceptionnelle moyenne de 6,5 % (source : Interfimo), la plus forte enregistrée depuis 20 ans.

Ces activités qui font la différence

Cette diversification des rémunérations de l’officine montre néanmoins l’équilibre fragile du modèle économique de la pharmacie française. « La répartition de ces différentes ressources, notamment celles liées à la contribution exceptionnelle des pharmaciens et de leurs équipes dans la lutte contre la pandémie, n’est pas homogène », observe Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Faute de locaux adaptés et de main-d’œuvre suffisante, les petites officines, celles localisées en milieu rural ou dans des « bourgs » ont été globalement moins investies dans les actes liés au Covid-19. Elles profitent donc moins de ces ressources supplémentaires et sont prises dans un cercle vicieux entretenu par la crise de l’emploi, car elles n’ont pas les moyens de renforcer leurs équipes pour pouvoir assurer les missions demandées par les pouvoirs publics.

Peut-être un peu moins éprouvante en matière de quantité de travail après un premier trimestre tonitruant, l’année 2022 s’inscrit dans le sillage de 2021. Les missions « Covid-19 » ont encore fait la différence cette année. Et creusé des écarts importants entre les pharmacies. « Celles de surface trop exiguë pour vacciner et dépister ou mal préparées à accomplir de nouvelles missions souffrent de la pression sur les tarifs des médicaments “hors Covid-19” », souligne Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

Deuxième round en 2023

Commencées en décembre, les négociations avec l’Assurance maladie pour élaborer une nouvelle convention pharmaceutique ont abouti en mars. Après deux années d’opulence dues au coronavirus, les discussions ont porté moins sur les problématiques financières (reportées à fin 2023) que sur l’élargissement des compétences, avec l’instauration de nouvelles missions de santé. L’objectif de la nouvelle convention est de profiter des acquis de la crise pour accentuer le virage sur la prévention, le dépistage, l’accompagnement des patients… Concernant le volet économique, les syndicats pharmaceutiques font plus facilement abstraction des impacts des missions « Covid-19 » sur la rémunération que l’Assurance maladie, laquelle amalgame tout, sans distinction. La hausse des revenus de l’officine liée strictement à la dispensation des médicaments permet à peine de juguler l’inflation et « l’embellie de ces derniers mois ne doit pas faire oublier que la rémunération globale du réseau enregistrée juste avant la crise du Covid-19 en 2019 et 2020 était redescendue en dessous de celle de 2016 », glisse Philippe Besset.

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Fin 2023, ce discours sera-t-il entendu par la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) au moment de l’ouverture du deuxième round des négociations ? Si l’épidémie a disparu et n’impacte plus les composantes économiques habituelles de l’officine, il sera alors temps de stabiliser le nouveau modèle économique et de donner à toutes les pharmacies les moyens de mettre en place les nouvelles missions. Le besoin de revaloriser est étroitement lié à celui d’étoffer les équipes.

Se préparer psychologiquement

Quel que soit le scénario, il serait indécent de parier sur la poursuite de la crise sanitaire juste parce qu’elle est vectrice de marge et de rentabilité pour l’officine. « La période de pandémie du Covid-19 a été difficile professionnellement, certes, mais lucrative financièrement. Maintenant les pharmaciens doivent se préparer psychologiquement à travailler pour des rentabilités à venir nettement moindres, mais normales », lance Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. Par ailleurs, pour surmonter la hausse générale des prix et ses impacts sur les frais de personnel et les frais généraux, ils devront se montrer entrepreneurs et innovants. « Il faut profiter de l’apport de trésorerie engrangé ces deux dernières années pour investir dans l’humain et dans la transformation numérique des officines », conseille Joël Lecoeur, expert-comptable du cabinet LLA et président de CGP. Toute la difficulté est de se projeter dès à présent et d’appréhender les perspectives économiques alors que la pandémie de Covid-19 n’est pas tout à fait dernière nous.

CONTRIBUTEURS

PHILIPPE BESSET (FSPF)

OLIVIER DELÉTOILLE (AdequA)

JOËL LECOEUR (CGP)

PIERRE-OLIVIER VARIOT (USPO)

L’analyse

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pendant cette deuxième année de crise sanitaire, tous les acteurs de la chaîne de distribution du médicament ont franchi un nouveau palier de croissance de leurs activités sur le médicament remboursable.

