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POUR OU CONTRE LE SUIVI DES PATIENTS SOUS AVK PAR LES PHARMACIENS

Publié le 5 mai 2012
Par Magali Clausener, Isabelle Guardiola et Laurent Lefort
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POUR

LAURE LECHERTIER RESPONSABLE DU DÉPARTEMENT POLITIQUE DES PRODUITS DE SANTÉ À LA MUTUALITÉ FRANÇAISE.

« La Mutualité est favorable à l’élargissement et au développement de nouvelles missions réalisées par les pharmaciens. Les AVK sont responsables du plus fort taux d’incidence d’hospitalisations pour effet indésirable en France et de 4 000 décès par an. Malgré les campagnes de sensibilisation et d’information, et le carnet de suivi mis en place par l’Afssaps, les accidents iatrogéniques liés aux anticoagulants restent un problème crucial. La coopération de tous les professionnels de santé doit permettre d’optimiser la prise en charge de ces patients et d’éviter des décès. Il n’y a rien de choquant à ce que les pharmaciens y participent. En aucun cas, le pharmacien ne va modifier la prescription. On ne lit rien de tel dans la convention pharmaceutique. Il doit seulement contrôler la réalisation de l’INR et procéder à des entretiens lors de l’initiation du traitement et au cours du traitement, en délivrant des conseils de bon usage. La Mutualité a été surprise par les réactions des médecins, concernant ce dispositif qui, rémunéré à hauteur de 40 euros, devra naturellement faire l’objet d’un protocole précis et d’une évaluation sanitaire et économique pour s’assurer de son efficience et de sa valeur ajoutée. Ces réactions montrent les difficultés de la coopération interprofessionnelle avec un acteur comme le pharmacien. Or il s’agit là de garantir une continuité et une cohérence des soins, en confortant d’une part, les missions des médecins et, en favorisant d’autre part, la prise en charge coordonnée par l’association de tous les professionnels de santé, dont font partie les pharmaciens. Les médecins voient cet accompagnement comme une substitution de leur travail. Cela fait écho à la polémique liée à la substitution des génériques en 1999. »

POUR

JEAN-MARIE VAILLOUD CARDIOLOGUE À MARSEILLE

« J’ai réagi sur mon blog*, car j’ai surtout été agacé par les communiqués incendiaires des syndicats de médecins, alors que l’adaptation de la posologie ne figure pas dans la convention pharmaceutique. Le texte m’a semblé équilibré et correct. Il borde bien le rôle du pharmacien. Je trouve que c’est plutôt une bonne idée que le pharmacien donne un conseil pharmaceutique. Un supplément d’information n’a jamais nuit à personne surtout quand il est fourni par quelqu’un qui connaît le médicament. Avoir une aide supplémentaire d’un professionnel de santé n’est jamais négatif. Je serais curieux de savoir combien de médecins donnent une bonne information sur les interactions médicamenteuses et alimentaires, le suivi biologique. Si le pharmacien peut apporter quelque chose à ce niveau en réalisant un véritable entretien, tant mieux. Il vaut mieux avoir un patient éduqué. Mais il faut que tout le monde joue le jeu, soit honnête et travaille avec un bon esprit. Il sera aussi intéressant de voir les résultats de cet accompagnement. La dernière étude « Einstein-PE » montre que malgré des protocoles de suivi d’INR rigoureux, sur un laps de temps défini (3, 6 ou 12 mois), l’INR n’est équilibré que 62,7 % de ce temps. Quant aux 40 euros payés aux pharmaciens, je m’en moque complètement. Les médecins disent qu’ils font ce suivi gracieusement, mais c’est notre métier ! »

