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UNE PLANTE SOUS HAUTE SURVEILLANCE
Tandis que la France hésite encore entre la condamnation pour détention de cannabis thérapeutique et son évaluation en vue d’une AMM, d’autres pays européens disposent déjà de réglementations encadrant la prescription, la dispensation et l’utilisation médicale de ce produit encore considéré comme une drogue de rue.
Fin janvier, l’Italie légalise le cannabis thérapeutique, suivie par la République tchèque au début du mois d’avril. Avant ces deux pays, l’Espagne, la Suisse et l’Allemagne avaient successivement emboîté le pas aux Pays-bas, précurseurs dès 2002 dans la dispensation du cannabis à usage thérapeutique. Car des études prêtent au cannabis et à ses dérivés une efficacité probable contre les nausées et vomissements (chimio-induits notamment), l’anorexie liée à certaines affections (VIH, cancer), les douleurs rebelles et les troubles du mouvement (dystonies…). Et d’autres indications sont parfois avancées comme les inflammations chroniques, la dépression ou le glaucome.
Dans une Europe qui assouplit peu à peu sa position vis-à-vis du cannabis thérapeutique, la France se trouve aujourd’hui isolée. Deux événements récents – et contradictoires – sont venus raviver le débat dans l’Hexagone. En février dernier, Marisol Touraine, ministre de la Santé, demandait à ce que le dossier d’AMM de Sativex – un spray à base de dérivés de cannabis déjà autorisé en Suisse et en Grande-Bretagne – soit étudié par l’ANSM. Quelques jours plus tard, le tribunal de Belfort condamnait à 300 euros d’amende avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve un homme de 40 ans atteint de myopathie qui demandait que son usage du cannabis soit reconnu comme une nécessité pour calmer ses douleurs. Le patient avait pourtant fourni une attestation du docteur François Ziegler, chef de service de neurologie de l’hôpital de Belfort-Montbéliard qui reconnaissait que la pharmacopée classique ne suffisait pas à soulager ses douleurs, alors que le cannabis était efficace. Ajoutant que ce n’était pas le seul patient dans ce cas. Et ce, dans un contexte français où l’usage, l’importation, la vente, le transport et la production du cannabis et de ses dérivés sont strictement interdits par la loi. Même si depuis 2001, 74 ATU nominatives pour le dronabinol (Marinol), cannabinoïde de synthèse, ont été délivrées dans le traitement des douleurs résistantes et des nausées et vomissements induits par les chimiothérapies anticancéreuses. En revanche, les huit ATU demandées pour Sativex ont été refusées.
Des avancées encore bien prudentes
Il serait abusif de dire que les lignes bougent radicalement en Europe dans l’usage médical du cannabis. Tout juste frémissent-elles sous l’impulsion des patients, et de médecins et de pharmaciens-chercheurs ralliés à leur cause. Les Pays-Bas s’y sont résolus pour assurer sécurité et qualité à des patients qui, jusqu’alors, s’approvisionnaient dans les « coffee shops ». Outre-Rhin, le tribunal administratif fédéral, saisi en 2005 par un patient invoquant le droit fondamental de tout citoyen de vivre sans douleur, a autorisé l’usage de cannabis sous dérogation. Sa dispensation est devenue effective à l’échelle fédérale en 2009. Même prudence en Suisse, où, en juillet 2011, un amendement à la loi sur les stupéfiants a autorisé l’utilisation et la dispensation de cannabis à des fins médicales. « Ce n’est qu’une fois que les programmes de traitement avec prescription d’héroïne furent achevés que l’on a commencé à s’intéresser à l’aspect thérapeutique du cannabis pour éviter les controverses », rappelle le Pr Rudolf Brenneisen du département de phytopharmacologie de l’université de Berne.
