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L’ÉCOSYSTÈME OFFICINAL SE DIGITALISE

Publié le 1 novembre 2014
Par Virginie Saurel
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La digitalisation de l’officine a été inscrite indirectement dans la convention d’objectifs et de gestion entre l’Etat et la CNAMTS 2014-2017 visant à l’amélioration du parcours de soins et de la connexion entre la médecine hospitalière et la médecine de ville. L’interconnexion entre les professionnels de santé, la notion de territoire de soins numérique, le suivi et l’accompagnement des patients, la prévention et le dépistage sont d’une brûlante actualité. Et leur faisabilité repose uniquement sur un développement coordonné des différentes ressources qu’offrent aujourd’hui les nouvelles technologies.

L’officine de demain sera totalement wifi avec une technologie mobile, ceci grâce aux tablettes professionnelles qui suivront l’opérateur où qu’il se trouve dans l’officine, en EHPAD ou au domicile des patients. Des avancées qui vont générer une économie de déplacement, de temps, de manipulations et donc, on peut l’espérer, une moindre fatigue, une plus grande efficacité et une plus grande disponibilité. Chez Mekapharm, qui commercialise robots (Omega), automates (Apotéka) et trieurs (Alpha), le regard porté sur le futur reste objectif : si la technologie nous permet potentiellement tout, l’environnement peut s’avérer un facteur de retard notable : l’ordonnance électronique n’est toujours pas d’actualité par exemple. Bénédicte Karpov, présidente du réseau Winpharma, voit l’avenir comme une combinaison de relations personnelles et humaines dans l’officine, couplées à du service 24 h/24 par Internet. Chez Tecnilab (robots et automates Twintec, Evotec et Dreamtec), on imagine une carte Vitale sophistiquée qui intégrerait les ordonnances et un système qui délivrerait l’ordonnance automatiquement dès la connexion de la carte avec le logiciel de gestion de l’officine. Dans cette mouvance, on a vu arriver en 2014 (déploiement prévu en 2015) le nouveau baladeur Ingenico de Visiopharm (499 € TTC) qui peut stocker 99 factures et 99 empreintes de carte Vitale.

Faciliter la gestion de la délivrance à l’unité

Le projet de dispensation à l’unité fait partie de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014. Ce dispositif est présenté comme permettant de lutter contre le gaspillage et de limiter l’antibiorésistance. « Ce mode de dispensation est déjà largement pratiqué dans d’autres pays, précise Sophie Roussel, responsable de la communication chez Alliadis. L’expérimentation permettra de mesurer l’acceptabilité des patients, la modification des volumes d’antibiotiques délivrés, les économies générées ou non, le temps et l’organisation nécessaires à la délivrance à l’unité, la réduction du volume d’antibiotiques stocké chez les patients. Bien entendu, cette modification du mode de délivrance suppose une adaptation du système de gestion du pharmacien (identification des produits pouvant être déconditionnés, gestion des stocks, inventaire, facturation, ordonnancier…). » Les SSII ne seront évidemment pas les seules impliquées dans la délivrance au comprimé. Certains automaticiens ont déjà une expérience de ce mode de délivrance via l’hôpital. Tel Mach 4 qui équipe une trentaine d’hôpitaux. « Une boîte est déconditionnée puis rechargée avec son nouveau contenu et elle est ensuite présentée à nouveau sur demande dans une sortie réservée aux déconditionnés, précise Bertrand Juchs, directeur général de Mach 4. La seconde problématique sera la délivrance au patient et le reconditionnement avec la traçabilité et les précisions d’usage nécessaires. Cette phase se fera hors robot. Mach 4 propose une machine, RPM 45 (35 000 €), qui reconditionne – surconditionne sous blister – les comprimés selon un mode proche de la préparation des doses à administrer. » Le logiciel Gelon (société Gollmann) permet également la gestion des boîtes déconditionnées. Même démarche chez Tecnilab, avec une extension logicielle intégrant une gestion des stocks déconditionnés, initialement conçue pour l’Irlande.

Des professionnels de plus en plusinterconnectés

La création des maisons et des pôles de santé (MSP) fait partie de la Stratégie nationale de santé. L’Observatoire des maisons de santé en prévoit plus de 1 000 en 2015. La division « professionnels de santé » du groupe Cegedim, dont les structures d’Alliadis Groupe font partie, propose une solution « full web » sécurisée et agréée HADS (hébergeurs agréés de données de santé à caractère personnel) qui permet d’interconnecter les différents outils métiers spécifiques de ses filiales : Mon Logiciel Médecin de CLM (médecins), Simply Vitale de RMI (paramédicaux) et Mon Suivi Patient d’Alliadis Groupe (pharmaciens) au sein d’une MSP, garantissant ainsi aux professionnels de santé une meilleure coordination des soins. Cette nécessaire interconnexion entre professionnels de santé voit arriver de nouveaux acteurs comme PegaSystems, spécialiste du « care management », qui propose une plate-forme e-santé collaborative pour définir, orchestrer et suivre des plans de soins dont certains sont préparamétrés (diabète, asthme, sevrage tabagique, sortie de l’hôpital…), intégrant des objets de santé connectés et permettant la personnalisation des programmes de soin en temps réel (réajustement des traitements pour une meilleure observance et une réduction des effets indésirables).