Les progressions de chiffre d’affaires (CA) de l’industrie (+ 8,40 %), de la répartition (+ 7,14 %) et de la pharmacie (+ 7,65 %) se tiennent dans un mouchoir de poche (la fourchette est de 1,26 point). Les ventes directes se détachent : leur croissance est deux fois plus importante que celle des répartiteurs. L’explication saute aux yeux : le nouveau bond des médicaments chers. La distribution de ces médicaments échappe partiellement aux grossistes. En 2021, sur 99 références commercialisées en ville ayant un prix public HT supérieur à 3 000 €, 36 ont été distribuées à 100 % par le direct, parmi lesquelles 9 nécessitent de respecter la chaîne du froid (source : Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique). Cela a représenté 148 000 unités, soit une progression des volumes de 36 % par rapport à 2020. Avec un total de 157 000 unités en vente directe, 9 000 unités d’entre elles n’ont donc pas fait l’objet d’une distribution à 100 % en direct et certaines ont pu transiter par le grossiste.

L’analyse

Si l’évolution de la marge des pharmacies se situe bien en deçà des moyennes professionnelles des cabinets d’expertises comptable (CGP, Fiducial, KPMG, etc.), c’est parce que les données fournies par la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) n’intègrent que l’honoraire à la boîte, les honoraires de dispensation n’étant pas comptabilisés. Si les progressions des répartiteurs (+ 5,78 %) et des pharmacies (+ 4,32 %) sont inférieures à celle des ventes directes (+ 6,42 %), c’est parce que leur marge respective sur les médicaments chers est plafonnée : pour les répartiteurs, elle l’est à 32,50 € sur les médicaments remboursables et pour les pharmacies, à 97,63 € sur les produits de prix fabricant hors taxes (PFHT) supérieur à 1 930 €.

L’analyse

La poussée des médicaments chers sur les huit premiers mois de l’année assure la croissance de tous les acteurs de la chaîne de distribution des médicaments. Dans ces conditions, les ventes directes tirent toujours mieux les marrons du feu : chiffre d’affaires (CA) en hausse de + 18,74 % versus + 9,90 % pour l’industrie, + 7,90 % pour la répartition et + 8,96 % pour le réseau officinal. De plus, le circuit du direct a stabilisé son CA génériques sur cette période (- 0,06 %).

La contribution des ventes de génériques à la croissance du CA médicament remboursable des grossistes et des pharmacies reste appréciable.

L’analyse

Après deux années et demie d’opulence due au Covid-19, les problématiques financières sont rangées dans les tiroirs. Pour rappel, grâce aux missions liées à la crise sanitaire, chaque pharmacie a reçu en moyenne de l’Assurance maladie 95 000 € de plus sur l’année 2021 et 45 000 € de plus sur le premier quadrimestre 2022. Soit pour le réseau officinal : 1,5 Md€ d’actes liés au Covid-19 en 2021 et, à fin avril, 1 Md€ de plus au compteur en 2022, soit, en cumul, 2,5€Md€. Ainsi, sur le premier semestre 2022, le nombre des entrées en procédures collectives de pharmacies est à son plus bas niveau (source : Interfimo). Il est de 28 contre 32 pour le même semestre de 2021, soit une baisse de 12,5 %. Le nombre de plans de sauvegarde chute dans le même temps de 6 en 2021 à 4 en 2022 (- 33,33 %) et celui des redressements judiciaires de 8 à 2 (- 75 %). Seules les liquidations judiciaires progressent de 18 à 22 (+ 22,22 %), retrouvant le niveau de fin juin 2020.

La concentration du réseau officinal concourt aussi à la bonne santé des officines restantes. Au 1er septembre 2022, le réseau ne comptait plus que 20 809 officines (- 192 en un an, – 0,9 %, source : Fédération des syndicats pharmaceutiques de France), à la suite des fermetures sèches (restitution de licences sans cession), des regroupements et rachats de clientèle.