POUR

LUCIEN BENNATAN PRÉSIDENT DU GROUPE PHR

« C’est l’an I d’une nouvelle ère pour la pharmacie : le pharmacien devient un acteur de santé proposant des services. Oui à la pharmacie service, non au pharmacien commerçant et discounter ! On sort de l’ornière dans laquelle on a essayé de nous enfermer – l’industrie pharmaceutique n’a pas intérêt à nous voir devenir orienteurs, acteurs de soins de premier recours et la grande distribution nous ramène systématiquement à un comparatif de prix – en prenant nos responsabilités, en acceptant d’être évalués, avec une obligation d’efficience, de formation. Ressembler à un pharmacien hospitalier, moi cela me va bien. Les médecins ? J’ai envie de dire « les pauvres ! ». Ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes. Ils ont organisé un élitisme parfait et complet. Ils sont concentrés dans les grandes villes et considèrent qu’exercer à la campagne, c’est comme aller s’installer dans le désert. Ils ne se sont pas opposés au paiement à la performance, ce qui aurait pourtant dû être un réflexe de base. En l’échange d’un comportement qui devrait être naturel (moins prescrire, mieux soigner), ils demandent à l’État de les subventionner. Finalement, à travers une convention de professionnels libéraux, petit à petit, ils rêvent de nationalisation. Quand vous parlez de meilleure prise en charge du patient, leur premier réflexe, c’est « combien vais-je perdre ? ». Seulement voilà, la loi HPST est passée et nous n’avons pas le droit de nous opposer aux attentes des consommateurs et des patients qui ont besoin de soins coordonnés. La rémunération de 40 euros est un peu chiche, le chiffre de 75 euros par an et par patient pour 3 consultations me paraissait être un chiffre plus satisfaisant, mais ne faisons pas la fine bouche. Ce chiffre de 40 euros traduit aussi la volonté syndicale d’entraîner le moins de différences possibles entre pharmacies. »

CONTRE

CLAUDE LEICHER MÉDECIN GÉNÉRALISTE, PRÉSIDENT DE MG FRANCE

« Ce qui nous pose problème, c’est l’attitude de l’Assurance maladie qui propose aux pharmaciens un forfait annuel de 40 euros par patient pour le suivi des AVK. Or, les médecins perçoivent un forfait de 40 euros pour les patients en ALD, soit la même rémunération que pour la surveillance d’une ligne – les AVK – sur l’ordonnance. Les généralistes font de la surveillance des AVK depuis toujours avec des patients qui nous appellent souvent en début de traitement. C’est un travail quotidien qui n’est pas rémunéré en retour. Le suivi en lui-même par le pharmacien nous convient parfaitement. Mais le travail du médecin est un petit peu plus compliqué que celui du pharmacien, il faut donc adapter sa rémunération. D’autant que les patients seront toujours sous notre responsabilité. MG France a toujours la volonté de rechercher la coordination et la meilleure coopération interprofessionnelle dans l’intérêt des patients, mais il faut prendre en compte le problème de la rémunération. Les pouvoirs publics doivent payer le suivi réalisé par les médecins. »

CONTRE

CHRISTIAN ZICCARELLI CARDIOLOGUE, PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DES SPÉCIALISTES DES MALADIES DU CŒUR ET DES VAISSEAUX (SNSMCV)

« Nous travaillons régulièrement avec les pharmaciens, mais le suivi des patients sous AVK par les officinaux nous inquiète car les traitements anticoagulants sont très difficiles à manier. Nous craignons que les pharmaciens puissent faire ce suivi sans prendre en compte les problèmes de iatrogénie, puisqu’ils n’ont pas accès au dossier médical et ne peuvent pas connaître toutes les pathologies. Les médecins rencontrent déjà beaucoup de difficultés à équilibrer ces patients. Et nous équilibrons les INR de façon régulière et gratuitement. C’est vrai que nous avons réagi à la lecture de la presse grand public qui parlait de l’adaptation des posologies par les pharmaciens et de leur rémunération de 40 euros. Si les pharmaciens ne font pas d’adaptation de posologie, s’ils facilitent l’observance des traitements par les patients et vérifient que les patients ont effectué leurs dosages biologiques – certains oublient de faire les prises de sang –, c’est plutôt bien. Mais vérifier l’INR deux fois par an sans tout connaître du patient nous semble moins bien. Il faudra voir la manière dont ce suivi par les pharmaciens est réalisé et qui fait quoi entre le pharmacien et le médecin. La coordination entre professionnels de santé doit se faire dans l’intérêt du patient. »

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POUR

FRANCIS MEGERLIN MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT ET ÉCONOMIE DE LA SANTÉ, FACULTÉ DE PHARMACIE PARIS-DESCARTES

