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L’efficacité contestée de trois antidépresseurs

Publié le 8 mars 2008
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Selon la revue « Plos-Medicine », la fluoxétine, la paroxétine et la venlafaxine, antidépresseurs de nouvelle génération, seraient à peu prêt inefficaces. Si la pilule est dure à avaler pour les industriels, le mot d’ordre des spécialistes de la dépression reste le même : ne surtout pas arrêter son traitement de son propre chef.

L ‘information a fait beaucoup de bruit. Et a dû rendre perplexes nombre de patients. La fluoxétine, la paroxétine et la venlafaxine seraient inefficaces. C’est Plos-Medicine qui le dit. Selon une méta-analyse publiée par cette revue internationale connue pour son sérieux scientifique, ces trois antidépresseurs de nouvelle génération ne semblent pas apporter de bénéfice significatif par rapport à un placebo dans le traitement de la dépression. « Il semble y avoir peu de preuves disponibles pour prescrire ces antidépresseurs, sauf chez les dépressifs sévères », écrivent les auteurs de l’étude.

La méta-analyse du Pr Kirsch, psychiatre à l’université de Hull au Royaume-Uni, et de ses collègues américains compile les données d’études réalisées entre 1985 et 1992. Du côté des laboratoires, forcément, on tousse. « Sur les 170 études ayant réuni 14 000 patients dont Deroxat a fait l’objet, seules 16 d’entre elles ont été reprises pour cette méta-analyse, nuance le Dr Jean-Yves Lecoq, directeur de la communication de GSK France. Cela dit, on prend toutes les analyses très au sérieux, et là, on tente de comprendre. »

L’étude parue dans Plos-Medicine n’y va pas avec le dos de la cuillère : « La relation entre la sévérité initiale de la dépression et l’efficacité relative des antidépresseurs est attribuée à une perte d’efficacité de l’effet placebo dans la dépression très sévère, plutôt qu’à une meilleure réponse au traitement médicamenteux. » Pour l’Afssaps, « cette méta-analyse n’apporte pas d’informations fondamentalement nouvelles sur l’efficacité des antidépresseurs et ne remet pas en cause leur balance bénéfice/risque. Il est bien connu depuis de nombreuses années que l’effet placebo peut avoir une certaine efficacité dans la dépression d’intensité légère. En revanche, l’efficacité des antidépresseurs dans la prise en charge de la dépression d’intensité modérée à sévère est réelle, bien que modérée sur l’ensemble des patients traités… »

50 % de prescriptions seraient inadaptées

Le Dr Marc Girard, spécialiste du médicament, psychothérapeute, a un avis bien tranché sur la question : « La méta-analyse s’est penchée sur 4 molécules [dont 3 sont commercialisées en France, NdlR] mais c’est un problème de classe. Ces antidépresseurs modernes sont trop prescrits. Leur efficacité, seulement symptomatique, a été surévaluée. On a fait pression sur les généralistes pour qu’ils prescrivent plus d’antidépresseurs et moins de benzodiazépines en se fondant sur une réputation usurpée de soi-disant bonne tolérance. La dépression légère est un mal-être, mélange d’anxiété, de déprime et de mauvais sommeil. Avant, on traitait le mal-être avec les benzodiazépines qui étaient très efficaces. Il y a eu un report de prescription dans les années 1980-1990. Et l’Afssaps a sa part de responsabilité en diabolisant les benzodiazépines. »

« Je crois aux antidépresseurs, affirme le Dr Alain Meunier, psychiatre et président de SOS Dépression. Ce ne sont pas 50 % des antidépresseurs qui sont des placebos, mais 50 % des prescriptions qui sont inadaptées. Le psychiatre que je suis passe plus de temps à retirer des antidépresseurs qu’à en prescrire ! Nous avons tous notre part de responsabilité : les laboratoires font la course à l’AMM, les généralistes, faute de temps, diagnostiquent une dépression en moins de 15 minutes. Quant aux psychiatres, nous avons été incapables de définir ce qu’est réellement la dépression. Résultat, on est face à une nébuleuse. Sur dix appels à SOS Dépression, seuls deux justifient un traitement antidépresseur. Pour faire un diagnostic, la clinique est insuffisante. On additionne des signes, alors qu’en recherchant soigneusement les causes on ferait beaucoup moins fausse route. Evidemment, les laboratoires restent très discrets sur ce point. »

