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DES TITULAIRES ENTRE CONFIANCE ET RÉSIGNATION

Publié le 27 octobre 2012
Par Isabelle Guardiola
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L’étude Direct Research a recensé également les opinions des titulaires au lendemain de la signature de la convention et à l’aube de la systématisation du dispositif « tiers payant contre génériques ». Et rappelle leur scepticisme d’alors. Retour sur la mise en place parfois laborieuse de ce dispositif sur le terrain et premier bilan quelques mois plus tard.

Au lendemain de la signature de la convention, les titulaires affichaient un certain scepticisme quant à leur faculté à atteindre l’objectif annuel de substitution et sur l’intérêt de la rémunération « à la performance », selon l’étude Direct Research. Qu’en est-il de leurs pratiques et opinions, quelques mois après l’application systématique du dispositif « tiers payant contre génériques » ?

En avril, on présentait aux pharmaciens la facture : 85 % de substitution à atteindre pour fin 2012. Les chiffres de l’étude Direct Research rappellent leur scepticisme : 60 % des titulaires interrogés jugent ce taux peu réaliste à atteindre à l’échelle de l’ensemble de la profession. On partait alors de 71 % en moyenne nationale… « Un vrai travail qui ne doit pas être sous-estimé, souligne Philippe Gaertner, président de la FSPF. On est sur la tranche du sommet, la plus difficile. » Signataire de la convention, il affirme que ce taux a été décidé de façon unilatérale : « Nous ne proposions pas du 75 %. Pour qu’il ait un sens, il fallait que ce taux soit supérieur à celui déjà atteint de 82 %. » Plus réservée est Françoise Daligault, présidente de l’UNPF : « Je trouve l’objectif énorme, on aurait pu mettre un palier inférieur, au moins pour cette année, et je ne suis pas convaincue, loin de là, que tout le monde bénéficiera de la prime à la performance… »

Un pessimisme qui rejoint l’avis de certains pharmaciens. Delphine Chadoutaud, installée à Orsay (Essonne), dit se sentir « prise en otage » : « Si on me laissait faire mon métier, mon taux de substitution à 70 % me conviendrait parfaitement. Vouloir dépasser à tout prix les 80 % devient dangereux. On a beau prendre des précautions, j’ai vu un monsieur prendre le médicament de son épouse, ou inversement, et des infirmières rechigner à utiliser les génériques… Les syndicats ont signé sur la peur. »

« J’ai le sentiment de faire marche arrière »

Pour autant, chacun s’y est mis. « En deux mois et demi, on est passé de 71 à 81 % de substitution, c’est exceptionnel ! », se félicite Gilles Bonnefond, président de l’USPO, qui estime que « l’on mesure qu’un accord est bon à ses résultats », et que « le sentiment d’incertitude qui accompagnait les pharmaciens devrait s’estomper ». La progression, qu’il qualifie de « spectaculaire », a été louée par les pouvoirs publics. « Je voudrais saluer le rôle des pharmaciens sur la place plus grande qu’ont progressivement pris les génériques, même si aujourd’hui nous devons aller plus loin », a déclaré Marisol Touraine le 5 octobre dernier lors de la journée de rentrée du Centre national des professions libérales de santé.

Sur le terrain, les pharmaciens témoignent de débuts un peu difficiles, comme Patrick Fabry, titulaire à Plouhinec (Finistère) : « En août, nous accueillions beaucoup de touristes et personne n’était au courant de l’application du dispositif. » Avec un taux de substitution qui a frôlé les 87 % en 2011, avant une baisse à 83 % en début d’année, il se montre confiant : « Grâce aux blockbusters entrés au Répertoire, on peut y parvenir. C’est plus difficile de travailler sur certaines molécules, comme par exemple les immunosuppresseurs : nous nous confrontons à une totale opposition des services de greffes qui nous demandent de suivre le traitement initié. »

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Lancement laborieux également pour Sandrine Dazin, installée à Saint-Amand-les-Eaux (Nord). Elle est passée de 79 % en mars à 68 % en juillet, avec une application du « tiers payant contre génériques », obligatoire au 1er septembre : « Les trois quarts de mes clients l’ont appris par les médias, sans que la consigne ne soit très bien expliquée et j’observe une flambée d’ordonnances estampillées “non substituable”. J’ai le sentiment de faire marche arrière. Je passe un temps fou à argumenter au comptoir : cela fait des années que les génériques sont sur le marché mais j’ai l’impression que c’est maintenant que l’on doit tout expliquer aux patients. » En cause, les médecins qui ne jouent pas le jeu, les chirurgiens-dentistes qui ne veulent pas génériquer les antibiotiques… et les consignes floues de la CPAM : « Le délégué de l’Assurance maladie nous a expliqué que l’on ne devait pas trop bouleverser les habitudes des patients CMU et qu’il valait mieux donner le princeps plutôt que de risquer une non-prise de traitement ou une seconde visite du patient pour se faire prescrire une molécule non généricable », poursuit Sandrine Dazin.

