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Réseaux sociaux et contenus santé : des femmes d’influence

Publié le 14 janvier 2023
Par Yves Rivoal
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Ces dernières années, des influenceurs et influenceuses santé se sont constitué des communautés fortes sur les réseaux sociaux en racontant leur maladie au quotidien. Une démarche quasi thérapeutique qui vise aussi à aider les autres patients à mieux accepter leur sort et à interpeller les soignants sur la dimension psychologique de la prise en charge. Rencontre avec quatre créatrices de contenu.

Ne l’appelez surtout pas « influenceuse ». « Ce terme est très connoté, et ne correspond pas à ce que je fais. Et je ne suis pas non plus partie m’installer à Dubaï, plaisante Juliette Mercier, alias Stomie Busy sur Instagram, qui préfère se présenter comme auteure et illustratrice. Agée de 33 ans, elle vit avec une poche greffée à l’intestin depuis une iléostomie en 2017. Tout ce que je fais, c’est raconter mon quotidien en dessins afin de faire sourire, d’informer et de dédramatiser au sujet de ma maladie. » Ses dessins ont d’ailleurs été publiés dans une BD intitulée Ma Crohn de vie, histoire d’une rescapée à l’intestin malade (éditions Leduc).

Toutes les créatrices de contenu santé que nous avons sollicitées le reconnaissent : si elles ont investi les réseaux sociaux, c’est d’abord pour s’aider elles-mêmes. Et elles le font le plus souvent avec humour. C’est ce ton décalé qui explique en grande partie le succès du blog dessiné Tchao Günther, tenu de 2014 à 2018 par Lili Sohn. Cette Strasbourgeoise s’est vue diagnostiquer à l’âge de 29 ans un cancer précoce du sein. « Sur mon blog, je racontais sous forme de petites histoires tout ce qui était en train de m’arriver. Le fait de traiter avec dérision des moments douloureux était pour moi une manière de faire passer la pilule, reconnaît-elle. Cela m’a aussi aidé à me reconstruire physiquement et mentalement. Avant mon opération de reconstruction, je n’avais plus qu’un sein. Je me suis amusée à me comparer avec la Vénus de Milo dans une série intitulée La Vénus de Milolo. »

Une vie normale

L’autre fil conducteur qui guide l’engagement de ces ambassadrices santé sur les réseaux sociaux, c’est la volonté de montrer que l’on peut vivre normalement avec sa pathologie. « Sur mon compte Instagram, je poste des photos qui prouvent qu’avec le diabète on peut tout faire puisque j’ai couru le marathon de New York en 4 h 18 et participé à un trek de trois jours dans la jungle au Costa Rica, confirme Léonor Marchand, diagnostiquée diabétique de type 1 (DT1) à l’âge de 24 ans. Je donne aussi beaucoup de conseils pratiques, du style comment gérer sa glycémie lorsque l’on boit de l’alcool en soirée ou lorsque l’on se prépare à voyager… » Coralie Alabert, alias coco_and_podie, ambitionne aussi, à travers le compte Instagram qu’elle anime depuis 2017, de changer le regard des gens sur sa maladie. « Quand vous effectuez des recherches relatives au DT1 sur Google, vous tombez sur des images horribles, souligne cette jeune femme de 27 ans, diagnostiquée dès l’âge de 9 ans. Dans mes posts, j’attache donc un soin particulier à l’esthétisme des visuels. Lorsque vous montrez une jeune femme souriante qui porte fièrement sa pompe à insuline, vous changez la perception des personnes qui ne connaissent pas la maladie, et vous motivez les patients qui en souffrent. »

Dans l’univers des diabétiques, coco_and_podie est aussi connue comme celle qui va prendre son bâton de pèlerin pour combattre les préjugés sur une maladie encore trop souvent associée à l’obésité ou à la surconsommation de sucre. « J’ai, par exemple, réalisé avec deux amis une vidéo intitulée “Stop à la diabétise” qui compile les énormités que l’on entend tous les jours et explique ce qu’est la réalité d’un diabétique », souligne-t-elle. Une réalité racontée sans fard. « Sur mon compte, je montre les bons et les mauvais moments, assure Léonor Marchand. Le post qui a été le plus liké l’année dernière est celui où je confiais que je n’arrivais plus à gérer mon diabète et que j’avais demandé à être hospitalisée une semaine pour suivre une insulinothérapie fonctionnelle. »