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Un problème dont est consciente l’Assurance maladie. L’URCAM de Lorraine-Champagne-Ardenne a par exemple lancé en octobre une campagne de communication pour faire connaître la dépression auprès du grand public et améliorer la prise en charge par les généralistes. Une étude menée en 2003 avait montré que 60 % des patients interrompaient leur traitement prématurément. « Admettre sa dépression, c’est déjà très difficile sur le plan social, fait remarquer le Dr Herique, médecin-conseil à la direction générale du service médical du Nord-Est. Alors, allez savoir si votre dépression est légère ou sévère… »

« Tout sauf arrêter brutalement son traitement »

« Sur le terrain, une annonce comme celle-ci ne touche pas la cible qui devrait réagir. Au contraire, elle génère une fantastique culpabilité chez les vrais malades, note Alain Meunier. D’habitude, on explique qu’il y a un risque d’accoutumance. Là, on dit que cela ne sert à rien. On peut imaginer le désarroi… En revanche, le chef d’entreprise qui prend du Prozac comme de la vitamine C ne va pas modifier son comportement d’un iota. Les antidépresseurs ont évité à des générations l’hospitalisation à vie. Alors, oui, c’est vrai, on n’a rien inventé depuis l’Anafranil ! Si ce n’est que les effets secondaires sont de moins en moins présents et les effets collatéraux (du type psychostimulant) recherchés. On est bien d’accord, c’est aussi un avantage pernicieux. »

« Le marché est friand de ce genre d’annonce médiatique et Internet dissémine massivement de l’information, fait remarquer Jean-Yves Lecoq. Auprès du grand public, c’est à double tranchant. Cela peut contribuer à créer un climat de défiance (« On nous cache des choses, les médicaments ne sont pas sûrs, il n’y a que le profit qui compte… »). » Danièle Girault, directeur médical chez Wyeth, ajoute : « Il y a un risque évident d’amalgame pour les patients. Mais en pratique, cette vague n’a pas déclenché le raz-de-marée auquel nous nous attendions dans nos centres de renseignements et d’information médicale. » Ce que confirment Lilly et GSK. Pas de mouvement de panique majeur non plus sur la ligne de SOS Dépression.

« Les pharmaciens auraient quand même intérêt à communiquer collectivement auprès des patients, en leur disant « Vous avez entendu parlé de ce souci, il n’y a pas péril en la demeure, mais parlez-en. » Tout sauf arrêter brutalement le traitement », suggère Patrick Wierre, titulaire à Jeumont (Nord), qui se demande si le millepertuis ne pourrait pas constituer « une alternative remboursable dans certaines indications, notamment les cas les plus légers ».

« Les officinaux doivent rassurer les patients sur l’intérêt de leur traitement, tout en les ramenant vers une connaissance de leur maladie », conseille Alain Meunier. « Les atouts des pharmaciens sont insuffisamment utilisés dans l’éducation thérapeutique. Mais il y a un tel manque d’habitude pour les médecins et les pharmaciens des grandes villes à travailler ensemble… », déplore le Dr Herique.

Au final, « il faut respecter les recommandations sur la prescription des antidépresseurs, le bon usage du médicament, et veiller à une bonne communication dans le cadre de l’AMM », esquisse Danièle Girault. Seulement voilà, « cette étude soulève aussi des questions auxquelles il faudra répondre sur la manière dont les médicaments sont mis sur le marché et sur la façon dont les essais d’évaluation sont rapportés », font remarquer les auteurs de l’étude. Vaste programme !

Repères

Les vrais chiffres de la dépression

-5 à 15 % de la population française touchée en 2008.

-Les femmes ont deux fois plus de risque que les hommes. Elles sont également plus exposées aux rechutes et à la chronicisation de la maladie.

-Tranches d’âge les plus à risque : les 18-25 ans dans les deux sexes, les 45-54 ans chez les femmes et les 35-44 ans chez les hommes.

-Le risque de suicide est décuplé.

-Le montant des remboursements d’antidépresseurs pour le régime général a été de 468 millions d’euros en 2004.

-Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine ont représenté 1,6 % des ventes des laboratoires aux officines en 2006.

Source : ministère de la Santé.