Médicaments : le « score carbone », souffle du changement

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Médicaments : le « score carbone », souffle du changement

Publié le 24 mars 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Le gouvernement a décidé de s’attaquer à l’empreinte carbone des industries de santé. Pour ce faire, il vient de dévoiler un outil de calcul de l’impact des émissions de gaz à effet de serre générées par les médicaments, qui pourrait transformer le système entier et faire évoluer le rôle des pharmaciens. Mais tout dépendra de l’étendue de son application.

Pour répondre à la consommation française de médicaments, l’industrie pharmaceutique doit produire, chaque année, un peu plus de 3 milliards de boîtes, soit l’équivalent de 45 boîtes par Français et par an. Cela implique l’utilisation de près de 28 000 tonnes de principes actifs, de 220 000 tonnes d’excipients et de 115 000 tonnes d’emballage. On comprend dès lors pourquoi les activités liées aux industries de santé représentent actuellement 4 % de l’empreinte carbone de notre pays, soit la moitié de celle du système de santé dans son ensemble. Entre l’importation des matières premières, la production, le stockage, le transport, la vente en ville et à l’hôpital, etc., les émissions de gaz à effet de serre (GES) se multiplient.

Le gouvernement et l’Assurance maladie ont décidé de s’attaquer à cette empreinte carbone ces dernières années, en élaborant une feuille de route de planification écologique du système de santé. Pour savoir où porter les efforts, les émissions de GES des industries de santé ont été passées au crible par The Shift Project, pendant deux ans, avec le soutien de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) et du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCCAM). Cette association d’intérêt général a procédé à un travail de recherche qui a donné lieu, en janvier dernier, à la publication d’un rapport intermédiaire, dont les chiffres seront complétés d’ici cet été.

Les plus gros pollueurs

Une vaste base de données comprenant les quantités produites et consommées, les principes actifs, les excipients, les emballages, les modalités de stockage et de transport de chacun des 20 000 médicaments disponibles sur le marché français a été élaborée. En collaboration avec la start-up Ecovamed, The Shift Project a analysé les émissions de GES par principe actif. « 2 millions de tonnes de CO2 sont associées à la production de principes actifs. Le paracétamol, le macrogol, le lactulose et la metformine représentent à eux seuls la moitié de ces émissions », souligne le rapport. On y découvre aussi que « l’intensité carbone d’un principe actif est à peu près équivalente à celle de la production d’un smartphone ». Du côté des excipients, leur production émet près de 1 million de tonnes de CO2 par an, les collyres étant les plus polluants, suivis des formes liquides et de celles destinées à un usage cutané.

Le rapport s’est également penché sur les dispositifs médicaux : gants, seringues, pansements, produits pour l’incontinence, orthèses… Consommés massivement, ils nécessitent l’emploi de matières en quantités astronomiques : 158 000 tonnes de plastique, 75 000 tonnes de cellulose de bois, 21 000 tonnes d’acier par an… L’équivalent de 2,1 millions de tonnes de CO2.

Saluée comme un rapport essentiel par toutes les instances gouvernementales et de santé, cette publication de The Shift Project va permettre de déterminer des leviers efficaces de décarbonation de la production des médicaments et des dispositifs médicaux. Telle était d’ailleurs la volonté de l’Assurance maladie dans son rapport « Charges et produits » publié en juillet 2024, qui proposait diverses actions dont la limitation de la primo-délivrance des pansements à sept jours qui devrait entrer en vigueur dans les prochaines semaines, l’utilisation de dispositifs médicaux non-ouverts rapportés en officine, ou encore la création d’un outil d’évaluation de l’impact carbone du médicament.

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Un outil de calcul

Le « score carbone » a été dévoilé par le gouvernement au début du mois de février. Il offrira aux exploitants pharmaceutiques la possibilité de calculer de façon simple et opposable l’empreinte carbone des médicaments qu’ils commercialisent, sur l’ensemble de leur cycle de vie, de l’extraction des matières premières à la fin de vie du médicament. « Ce “score carbone” sera énoncé sous la forme d’un chiffre représentant l’empreinte carbone en kg de CO2 équivalent. Cette valeur sera déclinée par boîte, par unité et par journée de traitement standard – la dose définie journalière de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) », explique Sébastien Taillemite, président de la start-up Ecovamed, chargée de l’élaboration de l’outil de calcul.