« Environ 25 % des hospitalisations de cause iatrogène sont liées au mésusage des AVK, et 1/5e des patients sous AVK restent sans INR. L’enjeu sanitaire du suivi est donc très fort alors même que le diagnostic est posé et que la thérapeutique est définie. Cela réclame l’activation de toute la chaîne des soins de proximité pour répéter les messages et organiser la surveillance. Seule la coordination médico-pharmaceutique permet ce suivi rapproché de patients qui ont peu voire pas de contacts avec le personnel médical ou infirmier. Cette mission est donc une excellente chose pour tous, particulièrement là où le temps médical est rare, et quand les patients ne sont technologiquement ni « connectés » ni « connectables ». Certains pharmaciens eux-mêmes n’ayant pas encore compris l’évolution, on peut comprendre qu’elle inquiète des médecins qui ne s’en informent pas plus. Ils sont inquiets du contenu des pratiques officinales et s’interrogent sur le futur de leur revenu. Leur hostilité n’est pas légitime au vu de la problématique socio-sanitaire et éthique, et de la méthode retenue. Mais leur réticence est très compréhensible si l’approche, d’apparence fragmentée, n’est pas resituée dans son contexte : celui de la structuration progressive des soins primaires, de l’avènement des protocoles interprofessionnels et de l’évaluation de qualité. La réflexion doit mûrir des deux côtés. Je suis confiant, car nombre de médecins silencieux sont convaincus par ces perspectives et y travaillent. Dès lors que le service est tracé et évalué, le paiement de la compétence scientifique pour les entretiens structurés d’initialisation et de surveillance est légitime et nécessaire. C’est l’inverse qui serait absurde. Il s’agit bien d’un service de suivi thérapeutique, rendu par le pharmacien, sur rendez-vous, dans un espace dédié, selon un protocole défini, avec un rapport formalisé au médecin. Cela doit changer la relation du patient au pharmacien et la perception de la valeur du service rendu même si le patient ne contribue pas. Pour cette mission, la valorisation conventionnelle à 40 euros me semble raisonnable. La comparaison avec l’établissement médical d’un protocole ALD n’a pas de pertinence technique. En revanche, la question du pilotage du parcours de soins se pose. »

CONTRE

JEAN-PAUL HAMON MÉDECIN GÉNÉRALISTE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION MÉDICALE DE FRANCE (FMF)

« Nous sommes d’accord pour travailler avec les pharmaciens, favorables à ce que leur revenu soit amélioré mais ne comprenons pas que la diversification de leur rémunération passe par le suivi des patients sous AVK. J’en veux énormément aux syndicats pharmaciens et à l’Uncam de ne pas nous avoir consultés sur cette mission. Ce suivi est complexe. Il requiert l’intimité du cabinet médical et la connaissance médicale : lorsqu’un patient m’appelle, j’ai ses résultats d’INR sous les yeux et peux, si besoin, adapter les doses d’AVK. La part de patients à l’INR instable, nécessitant donc des contrôles plus fréquents et un suivi pointilleux, est non négligeable. De même que s’agissant de patients âgés, nous évaluons le risque d’initier ou pas ce traitement. Les médecins, généralistes ou cardiologues, effectuent ce suivi depuis des années quasi gratuitement, la synthèse annuelle par patient qui nous est demandée est rétribuée 1,25 euros…Comment un pharmacien va-t-il pouvoir interpréter les résultats et adapter les doses ? Il va alors nous solliciter, être rémunéré pour ce suivi quand nous ne le serons pas davantage ? J’ai interrogé des pharmaciens qui se déclarent incompétents pour suivre ces patients et ne pas comprendre la stratégie de leurs syndicats. Si le pharmacien veut faire médecine, qu’il aille à la fac. »

POUR

MICHEL CHASSANG MÉDECIN GÉNÉRALISTE, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS MÉDICAUX FRANÇAIS (CSMF)

« Nous sommes favorables à la coopération interprofessionnelle qui repose sur des accords nationaux et conventionnels et fait l’objet d’un protocole. Nous réclamons, en outre, la création d’un comité de suivi rassemblant pharmaciens, médecins et Assurance maladie et revendiquons d’en faire partie. Ce comité permettra un suivi de la bonne application du protocole sur le terrain. Dans ces conditions, nous sommes favorables au suivi des patients sous AVK par les pharmaciens. Il est logique qu’ils deviennent plus des professionnels de santé et moins des commerçants et que leur mode de rémunération se diversifie. Au sujet de la rémunération, les 40 euros rappellent étrangement la rémunération annuelle du médecin de 40 euros liée au travail de coordination et de suivi de ses patients en ALD. Ce choix symbolique est maladroit et aurait pu être évité. Mais nous n’estimons pas que cette mission confiée aux pharmaciens les mette en concurrence avec les médecins. Il s’agit plus d’un accompagnement dans la délivrance des médicaments et de surveillance des traitements. A nos yeux, c’est plutôt un avantage. »