La consommation clandestine reste considérable
Tous ces pays s’efforcent de maintenir une frontière hermétique entre l’utilisation thérapeutique du cannabis et son usage récréatif, par des règles juridiques qui s’imposent au prescripteur, au dispensateur et au patient. En effet, à la différence des Etats-Unis et du Canada où le cannabis est distribué dans des dispensaires et des « compassion clubs » (clubs controversés qui mettent à la disposition de leurs membres du cannabis végétal pour un usage médical), les pays européens imposent un circuit très encadré par des réglementations d’exception supervisées par une autorité nationale le plus souvent rattachée au ministère de la Santé. Les Pays-Bas détiennent ainsi un « bureau cannabis » au sein du ministère. La prescription est toujours soumise à des conditions particulières pour des symptômes réfractaires aux traitements classiques. La dispensation est réservée exclusivement aux pharmaciens d’officine ayant fait une demande spéciale doublée d’une procédure d’enregistrement spécifique, aux pharmacies hospitalières pour l’Espagne et l’Italie. Dans de telles conditions, le nombre de patients bénéficiant de ce traitement à travers l’Europe reste anecdotique : 150 en Allemagne, 150 en Italie, 70 en Suisse, 1 500 à 2 000 aux Pays-Bas. Trop peu selon l’avis du Dr Franjo Grotenhermen pour qui « l’accès au cannabis thérapeutique révèle une grande injustice, tant entre les différents pays européens qu’à l’intérieur même des pays l’ayant autorisé. Sa prescription demeure soumise à de nombreuses restrictions et son usage reste très coûteux. » Ce médecin allemand fondateur de l’organisation IACM (International Association for Cannabinoid Medicines) ajoute que « tout adolescent peut être en contact avec le cannabis récréatif, alors que les personnes en fauteuil roulant qui en auraient besoin à titre médical n’y ont pas accès ». Résultat, en Allemagne comme en Suisse le nombre de patients clandestins se soignant avec du cannabis acheté illégalement reste considérable. Aucune donnée chiffrée n’émane de ces pays mais à titre indicatif, il y a cinq ans, une étude du ministère de la Santé néerlandais estimait à 15 000 le nombre de patients se fournissant encore au marché noir faute de prescription.
Un encadrement d’exception
D’autres évoquent un tourisme « médical » en provenance de France ou de Belgique. Ainsi, un médecin allemand évoque les visites de patients parisiens l’implorant de leur prescrire du dronabinol (préparation magistrale à base de THC synthétique), qu’ils achètent ensuite dans une pharmacie de Cologne avant leur retour à Paris en Thalys. Tandis que les patients allemands n’ont plus à recourir à de tels stratagèmes. « Quand j’ai appris que les coffee shops des Pays-Bas ne seraient plus ouverts aux touristes étrangers, j’ai décidé d’engager une procédure de demande officielle auprès du bureau des opiacés* à Berlin », raconte l’un d’eux. Car après avoir subi pendant de longues années les effets secondaires de son traitement, notamment de Vioxx, cet homme souffrant de spondylarthrite ankylosante a décidé d’essayer le cannabis médical. Non sans réticence. « Je n’avais jamais eu de contact avec cette plante. Pour moi, c’était une drogue et rien d’autre. Mais alors que les douleurs et les conséquences de mon traitement sont devenues insoutenables, ma femme qui avait lu un article sur le cannabis médical m’a convaincu de partir à Amsterdam. » Aujourd’hui, c’est en toute légalité que ce patient se procure chaque mois 60 g de cannabis auprès de son pharmacien. Il confectionne lui-même des capsules à base de gélatine. « L’autorisation de Berlin a changé ma vie », ajoute ce patient qui a cependant conscience d’appartenir à une catégorie privilégiée. Car l’Allemagne comme les autres pays européens maintiennent l’usage du cannabis médical dans un contexte d’exception. Outre des procédures de prescription et de dispensation contraignantes, le champ thérapeutique est limité à certaines indications : sclérose en plaques, cancers, HIV, épilepsie, troubles neurologiques, hyperactivité, spasticité importante, douleurs chroniques… Indications qui sont d’ailleurs quasi identiques à travers l’Europe. Pour autant, la sclérose en plaques est la seule indication retenue par les AMM et prise en charge par les caisses d’assurance maladie.
Sativex ou les débuts d’une timide standardisation
En dehors de la sclérose en plaques, les patients, qui ont obtenu une autorisation auprès de l’autorité nationale, doivent financer eux-mêmes leur traitement pour un coût mensuel d’environ 400 euros. Toujours dans un souci de vouloir cloisonner cannabis thérapeutique et cannabis récréatif, l’ensemble des pays européens délivrent du cannabis sous forme d’extraits de la plante et de ses inflorescences, et interdisent – exception faite aux Pays-Bas – sa consommation sous forme de cigarettes. Les seules formes galéniques autorisées sont l’infusion et l’inhalation en Allemagne, l’inhalation et la teinture en Suisse et en Italie. L’Espagne privilégie la prescription de Sativex, spray buccal du laboratoire Almirall qui devrait être également autorisé en Suisse à l’automne 2013. Doit-on voir dans la généralisation de Sativex la « normalisation » que les partisans de l’usage médical du cannabis appellent de leurs vœux ? Loin s’en faut, car son prix dissuade les caisses d’assurance maladie. En Allemagne, où il détient une AMM depuis 2011, Sativex fait l’objet depuis fin mars d’un litige entre le laboratoire Almirall et la fédération des caisses du régime général. Celle-ci refusant d’accorder à Sativex un remboursement supérieur à 150 euros pour un prix de vente de 464 euros, soit un coût annuel de 5 633 euros par patient. Motif invoqué : une amélioration du service médical rendu mineure au regard des traitements par baclofène ou tizanidine de la spasticité de la sclérose en plaques. Un énième revers pour les défenseurs du cannabis dans leur tentative de faire accepter ses bienfaits thérapeutiques.
