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L’influence du microbiote intestinal sur l’effet des médicaments
L’influence du microbiote intestinal sur l’effet des médicaments est un sujet de recherche en plein essor. Les premières données scientifiques sont prometteuses, mais le périple qui conduira à l’émergence de nouveaux traitements s’annonce long.
« Depuis le début des années 2010, il y a réel un regain d’intérêt pour cette thématique, confirme Roland Fabrice Lawson, maître de conférences en pharmacologie à la faculté de pharmacie de Limoges (Haute-Vienne) et responsable de l’axe de recherche microbiote et transplantation au sein de l’unité de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) 1248. Elle a même donné naissance à une nouvelle science, la pharmacomicrobiomique, qui se positionne à la frontière de la génomique, de la pharmacologie et de la microbiologie afin de mieux comprendre et structurer les interactions entre microbiote et médicaments. » Les premières données publiées sont prometteuses. « Elles démontrent que l’ensemble des micro-organismes vivant dans notre intestin peuvent effectivement modifier le métabolisme des médicaments, en les rendant actifs, inactifs, toxiques, ou influer sur leur efficacité », souligne Marie-Laure Laroche, professeure de pharmacologie clinique à la faculté de médecine de Limoges et responsable du centre régional de pharmacovigilance et de pharmacoépidémiologie.
Des métabolites actifs et inactifs
Dans le domaine de la formation de métabolites actifs, des travaux ont mis en évidence que la sulfasalazine (SSZ), utilisée en gastroentérologie pour le traitement de la rectocolite hémorragique et de la maladie de Crohn, ainsi qu’en rhumatologie pour la polyarthrite rhumatoïde, était métabolisée par les azoréductases bactériennes. « Ces enzymes portées par des bactéries du microbiote digestif génèrent deux produits actifs : un anti-inflammatoire, l’acide 5-aminosalicylique, et un antibiotique, la sulfapyridine, explique Roland Fabrice Lawson. Il a été prouvé que l’effet anti-inflammatoire de la sulfasalazine était porté par l’action de ces azoréductases bactériennes. Autrement dit, un patient qui serait déficient en bactéries avec ces enzymes perdrait l’efficacité anti-inflammatoire du médicament. »
Le microbiote peut également rendre inactifs certaines spécialités. « C’est le cas, par exemple, de la digoxine qui est administrée pour traiter l’insuffisance cardiaque, note Roland Fabrice Lawson. Ce médicament est métabolisé par une enzyme du microbiote portée par une bactérie appelée Eggerthella lenta. Celle-ci est capable de réduire la digoxine en dihydrodigoxine, qui est, elle, inactive. Par conséquent, les patients possédant un pool important de cette bactérie peuvent ne pas répondre au traitement. »
Des travaux ont également été menés pour étudier l’influence du microbiote sur la gemcitabine, une chimiothérapie employée notamment dans le cancer du pancréas. « Il y a une dizaine d’années, il a été démontré que la gemcitabine pouvait être métabolisée par certaines bactéries, expliquait le Pr Harry Sokol, gastroentérologue et hépatologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, lors d’une intervention à l’université des microbiotes. Des chercheurs ont essayé de voir si cette métabolisation pouvait être impliquée dans la résistance à cette chimiothérapie. Après avoir constaté une forte augmentation de la quantité des bactéries dans le tissu pancréatique des patients atteints d’un cancer, ils ont administré à des modèles murins, en association avec la gemcitabine, un antibiotique qui ciblait les entérobactéries, notamment certaines Escherichia coli. L’effet a été majeur puisque son administration a permis de détruire les bactéries intratumorales et d’obtenir finalement des concentrations de gemcitabine beaucoup plus élevées et des effets antitumoraux plus importants. »
Une influence toxique
Dans certains cas, le microbiote peut aussi transformer une molécule active en un métabolite toxique. « Un cas est aujourd’hui bien documenté : celui de l’irinotécan, souligne Roland Fabrice Lawson. Cet anticancéreux administré dans le traitement du cancer colorectal est fréquemment associé à des troubles gastro-intestinaux. On pense que le cycle entérohépatique de cette molécule qui dépend de l’activité des bactéries portant la β-glucuronidase est impliqué dans la survenue de ces troubles. Des essais chez le petit animal ont montré qu’en inhibant cette enzyme bactérienne on pouvait prévenir la toxicité gastro-intestinale de l’irinotécan. »
