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Recherche : faut-il miser sur le repositionnement de médicaments ?
Plus rapide et beaucoup moins cher que le développement d’une nouvelle molécule, le repositionnement de médicaments possède sur le papier bien des avantages. Mais sur le terrain, le développement des recherches patine.
Acide acétylsalicylique, citrate de sildénafil, dexaméthasone, metformine, nitisinone, thalidomide… « Délivrer un médicament dans une pathologie autre que son indication d’origine se pratique depuis que la pharmacologie existe », rappelle Eddy Pasquier, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en oncopharmacologie et codirecteur de l’équipe Pharmacologie moléculaire inversée en oncologie pédiatrique qui vient d’être créée au Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM), Bouches-du-Rhône.
L’histoire de la pharmacopée est peuplée d’exemples de repositionnement réussis. Le repositionnement présente en effet deux grands avantages. « Il permet d’accélérer le passage en clinique et d’économiser de l’argent car les développements s’appuient souvent sur les données collectées sur les mécanismes d’action, la sécurité et l’efficacité du traitement dans l’indication d’origine », explique Virginie Hivert, responsable de la supervision du projet REMEDi4ALL chez Eurordis. Ce gain de temps et d’argent peut même être colossal. « Pour repositionner le propranolol sur les neuroblastomes, les angiosarcomes et les sarcomes des tissus mous, il nous a fallu six ans et moins de 3 millions d’euros », révèle Eddy Pasquier.
Accélérer les recherches
Le repositionnement est possible dans toutes les aires thérapeutiques. « Mais il prend tout son sens dans les pathologies où les besoins médicaux ne sont pas satisfaits ou pour améliorer la vie de patients atteints de maladies rares », précise Virginie Hivert. C’est d’ailleurs pour accélérer les recherches que le projet REMEDi4ALL a été lancé, l’année dernière, avec l’appui de la Commission européenne. « Nous travaillons sur des projets portés par des chercheurs ou des cliniciens en collaboration avec des patients champions, confie-t-elle. Le premier vise à tester le potentiel d’une combinaison d’acide valproïque et de simvastatine sur le cancer du pancréas. Deux autres concernent l’utilisation du losartan dans l’ostéogenèse imparfaite et celle du tazarotène dans le déficit multiple en sulfatases (DMS). »
En 2013, EspeRare, une biotech suisse à but non lucratif spécialisée dans le repositionnement de médicaments sur les maladies rares, a lancé des travaux sur le rimeporide. « Le développement de ce médicament, qui devait traiter l’insuffisance cardiaque congestive, a été arrêté par les laboratoires Merck avant les essais de phase 2 pour insuffisance de résultats, rappelle Florence Porte-Thomé, cofondatrice et directrice recherche et développement de cette organisation privée. A l’issue d’une recherche dans la littérature scientifique, nous nous sommes aperçus qu’il pourrait être efficace dans la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD). Les études précliniques et cliniques de phase 1 ont validé que le rimeporide retardait la progression de la pathologie cardiaque, y compris la fibrose et l’inflammation, et qu’il avait aussi des effets protecteurs sur les muscles squelettiques et le diaphragme. »
Au CRCM de Marseille, Alice Carrier mène des études pour tester la perhexiline dans le cancer du pancréas. Administrée pour traiter les angines de poitrine, cette molécule a été abandonnée en France dans les années 1980 pour sa neurotoxicité et son hépatotoxicité. « Nos travaux de recherche ont pour objectif de mieux comprendre la biologie de l’adénocarcinome canalaire pancréatique afin d’identifier les vulnérabilités thérapeutiques de cette pathologie, raconte cette directrice de recherche du CNRS. Nous avons découvert que le métabolisme des mitochondries avait besoin d’acides gras pour fournir l’énergie aux cellules tumorales. Après avoir testé différents inhibiteurs de l’oxydation des acides gras, nous avons montré qu’en associant la perhexiline à la gemcitabine, nous induisions une régression complète de la tumeur chez certaines souris. »
Pharmacologie inversée