* Bundesopiumstelle, littéralement bureau des opiacés, directement relié à la Bfarm (Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte), équivalent de l’ANSM.
Tilo Clemeur, Duisburg (Allemagne)« Sortir de l’illégalité »
Pour Tilo Clemeur, patient allemand qui souffrait de crises d’épilepsie, l’accès au cannabis médical a été une délivrance à double titre. « J’ai pu sortir de l’illégalité car j’étais obligé de m’approvisionner au marché noir ne pouvant faire face aux coûts du dronabinol. Et j’ai surtout vu mes crises s’espacer à tel point que j’ai pu reprendre une activité professionnelle. » Après une longue odyssée, Tilo Clemeur a rencontré un médecin réceptif et a obtenu l’autorisation de l’Etat fédéral de se soigner avec du cannabis. Mais surtout, habitant Duisburg, une ville qui compte quinze autres patients sous cannabis médical, il a eu la chance de trouver une pharmacie qui lui délivre chaque mois 22,5 g de cannabis d’une teneur de 7,5 % en cannabidiol (CBD) pour 6 % de THC (et donc moins d’effet psychotrope), au prix de 14 euros le gramme, soit le double du prix du cannabis vendu dans la rue. Un tarif volontairement imposé par le gouvernement pour dissuader la revente mais qui pèse sur le budget mensuel du patient non remboursé par l’assurance maladie. Tous les six mois, Tilo Clemeur envoie à l’autorité berlinoise le relevé de sa consommation jour par jour. « Je dois peser tout ce qui me reste y compris les déchets éventuels », précise ce cuisinier professionnel qui assure ne plus avoir eu de crise depuis sept ans.
Maria Heinrich, titulaire en Bavière« Beaucoup de paperasse administrative »
Bediol, Bedrobinol et Bedica sont trois des produits de la société néerlandaise Bedrocan à base d’extraits d’inflorescence de cannabis séchés livrés à la pharmacie de Maria Heinrich par son grossiste Phagro. La pharmacienne, titulaire de la Steigerwald Apotheke Geiselwind (Bavière) les commande en « just in time » pour l’un de ses patients. « A la suite d’un grave accident de voiture, ce patient souffrait de terribles douleurs neurologiques chroniques. Comme aucun traitement ne le soulageait, il m’a fait part de sa demande d’autorisation de cannabis médical auprès de l’autorité de contrôle de la Bfarm [équivalent de l’ANSM], à Berlin », explique Maria Heinrich. La pharmacienne qui n’hésite pas une seconde à venir en aide à son patient s’attelle aussi à la demande que doivent déposer les pharmaciens auprès de la Bfarm pour pouvoir dispenser du cannabis. « Beaucoup de paperasse administrative et de règles spéciales, différentes de celles des opiacés, sont à respecter dans la délivrance du cannabis », remarque la titulaire qui, comme son patient, se fait discrète dans cette officine rurale. « Il me présente ses documents – autorisation et pièce d’identité – et je lui remets le produit sans davantage de formalité. » La titulaire, qui regrette le prix élevé de cette thérapie (72 euros pour 5 grammes), précise que « le patient n’a pas d’ordonnance. Son autorisation de la Bfarm lui suffit pour être habilité à détenir du cannabis. »
Ralf Herrmann, Schwetzingen (Allemagne)750 euros par mois
Ralf Herrmann souffre d’hyperactivité. Il a consulté cinq pharmaciens avant d’en trouver un qui consente à lui délivrer du cannabis. « Je paie cash mes portions de 5 g. Je dois en prendre 50 g au total par mois selon ce que m’a prescrit le médecin lors de ma demande d’autorisation. Quand je n’en ai plus, je téléphone à la pharmacie qui en commande à son grossiste. Deux à trois jours plus tard, je passe prendre mon traitement chez mon pharmacien qui me remet une facture prouvant qu’il s’agit de cannabis médical. » Ralf Herrmann finance lui-même son traitement, l’indication thérapeutique d’hyperactivité n’étant pas retenue par l’assurance maladie. Soit 750 euros par mois pour un cannabis en provenance des Pays-Bas, contrôlé par le bureau cannabis du ministère de la Santé à La Haye.
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