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Qui résistera le mieux ?

Publié le 29 novembre 2003
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Vent de panique dans la communauté scientifique mondiale. En juin 2002, un staphylocoque doré résistant à la vancomycine, l’un des plus puissants antibiotiques disponibles, est isolé chez un dialysé. Comment en sommes nous arrivés là ? Qui du scientifique ou des bactéries résistera à cette confrontation ?

Un mauvais usage de la substance aboutirait à ce que, au lieu d’éliminer l’infection, on apprenne aux microbes à résister à la pénicilline et à ce que ces microbes soient transmis d’un individu à l’autre jusqu’à ce qu’ils en atteignent un chez qui ils provoqueraient une pneumonie ou une septicémie que la pénicilline ne pourrait guérir. » Dès 1945, Alexander Fleming, le père de la pénicilline, avait envisagé le scénario catastrophe qui allait se produire quelques décennies plus tard. Car les bactéries ont une fâcheuse tendance à ne pas se laisser faire. Pas vraiment surprenant puisque ces micro-organismes sont eux-mêmes à l’origine de la production d’antibiotiques. Pour survivre dans ces conditions, ils doivent aussi savoir se protéger contre les substances qu’ils sécrètent.

Deux types de résistance.

A côté des résistances naturelles ou intrinsèques d’une bactérie à un antibiotique donné, il existe aussi une résistance génétique acquise. Le premier cas de figure est représenté par la mutation chromosomique. Elle reste rare (10 %) et ne se transmet qu’à la descendance de la bactérie concernée. Il s’agit d’une transmission verticale. Ce mécanisme de sélection de mutant est notamment mis en cause dans la résistance du bacille tuberculeux à la streptomycine et à la rifampicine.

Le second cas de figure concerne le transfert d’un fragment d’ADN (un plasmide ou un transposon) d’une espèce bactérienne à une autre même de parenté très éloignée. Il s’agit d’un mécanisme de transmission horizontale. Ce procédé permet à la bactérie d’acquérir différents gènes. Chacun d’entre eux peut être à l’origine d’une résistance à une famille d’antibiotiques distincte ! Cette « voie royale » pour les multirésistances est aussi la plus fréquente. Les staphylocoques, les streptocoques et les entérocoques l’affectionnent.

Usage abusif chez l’homme comme chez l’animal.

Les antibiotiques sont trop et mal prescrits, à des patients qui interprètent à leur convenance les durées et règles d’utilisation. Lorsqu’un malade est traité par des antibiotiques, des résistances peuvent se développer au niveau des bactéries qui composent les flores commensales (flore du tube digestif, flore génitale). Ces résistances sont ensuite transférées à des bactéries pathogènes. A l’hôpital, non seulement le niveau de prescription est élevé mais, de plus, la dissémination des résistances est facilitée par la densité de malades infectés, les déplacements et les gestes thérapeutiques de ceux qui les soignent.

La distribution d’antibiotiques aux animaux par les aliments, également incriminée, est pour l’instant autorisée par la réglementation sous deux types de statuts : en tant qu’additif dans un aliment supplémenté et en tant que médicament vétérinaire dans un aliment médicamenteux. Ces antibiotiques, en sélectionnant la flore du tube digestif, optimisent la digestibilité de la nourriture et accélèrent la croissance et la prise de poids.

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La responsabilité de l’addition d’antibiotiques dans la nourriture destinée aux animaux des élevages intensifs est parfois contestée sous prétexte que les antibiotiques sont employés à une dose largement inférieure à la concentration minimale inhibitrice et qu’il existe un délai légal d’attente entre leur administration, l’abattage et la consommation de la viande.

Seulement voilà, les antibiotiques modifient l’écologie du système digestif et sont éliminés dans le milieu extérieur par les déjections, sous une forme non dégradée. On peut alors les retrouver dans l’eau d’arrosage ou de boisson. « Bien que les antibiotiques autorisés en tant qu’additifs aient un pouvoir sélectionnant faible en comparaison de certains antibiotiques utilisés en thérapeutique, comme les tétracyclines et les pénicillines, leur emploi est susceptible de sélectionner des bactéries résistantes », confirme un rapport de l’AFSSA du 19 octobre 2000, rédigé par le groupe de travail « Alimentation animale et sécurité des aliments ».

