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UN MARCHÉ TONIQUE POUR L’OFFICINE

Publié le 5 septembre 2015
Par Chloé Devis
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Les compléments alimentaires sont devenus au fil des années un vecteur de croissance incontournable à l’officine. Mais face à une offre pléthorique soumise à une réglementation mouvante, bien vendre ces produits de santé particuliers ne s’improvise pas. Conseils et témoignages.

En captant 51 % de part de marché en valeur, la pharmacie est le premier circuit de vente de compléments alimentaires. Tous circuits confondus, ce secteur pèse 1,5 milliard d’euros de CA et a crû de 6,4 % en 2014. Les pharmacies enregistrent, à elles seules, une progression de 7,6 %, seuls les magasins spécialisés faisant mieux (+ 9,2 %). Ces chiffres confirment l’importance du conseil dans le domaine de la complémentation. Avec une carte maîtresse à jouer pour le pharmacien : « Après la beauté et la minceur au début des années 2000, ce sont les problématiques santé qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé, comme la digestion, le sommeil, les articulations, la circulation », observe Maha Sekkat, représentante du Synadiet (Syndicat national des compléments alimentaires).

Etre crédible pour fidéliser

Le phénomène est notamment lié aux récents déremboursements de médicaments, favorisant des comportements davantage tournés vers l’automédication et la prévention. Parallèlement, « le consommateur est devenu plus méfiant vis-à-vis du médicament, et se tourne de plus en plus vers les médecines douces dont les compléments alimentaires font partie », note Mathilde Scheuer, responsable du pôle médico-marketing chez Nutergia. « Les laboratoires traditionnels ont d’ailleurs eux-mêmes investi sur ce marché, à l’image de Bayer ou Sanofi », informe Julien Laborie, responsable marketing de Santé Verte.

Sur un marché qui se caractérise par une profusion d’acteurs et de références, « le durcissement de la réglementation permet de renforcer la crédibilité des produits et de garantir un haut niveau de sécurité, note Maha Sekkat. Mais ce cadre doit aussi permettre aux laboratoires de continuer à innover ». L’évolution des critères imposés par l’Europe en matière d’allégations oblige ainsi les laboratoires à de coûteuses mises à jour en termes d’étiquetage et les poussent à des contorsions sémantiques pour éviter les termes bannis, comme celui de « probiotique », au risque de semer la confusion. Dès lors, « le rôle du professionnel de santé n’en est que plus décisif pour informer et orienter les consommateurs », relève Francis Dauché, responsable de la communication de Merck Médication familiale. Avec des retombées économiques à la clé: « Dans la délivrance du bon produit au bon moment et en bonne quantité se joue aussi la plus-value de l’officine face à la concurrence d’autres circuits de distribution, et sa capacité à fidéliser », fait valoir Christian Seyrig, directeur général de Pileje.

Former l’équipe et valoriser le rayon

Reste que l’expertise du pharmacien doit être à la hauteur des enjeux sanitaires et éthiques sur un sujet qui prête le flanc aux polémiques médiatiques et face à des patients toujours plus informés. La formation du titulaire et de son équipe est à ce titre indispensable, qu’elle passe par les laboratoires eux-mêmes, les filières universitaires spécialisées ou encore l’offre des experts officinaux. « C’est au départ l’intérêt d’une de mes adjointes qui nous a amenés à développer le rayon des compléments alimentaires depuis 10 ans. Nous consacrons désormais plusieurs jours par an à la formation de nos collaborateurs dans ce domaine », témoigne Pierre-Henri Tarazzi, titulaire de la Pharmacie de la Plage à Hyères (Var). Pour la consultante Laure-Emmanuelle Foreau-Coffin, dirigeante de Praxipharm, « la pharmacie qui se lance pourra préférer au départ des produits grand public mais aura intérêt par la suite à se tourner vers des laboratoires plus pointus pour se différencier ». Xavier Moreau-Desfarges, titulaire de la Pharmacie de l’Epoque à Paris, a misé sur la largeur de l’offre afin de favoriser le bouche-à-oreille. Ce parti pris l’a amené, faute de place et afin de privilégier le conseil, à conserver ces produits derrière le comptoir. Reste que, selon Julien Laborie, « l’implantation d’un linéaire en libre accès booste les ventes ».

Pierre-Henri Tarazzi a lui-même opté pour la visibilité : « Les compléments alimentaires sont mis en avant dans un espace consacré aux médecines naturelles qui a pour écrin une bibliothèque en wengé. » Laure-Emmanuelle Foreau-Coffin invite à placer le rayon en zone tiède ou chaude. Ses recommandations ? « Bien distinguer les univers santé et beauté, identifier chaque segment en utilisant des termes compréhensibles par tous et adopter un système de rangement cohérent, de la tête aux pieds par exemple pour les références beauté. » Sans oublier de miser sur la saisonnalité à travers mises en avant et promotions.

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Enfin, la fidélisation se jouera également dans la capacité de l’officine à élargir ses compétences dans le suivi nutritionnel, à travers des services, comme par exemple des ateliers diététiques. De quoi continuer à surfer sur une tendance forte : selon l’institut Xerfi, les ventes de compléments alimentaires devraient progresser de 5 % par an en moyenne d’ici 2017.

Une consommation plus systématique

Femme, CSP+, âgée de 25 à 55 ans et plus, portée sur le bio: tel est, selon différentes études, le portrait-robot du consommateur de compléments alimentaires, plutôt stable au fil des ans. En revanche, la fréquence d’utilisation est en progression, ainsi que la variété des produits consommés. Dans les laboratoires, on émet l’hypothèse que les consommateurs découvrent les compléments alimentaires à travers un conseil professionnel pour un besoin spécifique, et une fois constatée l’efficacité du produit, en achètent ensuite dans d’autres segments et gammes de la marque.

3 QUESTIONS À

Guillaume André, pharmacien et chargé d’enseignement en nutrition appliquée à l’université de Nantes

Pourquoi développer le rayon des compléments alimentaires ?

L’offre de compléments alimentaires balaie quasiment toutes les thématiques de comptoir, sans passage obligé par la case « ordonnance ». Elle permet au pharmacien de proposer des alternatives ou des compléments aux médicaments avec la légitimité que lui confère son statut de professionnel de santé.

Quelles sont les contre-indications potentielles ?

Les compléments alimentaires sont encore trop souvent assimilés à des médicaments, y compris par les pharmaciens eux-mêmes. Cette confusion est entretenue par des laboratoires qui produisent les deux, sachant que les compléments alimentaires, dont les contraintes de mise sur le marché sont mineures, ne peuvent prétendre à l’efficacité des médicaments. Le marché a ainsi pâti d’un certain nombre de fausses promesses, par exemple sur le terrain de la minceur. Autre frein pour les consommateurs, le prix, puisque ces produits ne sont pas remboursés.

Quelles précautions prendre pour bien vendre ces produits ?

Le pharmacien devrait privilégier les références bénéficiant d’une allégation, ce qui signifie que leur efficacité au regard de leur indication a été démontrée. Il faut également bien connaître ses produits pour bien les conseiller, donc y avoir été formé. Enfin, en proposer à des prix raisonnables permettra de toucher des clients au pouvoir d’achat modéré dont les besoins en matière de complémentation sont parfois plus avérés qu’au sein de la population type des adeptes de compléments alimentaires.