Mais quelle sera la portée de ce « score carbone » ? « Pour l’heure, cette méthode n’est pas encore opérationnelle car la liste des spécialités auxquelles elle s’appliquera n’a pas été précisée par le gouvernement. Une fois que ce sera fait, la première étape de sa mise en application concernera les achats hospitaliers : les entreprises calculeront le “score carbone” de leurs médicaments, certifié par un organisme tiers, et le soumettront dans les appels d’offres hospitaliers. Tout cela va dans le bon sens, mais il est nécessaire que, derrière, l’État impose aux acheteurs de privilégier les médicaments qui ont fait le plus d’effort de décarbonation, même s’ils sont plus chers », précise Pascal Le Guyader, directeur général adjoint du Leem (Les Entreprises du médicament).

Mise sur le marché

Par la suite, le « score carbone » pourrait-il entrer en considération lors des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ? « Depuis le 1er octobre dernier, toute demande de mise sur le marché doit déjà comporter une évaluation du risque environnemental. Il s’agit des conséquences sur l’exposition au médicament et de ses capacités à persister dans l’environnement, mais cela ne comprend pas l’empreinte carbone, qu’il faut être capable de mesurer précisément avant de l’intégrer dans un processus d’approbation. Il faut par ailleurs garder à l’esprit qu’un médicament est, en premier lieu, destiné à soigner. C’est la condition qui primera quoi qu’il arrive, même si d’autres critères de mise sur le marché venaient à être intégrés par la suite », expliquait Catherine Paugam-Burtz, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), lors d’une table ronde organisée par The Shift Project à la suite de la présentation de son rapport.

Quelle que soit la décision prise, les laboratoires vont devoir se lancer dans une évaluation à grande échelle de leurs produits. Un travail de longue haleine. Mais d’ores et déjà des chiffres intéressants ont été communiqués, qui éclairent prescripteurs et pharmaciens sur les formes les moins polluantes de certains médicaments.

Priorité aux formes sèches

Ecovamed a ainsi pu établir que les formes sèches des médicaments sont à privilégier. Par exemple, le bilan carbone pour une dose de 1 g de paracétamol est de 38 g de CO2 pour un comprimé, de 151 g pour une solution buvable et 310 à 628 g pour une forme intraveineuse. « Un comprimé peut donc permettre un gain moyen de GES compris entre 75 et 90% », pointe Sébastien Taillemite. La start-up a également établi un constat intéressant concernant les inhalateurs. « Deux bouffées d’un inhalateur pressurisé correspondent à 2 km en voiture. Il est primordial de privilégier les inhalateurs à poudre ou à brumisat qui permettent de diviser par 20 les émissions de GES », continue le responsable.

À l’échelle des pharmaciens, la Cnam imagine déjà une nouvelle mission qui consisterait à proposer aux patients un médicament moins polluant qu’un autre. « Le pharmacien pourrait en effet s’emparer des résultats rendus par la méthode carbone dans le choix des produits comparables disponibles à l’officine. Une traduction concrète de cette évaluation pourrait consister à terme en la mise en place d’un “score carbone” directement sur les boîtes de médicaments. Cette évaluation visuelle permettra de faciliter la compréhension de l’impact sur l’environnement. Mais ce chantier ambitieux n’est pas encore ouvert à ce jour », détaille-t-elle.

Pharmaco-écologie 

Du côté des syndicats, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) souligne « le rôle important que les pharmaciens auront à jouer dans la décarbonation du système de santé. On peut envisager qu’une nouvelle mission de substitution vers des produits moins polluants nous soit confiée », explique son président Philippe Besset. Pour Nicolas Josselin, pharmacien et membre du groupe de travail écologie au sein de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), on peut ainsi supposer qu’un jour « les pharmaciens seront amenés à faire de la pharmacoécologie : analyser des ordonnances d’un point de vue écologique en plus de la vision pharmaceutique. Mais il nous faut des outils pertinents et surtout repenser l’ensemble du système qui n’est pas vraiment compatible actuellement avec l’écologie en santé ».

Garance Chamoux, auteure d’une thèse sur l’implication du pharmacien dans la transition écologique, va plus loin : « Il est impératif de se pencher sur la question de la rémunération du pharmacien. À l’heure actuelle, il est rémunéré au volume, mais pour aller vers plus d’écologie, il faudra l’encourager financièrement dans cette démarche. » En attendant, la jeune pharmacienne l’affirme : « Dans nos officines, nous avons déjà la capacité d’agir en profondeur pour lutter contre les émissions de GES, que ce soit à travers l’achat et la vente, la gestion des déchets ou encore la sensibilisation des patients. »

À retenir

  • 3 milliards de boîtes de médicaments sont produites chaque année pour la consommation française.
  • Le gouvernement souhaite réduire l’empreinte carbone de cette industrie de moitié d’ici 2030.
  • Il a mis au point un outil de calcul du « score carbone » des médicaments.
  • Ce score carbone va être utilisé dans un premier temps lors des marchés publics.
  • Il pourrait un jour être indiqué sur les boîtes.