Peu à peu les choses s’arrangent. La liste des additifs de la catégorie antibiotique autorisés a été réduite à peau de chagrin au cours des dernières années. En Europe, depuis janvier 1999, seules deux molécules antibiotiques sont utilisables en tant qu’additifs ou facteurs de croissance. Ce sont l’avilamycine et le flavophospholipol, qui ne correspondent à aucune molécule utilisée en médecine humaine ou vétérinaire.

« En 2006, aucune molécule antibiotique ne sera plus utilisée comme facteur de croissance en France et dans le reste de l’Europe », précise Hélène Aubry-Damon, médecin microbiologiste au département des maladies infectieuses à l’Institut national de veille sanitaire.

Des pistes de recherche tous azimuts.

Aucune révolution thérapeutique marquante n’est attendue avant plusieurs années et la classe d’antibiotique la plus récente, les oxalidinones, dont le représentant (linézolide) est disponible à l’hôpital, fait déjà l’objet de résistance.

Face à ces difficultés, des choix astucieux émergent. Pour communiquer entre elles, les bactéries utilisent des moyens qui leur permettent de contrôler l’évolution de leur nombre et d’adapter leur comportement à l’environnement. Une équipe de chercheurs américains a notamment mis en évidence la faculté pour une bactérie de modifier son comportement individuel en fonction de la taille de la population. Les bactéries sécrètent en effet des phéromones. Selon l’intensité de ce signal hormonal, elles expriment certains gènes ou en inhibent d’autres et revoient ainsi leur multiplication à la hausse ou à la baisse.

D’où l’idée de mettre au point des molécules qui miment une phéromone bactérienne ou qui bloquent les systèmes de captage des signaux de l’environnement. Mais il est difficile d’être sélectif et, qui plus est, des bactéries dont l’organisme a besoin pourraient disparaître.

Une autre technique consiste à empêcher la fixation de la bactérie à la cellule hôte.

Les chercheurs comptent également sur le séquençage de génomes bactériens, la modélisation moléculaire et la chimie combinatoire, qui permet de synthétiser à partir d’une molécule de départ un grand nombre de dérivés, ouvrant la voie à des antibiotiques totalement nouveaux capables de frapper des cibles précises.

La transformation d’une bactérie pathogène en bactérie non pathogène pourrait aussi voir le jour grâce à des agents bactériens inhibant les facteurs responsables. De son côté, l’étude des mécanismes de défense des insectes contre les bactéries a permis de mettre en évidence des peptides qui dirigent leurs attaques vers la membrane bactérienne. Les bactériophages, des virus tueurs de bactéries, intéressent de plus en plus les chercheurs. Enfin, de nombreux espoirs reposent sur la stimulation du système immunitaire et la recherche vaccinale.

Pourtant, il ne fait pas l’ombre d’un doute que les temps futurs s’annoncent difficiles. Les recherches en antibiothérapie piétinent, une aubaine pour les bactéries qui ont la route libre pour poursuivre leur évolution vers la résistance, sans antibiotique nouveau pour les contrer. Et une fois acquise, la résistance peut être irréversible.

Qu’est-ce qu’un antibiotique ?

Un antibiotique est une substance naturelle produite par des bactéries contenues dans le sol ou par certains champignons. Il peut aussi être d’origine synthétique. Quatre mécanismes d’action caractérisent les antibiotiques.

– Perturbation de la formation de la membrane bactérienne : bêtalactamines, glycopeptides, fosfomycine, bacitracine.

– Destruction de la membrane cellulaire : polymyxines

– Inhibition de la synthèse protéique : macrolides, tétracyclines, aminosides, chloramphénicol, acide fusidique.

– Blocage de la réplication de l’ADN (fluoroquinolones, nitro-imidazolés, sulfamides, triméthoprime, rifamycine) ou de l’ARN (rifampicine) bactériens.