Eddy Pasquier a, lui, fait du repositionnement de médicaments dans l’oncologie pédiatrique, son cheval de bataille. Convaincu par le potentiel de cette approche, le chercheur décide, il y a une dizaine d’années, de la systématiser. « Avec le propranolol, nous avons eu de la chance car nous sommes partis, comme souvent, d’une découverte fortuite, souligne l’oncopharmacologue. Pour nous affranchir de ce facteur chance, nous avons développé une logique de pharmacologie inversée qui utilise le médicament comme un outil moléculaire pour révéler les vulnérabilités dans la biologie des cancers, détaille-t-il. Nous criblons à haut débit des milliers de médicaments différents afin d’identifier de nouvelles combinaisons susceptibles d’être efficaces en association avec la chimiothérapie dans les cancers pédiatriques et dans d’autres types de cancers. » Cette stratégie commence à porter ses fruits. « Nous avons, dans les tuyaux, des dizaines de combinaisons qui semblent présenter un intérêt, notamment dans les gliomes pédiatriques, les médulloblastomes et les neuroblastomes. Sur ces trois pathologies, des essais cliniques pourraient démarrer rapidement, si nous parvenons à trouver des partenaires et des financements… »
Plafond de verre
Malgré toutes ces promesses, le repositionnement de médicaments conduit, en effet, trop souvent à une impasse. « On exploite à peine 10 % de son potentiel, regrette Eddy Pasquier. La principale barrière, c’est que nous travaillons, en général, sur des médicaments qui ne sont plus brevetés ou qui ne sont pas allés jusqu’à l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Beaucoup d’études précliniques, malgré des résultats très prometteurs, s’arrêtent au stade de la clinique car aucun industriel n’accepte d’investir des millions d’euros dans un essai pour une molécule qui ne lui rapportera rien. Le repositionnement est aussi souvent associé à une science de seconde zone, la pharmacologie étant un domaine de la recherche médicale moins considéré que la biologie pure. »
Sur le terrain, c’est à un véritable plafond de verre que sont confrontés les chercheurs. « Nous discutons avec des partenaires industriels pour lancer un essai clinique de phase 2 afin d’évaluer l’efficacité du rimeporide chez les patients atteints de DMD, révèle Florence Porte-Thomé. Mais actuellement, les biotechs et les “Big Pharma” préfèrent s’orienter vers des thérapies plus innovantes. »
Alice Carrier, de son côté, est confrontée à une autre difficulté. « La perhexiline n’ayant plus d’AMM en France, il est impossible de lancer un essai clinique pour son repositionnement dans le cancer du pancréas. Alors que les résultats de nos études précliniques se sont révélés prometteurs dans une pathologie où le taux de survie à cinq ans est de 11 % », rappelle la directrice de recherche qui compte désormais sur des confrères australiens pour faire avancer sa cause. « En Australie, la perhexiline est toujours utilisée pour soigner les angines de poitrine. Une équipe de chercheurs vient de publier, dans le journal Molecules, un article qui arrive aux mêmes conclusions que les miennes. Ils sont en train de lancer une procédure pour démarrer un essai clinique. »
Pour Eddy Pasquier, la découverte de biomarqueurs spécifiques et prédictifs pourrait contribuer à redonner de l’intérêt économique au repositionnement de médicaments. « Grâce à eux, les laboratoires pharmaceutiques et les biotechs pourraient lancer des essais avec des tests compagnons susceptibles d’être brevetés et utilisés en clinique parallèlement, ce qui permettrait de valoriser économiquement les recherches », explique l’oncopharmacologue. En attendant, les choses ont beaucoup de mal à avancer. Néanmoins, « le repositionnement a de l’avenir car nous n’avons pas encore percé tous les secrets des médicaments. Quand ils arrivent dans un organisme ou une cellule, ils ne se contentent pas de se fixer sur la cible mise en évidence au départ. Nos travaux ont montré que, souvent, c’étaient des cibles non prévues qui étaient responsables des effets thérapeutiques. Il est donc certain que des médicaments développés dans une indication donnée ou des molécules arrêtées en phase 1 ou 2 pourraient être exploités dans d’autres pathologies », conclut-il.
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