Le digital, c’est aussi la « business intelligence »

Pour Isipharm, le professionnel de santé doit pouvoir bénéficier de toutes les technologies qui sont déjà à la disposition du grand public, en particulier la recherche prédictive sur le web qui permet de trouver au plus vite et au plus juste le thème ou l’objet recherché à partir de mots et d’expressions propres à l’utilisateur. Le logiciel de gestion de l’officine (LGO) Léo possède une fonction de recherche prédictive sur les produits ou même les fonctionnalités. Le but : un gain de temps et une facilité de prise en mains du logiciel accru. Un bénéfice non négligeable quand on sait qu’un LGO comprend environ 1 600 fonctionnalités. Isipharm s’est aussi mise au tempo de la « business intelligence » : finies les compilations d’extractions et d’interprétations complexes et archaïques de données et de statistiques. Place à l’accès automatique et autonome à toutes sortes d’informations chiffrées naturellement interconnectées (au sein de la même officine, entre deux officines, au sein d’un groupement), avec comparaison avec les données d’une officine référente ou des données externes régionales ou nationales… Ceci avec un mode d’interrogation prédictif ouvert et non codifié. Le titulaire dispose donc d’outils de rapprochement « prêts à l’emploi » qui couvrent 90 % des besoins de pilotage d’une officine mais il peut aussi effectuer toutes les demandes complémentaires qui l’intéressent.

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Pas d’e-commerce sans une délivrance web sécurisée

De nombreux prestataires offrent aujourd’hui la possibilité d’une délivrance – et d’une livraison – via Internet. Isipharm propose une solution à ses adhérents mais on se montre réservé au sein de la SSII sur la finalité de ce mode de délivrance qui fonctionne à l’inverse des principes de l’e-commerce : zone de chalandise limitée car la pharmacie virtuelle est le prolongement de la pharmacie physique. Pour ce faire, Léo propose un site de vente en ligne interconnecté au LGO avec actualisation des stocks en continu. Il s’agit davantage pour la SSII d’un service au patient (gain de temps et d’efficacité) que d’une source de rentabilité pour l’officine. Dans le prolongement de ce type de services existent déjà des points de retrait des médicaments à l’extérieur de l’officine avec un accès par code à n’importe quelle heure et sans attente. La délivrance externalisée connectée à un robot est déjà possible chez de nombreux opérateurs dont Tecnilab. Pour Sophie Roussel (Alliadis) : « Un an après l’autorisation de l’e-commerce de médicaments, la question d’y aller ou pas ne se pose plus. Au regard des autres pays européens, en particulier l’Allemagne, il est logique de penser que l’e-commerce pharmaceutique représentera d’ici environ cinq ans un marché aux alentours des 500 M €, soit 10 % du marché actuellement en officine, sans compter un éventuel assouplissement de la réglementation. Les pharmaciens veulent-ils être les libraires, la FNAC ou les taxis de demain ? Ces acteurs n’ont pas pris assez tôt le virage du numérique et en subissent aujourd’hui les conséquences : les libraires ont été écrasés par Amazon, la FNAC par iTunes et les taxis par Uber. Et je pense qu’il est inutile de rappeler que l’e-commerce est l’un des seuls secteurs en perpétuelle croissance, qui a même doublé ces cinq dernières années. Alors certains peuvent penser que pour les médicaments ce ne sera pas pareil, qu’on a besoin de conseils, que lorsqu’on a mal à la tête on n’attend pas 48 heures… Ceux-là devraient probablement jeter un œil sur les marchands de vêtements ou de chaussures en ligne (Sarenza, Zalando), secteurs qu’on ne pensait pas “touchables” par l’e-commerce il y a quelques années. » Du coup, Alliadis a mis en place Pharmarket.com pour permettre au pharmacien de se lancer dans l’e-commerce sans avoir à en subir les contraintes : la SSII gère tous les aspects liés au web, le pharmacien reste concentré sur son métier (la délivrance et les conseils). Pour chaque produit commandé, il vérifie s’il est en adéquation avec l’état de santé du patient, il le délivre et l’expédie grâce aux outils fournis. L’étiquette d’envoi est préremplie et préaffranchie, pour qu’une commande Internet ne soit pas plus compliquée à traiter qu’une commande au comptoir, sans pour autant perdre en sécurité.