Des primes encore très abstractives

Autre résultat traduisant le pessimisme de la profession : près de 60 % d’officinaux se disent favorables à la rémunération « à la performance » (notamment ceux qui sont certains de toucher leur prime), mais, paradoxalement, ils ne sont que 43 % à considérer qu’elle sera une incitation positive à la substitution. « Le jour où ils toucheront le premier versement, reposons-leur la question : abandonne-t-on », ironise Philippe Gaertner, qui incite les pharmaciens à suivre les résultats molécule par molécule : « Surtout celles dont les chiffres étaient inférieurs sur le dernier semestre 2011. C’est sur elles que la capacité de progression est forte et leur permettra d’accéder à une prime plus élevée. » Même conseil donné par Gilles Bonnefond : « Les pharmaciens doivent sortir des 31 molécules prioritaires et chercher des niches et des molécules qu’ils ne substituent pas. » Le président de l’USPO estime que le paiement «  à la performance » reste encore abstrait, mais que les premières stimulations présentées aux pharmaciens par les caisses le rendront plus concret : « Les pharmaciens sont aguerris aux logiciels de suivi et d’accompagnement, et je pense que rapidement ils vont regarder s’ils peuvent améliorer leurs outils pour substituer davantage. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces paiements à la performance concernent toutes les professions de santé. C’est important que les pharmaciens soient dans une dynamique collective et pas à part, comme toujours. »

S’engager pour éviter un mauvais bilan 2012

Un conseil déjà suivi de longue date par Jean-François et Claire Le Quéré, titulaires au Barp (Gironde), qui, avec leur laboratoire partenaire, regardent les résultats en détail et les transmettent à l’équipe pour « faire des efforts sur les molécules en berne ». Leur taux a bondi de 78 à 83 % entre juin et juillet, dès l’application du dispositif. Dans ce canton semi-rural, les pharmaciens se sont concertés et ont pris l’initiative de contacter tous les médecins et d’informer unilatéralement leurs patients. Grâce à l’automate Apoteka, dont est équipée la pharmacie Le Quéré, en tapant le nom du princeps, sa DCI sort automatiquement ainsi que le nom du générique inscrit au Répertoire. La liste est mise à jour minutieusement avec les nouvelles sorties.

Même effort de dynamisation des ventes chez Delphine Chadoutaud, dont l’une des préparatrices a mis en avant les molécules prioritaires dans les tiroirs et qui use de pédagogie avec ses patients, avec une attention particulière à certains publics comme les infirmières ou les personnes âgées : « On leur prépare des tableaux pour leur simplifier la vie, comme si le générique avait toujours été le médicament utilisé. On repart à zéro ! Mais tous les pharmaciens ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, à Orsay les gens ont un pouvoir d’achat très important et ne sont pas gênés par l’avance des frais. » Chaque mot a son importance, confirme Jean-François Quéré : « On ne dit pas  » Cela ne vous dérange pas ?” ou “Est-ce que vous acceptez ce générique ?”, mais on présente la boîte en y inscrivant le nom du princeps. Inutile de poser un second problème au patient – il est déjà malade ! – en le plongeant dans la confusion. Nous avons fait six ans d’études pour devenir spécialistes du médicament, c’est à nous d’être clairs. De même qu’il est inutile d’insister face à un patient réfractaire au générique. »

Même effort de dynamisation des ventes chez Delphine Chadoutaud, dont l’une des préparatrices a mis en avant les molécules prioritaires dans les tiroirs et qui use de pédagogie avec ses patients, avec une attention particulière à certains publics comme les infirmières ou les personnes âgées : « On leur prépare des tableaux pour leur simplifier la vie, comme si le générique avait toujours été le médicament utilisé. On repart à zéro ! Mais tous les pharmaciens ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, à Orsay les gens ont un pouvoir d’achat très important et ne sont pas gênés par l’avance des frais. » Chaque mot a son importance, confirme Jean-François Quéré : « On ne dit pas “Cela ne vous dérange pas” ou “Est-ce que vous acceptez ce générique ?”, mais on présente la boîte en y inscrivant le nom du princeps. Inutile de poser un second problème au patient – il est déjà malade – en le plongeant dans la confusion. Nous avons fait six ans d’études pour devenir spécialistes du médicament, c’est à nous d’être clairs. De même qu’il est inutile d’insister face à un patient réfractaire au générique. »

Alors, tous sur la même ligne, tous confiants ou tous résignés ? « On s’engage parce que l’on veut éviter un bilan 2012 catastrophique », observe Delphine Chadoutaud. « Les calculs sont complexes*, s’inquiète Patrick Fabry. On n’en est pas du tout maîtres et l’Assurance maladie, à cet égard, est juge et partie. C’est elle qui va décider si on est performants et nous payer ! »

* Voir « Le Moniteur » n° 2950 (« Comment calculer vos primes »).