Le microbiote peut enfin avoir un impact sur l’efficacité d’une molécule, sans pour autant la modifier ou la métaboliser. L’exemple le plus spectaculaire de ces dernières années, rapporté par Harry Sokol, c’est celui de « l’immunothérapie anticancéreuse avec les checkpoints de l’immunité. Les cellules tumorales expriment des molécules qui interagissent avec des récepteurs présents notamment sur les lymphocytes T pour les inactiver et entraîner une inactivation de l’immunité. Les inhibiteurs de checkpoint immunitaire ont pour mission de bloquer ces interactions afin de réactiver le système immunitaire du patient. » Le microbiote jouant un rôle clé dans la réponse immunitaire en général, des chercheurs ont comparé le microbiote de patients répondeurs et non répondeurs à l’immunothérapie anticancéreuse dans le cadre d’un mélanome malin. « Ils ont observé que, chez les non-répondeurs, la diversité du microbiote était plus faible, confie le professeur. Les patients présentant une diversité plus élevée obtenaient une bien meilleure survie sans progression et aussi des concentrations plus importantes d’une bactérie appelée Faecalibacterium prausnitzii. » Pour savoir si c’était réellement le microbiote qui agissait sur la réponse à l’immunothérapie, ces chercheurs ont injecté à des souris des microbiotes de patients répondeurs et non répondeurs, ainsi que des cellules cancéreuses. « Les souris avec des microbiotes de patients non répondeurs ont moins bien répondu à l’immunothérapie et affichaient des quantités de Faecalibacterium prausnitzii plus basses », relève-t-il.
Pour le gastroentérologue-hépatologue, ces résultats sont très intéressants. « Ils suggèrent qu’en modifiant le microbiote nous pourrions améliorer la réponse à l’immunothérapie. Ce concept a d’ailleurs été testé dans deux études publiées en 2020 et 2021 portant sur des patients avec mélanome réfractaire à l’immunothérapie. Après une transplantation de microbiote fécal, 3 patients sur 10 dans la première étude et 6 sur 15 dans la seconde ont récupéré une réponse à cette immunothérapie. Ce qui est spectaculaire et porteur de beaucoup d’espoirs, ces études ayant identifié deux bactéries particulièrement intéressantes : la fameuse Faecalibacterium prausnitzii et Akkermansia muciniphila. »
Au stade des promesses
Pour Roland Fabrice Lawson, le champ de la pharmacomicrobiomique recèle effectivement des promesses. « Le jour où nous serons en capacité d’inclure les données issues des interactions entre microbiote et médicaments dans nos modèles de pharmacocinétique, nous pourrons améliorer les stratégies d’ajustement posologique des médicaments, et nous orienter vers une pharmacothérapie de précision. Cette approche devrait donner naissance à de nouvelles stratégies thérapeutiques fondées sur de nouveaux prébiotiques, probiotiques, postbiotiques ou symbiotiques qui embarqueront tous une ou plusieurs bactéries ou substances issues du microbiote intestinal. »
Mais pour décrypter la variabilité individuelle du microbiote et les dynamiques complexes à l’œuvre entre microbiote et médicament, il reste beaucoup de chemin à parcourir. « Il faudra au moins une bonne dizaine d’années avant de voir émerger ces nouvelles thérapies de précision, prédit le chercheur. Nous n’en sommes aujourd’hui qu’au stade des publications scientifiques qui mettent en avant des observations sur l’implication du microbiote dans la variabilité des réponses au traitement, mais qui ne sont pour l’instant pas toutes transposables dans l’état en clinique. Il faudra développer une approche pharmacomicrobiomique structurée à toutes les étapes de la vie d’un médicament, en commençant par étudier les interactions entre microbiote et médicament dès les phases précliniques. Cela permettra de sécuriser en amont les process et d’éviter la survenue d’un certain nombre d’effets indésirables », conclut Roland Fabrice Lawson.
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