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Au fil des années, ces inspiratrices santé ont réussi à fédérer des communautés importantes. Léonor Marchand affiche plus de 5 000 followers sur son compte Instagram, coco_and_podie 6 800, Lili Sohn 15 000, Stomie Busy plus de 100 000… Et elles mesurent pleinement l’impact de leur engagement. « Chaque semaine, je reçois une trentaine de messages de gens qui me félicitent pour mon travail et mon humour, de patients qui me remercient pour l’aide que je leur apporte ou qui me racontent leurs difficultés… », note Juliette Mercier. Léonor Marchand reçoit, elle, une vingtaine de messages par jour. « Les diabétiques me disent que je mets des mots sur des ressentis qu’ils n’arrivent pas à exprimer, ou que grâce à mon compte Instagram, ils se sentent moins seuls et invisibles », souligne-t-elle.

Dans leur rôle

Toutes veillent toutefois à ne pas sortir de leur rôle. « Dans mes BD, je ne me substitue jamais aux médecins, assure Juliette Mercier. Je n’aborde pas les sujets comme : comment fonctionne la maladie ou quel protocole mettre en place pour la soigner. Je me concentre sur la vulgarisation de l’image de la stomie et les questions pratiques : comment je peux m’habiller normalement ou comment aider une personne qui n’accepte pas sa stomie… » Léonor Marchand est sur la même longueur d’onde. « Dans mes posts, je ne recommanderai jamais à un patient de baisser de deux unités sa dose d’insuline sous prétexte que cela a fonctionné pour moi, assure celle qui, à la ville, est responsable du développement de la marque Yves Rocher en Amérique latine. Dès que j’ai des questions médicales, je renvoie systématiquement vers le diabétologue. En revanche, nous avons un rôle essentiel à jouer dans l’accom­pagnement au quotidien et dans la prise en charge de la dimension psychologique, qui est malheureusement encore trop souvent inexistante chez les médecins, alors qu’à mes yeux elle devrait être obligatoire. »

Pour Lili Sohn, les créateurs de contenus sur les réseaux sociaux et les professionnels de santé sont complémentaires. « Comme j’avais besoin de comprendre ma maladie et les produits que l’on m’administrait, j’ai commencé dans mes BD à expliquer en langage compréhensible des termes médicaux compliqués, précise-t-elle. J’ai en effet toujours considéré que, si les médecins possèdent la connaissance scientifique, les patients détiennent, eux, leurs ressentis, et qu’ils doivent comprendre ce qui leur arrive pour adhérer au traitement. Il faut croire que mon travail avait du sens puisque mes oncologues m’ont avoué qu’ils conseillaient à leurs patientes de lire mon blog. »

Une forme de reconnaissance

Depuis la publication de ce dernier en bande dessinée sous le titre La Guerre des tétons, Lili Sohn multiplie d’ailleurs les collaborations. « La Ligue contre le cancer a, par exemple, fait appel à moi pour interpeller les politiques face au cancer, confie-t-elle. L’Institut Curie m’a sollicité pour expliquer la reconstruction mammaire et ses différentes techniques à travers la “websérie” Chuis pas docteur. Coralie Alabert est, elle, invitée à témoigner dans des hôpitaux et des conférences. « J’ai notamment participé en mai dernier au congrès Diabète 2.0 à Chartres (Eure-et-Loir) où je me suis exprimée sur l’impact des réseaux sociaux dans l’éducation thérapeutique et sur l’aide qu’ils peuvent apporter aux soignants, raconte-t-elle. C’est la première fois que j’intervenais en tant que créatrice de contenus aux côtés de professionnels de santé. J’y ai vu une forme de reconnaissance, et les échanges ont été extrêmement enrichissants. »

Nos quatre créatrices de contenus reconnaissent d’ailleurs que la maladie et leur engagement ont changé leur vie. « Si je n’avais pas été diagnostiquée DT1, je n’aurais probablement jamais couru le marathon de New York, admet Léonor Marchand. Le fait d’avoir constitué autour de moi cette communauté m’a donné une force et une détermination insoupçonnées, ainsi que l’envie de m’engager dans l’association Type 1 Family que je préside et qui ambitionne de fédérer et d’inspirer les malades et leurs proches. Et aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être utile. » Coralie Alabert a même décidé de quitter son travail pour se consacrer à plein temps à sa communauté et à la cause des diabétiques. « Ma maladie est devenue une passion. Est-ce que je pourrais en vivre ? Je ne sais pas. J’ai des contacts avec des partenaires potentiels et des tas de projets dans la tête. Je prépare notamment le lancement d’une chaîne YouTube qui donnera la parole aux diabétiques. »