CONTRE

AGNÈS PELLADEAU PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION AVK CONTROL

« Nous y sommes fermement opposés. Un mauvais suivi des AVK peut être mortel et ne peut être confié qu’à des médecins spécialisés qui ont l’habitude de les gérer. Certains généralistes s’en sortent à peine… Pour un patient sous AVK, la régularité du test INR est primordiale. Certains signes de mauvais dosages (bleus, saignements…) rappellent au patient qu’il doit aller au laboratoire. Ceux qui les connaissent ne le font pas toujours pour autant : pensez-vous qu’il ira le signaler à son pharmacien ? Lequel pharmacien n’a pas les compétences pour interpréter un INR. L’introduction d’un interlocuteur supplémentaire me semble néfaste et dangereux. Le patient doit avoir un intterlocuteur unique sinon il sera perdu. On doit réserver ce suivi à des spécialistes des anticoagulants. Pour le patient qui s’assume, nous revendiquons l’automesure de l’INR par des appareils adaptés. On infantilise trop le patient : il doit être informé, éduqué, responsabilisé et suivi par des structures spécialisées comme les CAC* (Cliniques des anticoagulants). C’est d’ailleurs le paradoxe de cette mesure, décidée alors que les CHU commencent à développer des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) qui ne se résument pas à deux séances par an. Se développent également des structures de télémédecine, mettant en lien patients, médecins et laboratoires et visant, là aussi, l’autonomie du patient. Les 40 euros versés aux pharmaciens pourraient plutôt financer ce type de programmes. »

POUR

MAGALI LEO CHARGÉE DE MISSION ASSURANCE MALADIE POUR LE COLLECTIF INTERASSOCIATIF SUR LA SANTÉ

« Sur le principe, nous n’y sommes pas opposés. Cela valorise le conseil prodigué par le pharmacien, une mission dont il s’acquitte depuis longtemps et qui n’était pas véritablement reconnue, et cela le positionne véritablement comme acteur de proximité. Le pharmacien a les moyens d’assurer le bon suivi des traitements. En revanche, s’il revendique ce rôle, proche d’un acte médical, il doit aménager des espaces de confidentialité dans son officine. Cette mission correspond, selon moi, à un transfert de compétence entre médecins et pharmaciens. Les médecins se plaignent d’être débordés et demandent plus de coopération mais, dès qu’il s’agit de passer à l’acte, se crispent. Sur ce sujet, ils ont communiqué en se disant les oubliés du système. Ils omettent de dire que la rémunération à la performance prévoit également, pour eux, une rémunération spécifique complémentaire des actes de prévention et de suivi. »

POUR

PASCAL LOUIS PRÉSIDENT DU COLLECTIF NATIONAL DES GROUPEMENTS DE PHARMACIENS D’OFFICINE

« Le suivi des AVK est un bon choix, il s’agit d’un domaine très précis lié à des résultats biologiques, la mise en garde est donc aisée. Le rôle du pharmacien peut en outre s’exercer en termes de conseils diététiques, d’interactions médicamenteuses ou de rappel de l’importance de l’observance pour un médicament à marge thérapeutique étroite. La somme de 40 euros, c’est un premier pas dont je dirais qu’il reste politiquement correct mais certainement insuffisant pour le travail qui nous attend. Indépendamment de ce montant, je me dis surtout que les pharmaciens vont devoir être proactifs. Il faut qu’ils osent proposer ce service à leurs patients. Les présidents de syndicats de médecins se trompent de message en adoptant uniquement une posture de protection de leurs adhérents. C’est surprenant de la part de MG France qui est le syndicat le plus ancré dans la coopération entre professionnels de santé. Quant à la réaction des cardiologues qui voient les patients une à deux fois par an grand maximum, elle démontre bien qu’il ne s’agit pas d’un problème économique. En fait, les médecins ont peur de perdre leur leadership sur la santé. Ce leadership, nous ne l’avons jamais contesté. A nous de leur expliquer que nous n’allons pas suivre les patients sans eux. Je suis confiant, car sur le terrain, quand par exemple on les aide à mieux surveiller la tension de nos patients communs, ils sont ravis. »

* http://grangeblanche.com

* http://www.avkcontrol.com/avk_france/creatif.html