Les linéaires virtuels sont une réalité en officine

Déjà d’actualité en Europe, le linéaire virtuel (présentation des produits sur des écrans tactiles en lieu et place des étagères) est bien parti pour être une réalité de l’officine de demain. Il diminuera notablement la démarque inconnue externe, générera des économies en matière de gestion merchandising, rendra le client plus autonome, clarifiera l’offre et sa présentation, permettra un affichage des prix simple et immédiat. Présenté en avant-première par Mach 4 lors de l’édition 2014 du salon Pharmagora, ce système intéresse aujourd’hui de grands laboratoires et SSII. La première officine dotée d’un linéaire OTC entièrement virtuel a été installée en Allemagne. Un investissement de 6 000 € pour le logiciel et le premier écran est requis. Auquel il faut rajouter 4 000 € par écran supplémentaire.

Automesure, piluliers intelligents… : l’avenir passe par l’e-santé

La télémédecine au sein des officines est envisagée à terme comme un moyen de pallier la désertification médicale. Un système que pourrait assumer une société comme Medecindirect.fr qui se contente aujourd’hui de préconsultations et postconsultations sur l’initiative des patients. François Lescure, l’un des fondateurs de Medecindirect.fr et responsable du projet e-santé Sympad (20 officines concernées d’ici fin 2014 par ce système d’e-santé autonome), souhaite qu’il soit connectable aux LGO et via le LGO à d’autres professionnels de santé pour un accompagnement optimisé du patient en coordination de soins. En ce sens, Sympad est aussi un projet d’écosystème e-santé, incluant des appareils de mesure connectés (balance, tensiomètres, glucomètres, spiromètre, « dermatoscope », fond d’œil, laboratoire de biologie portable, INR…), la possibilité d’exposer et de vendre ou louer du matériel (packages en location à domicile qui pourront être pris en charge par les mutuelles) et des services associés (information patients, algorithmes décisionnels, questionnaires contextuels, conduites à tenir). L’écosystème sera disponible pour un coût de 100 à 200 €/mois selon le niveau d’équipement.

Robotik Technology propose aussi une solution e-santé au pharmacien : sa station e-Care est équipée d’une série de connectiques (Bluetooth, USB, carte SD) qui lui permettent de mesurer près d’une trentaine de constantes physiologiques (tension, glucose, température, coagulation et oxygénation sanguine, poids…) transmissibles. Les objets e-Care et e-Box (pilulier intelligent à domicile) sont connectés et reliés au portail web Eureka Care. Les informations y sont organisées et mises à la disposition des différents utilisateurs (patient, pharmacien, professionnels de santé…) Le « business model » (modèle économique) est fondé sur la location de l’un ou l’autre des dispositifs avec compte d’accès au service web Eureka Care (49,90 € pour 36 mois reconductibles). Il ne fait plus tellement de doute que les officines deviendront à terme des pôles de distribution et de conseils d’objets de prévention ou de suivi connectés : Withings, Omron, Roche Diagnostics, Lifescan, Sanofi, Medissimo, etc., offrent cette possibilité. François Lescure évoque par exemple la brosse à dents connectée de la start-up française Kolibree qui intègre un capteur en mesure de détecter l’importance de la plaque dentaire et la quantité qui disparaît après chaque brossage, les données étant bien entendu transmises sur smartphone. Mais il existe aussi une fourchette connectée pour le suivi des obèses et des textiles intelligents connectés (surveillance cardiaque, pression sanguine, délivrance de médicament, thermorégulation…).

Si Isipharm est déjà fortement investi dans l’e-santé à travers son projet d’amélioration de l’observance Pill-Tag conçu avec les équipes d’Orange Healthcare, lequel met en jeu l’interconnexion entre professionnels de santé, Pharmagest a quant à lui créé Ma Pharmacie Mobile, une application pour smartphone, un pilulier intelligent (Do-Pill) ou encore une filiale, Diatélic, qui développe des systèmes experts d’analyse de constantes pouvant être prédictifs de difficultés de santé. La SSII proposera bientôt un suivi patient partagé, Mon Web Santé (entretiens pharmaceutiques, dispositifs de conseil, suivi de constantes) reposant sur des interactions entre les applicatifs e-santé et le LGO. Enfin, Medissimo va lancer début 2015 son pilulier connecté iMedipac qui permet le partage des données d’observance via une plateforme e-santé. « Il s’agit d’un outil indispensable pour entrer dans le cercle vertueux de l’efficience grâce à un ajustement des prescriptions, une réduction des gaspillages, une amélioration de la qualité de vie des patients. Un moyen aussi pour le pharmacien de négocier la rémunération d’actes pharmaceutiques pertinents et évaluables dans le cadre de la coordination de services aux patients chroniques », déclare Caroline Blochet, fondatrice et dirigeante de Medissimo.