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Le péril gène
On ou off. L’expression des gènes est influencée par certains facteurs extérieurs, avec un impact sur la santé. Par quels mécanismes ? Quels leviers activer pour prévenir certaines pathologies ? Des experts font le point sur l’épigénétique, une discipline qui constitue un terrain d’investigation prometteur pour la recherche.
L ’épigénétique consiste à étudier les processus qui participent à la modification potentielle de l’expression des gènes, mais de manière réversible et sans changer la séquence de l’ADN », rappelle Xavier Coumoul, professeur de toxicologie à l’université Paris Cité et directeur de l’équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) Metatox. Les mécanismes moléculaires à l’œuvre sont clairement identifiés depuis une vingtaine d’années. « Les trois principaux, la méthylation de l’ADN, la régulation des microARN et de la chromatine peuvent agir en même temps, ou séparément, pour entraîner la dérégulation de l’expression d’un gène qui va elle-même favoriser l’apparition de pathologies métaboliques, tumorales ou de la reproduction », note Xavier Coumoul.
Le rôle de l’environnement
Tous ces processus sont influencés par l’environnement nutritionnel, chimique, cellulaire ou moléculaire. « On sait que la totalité des modifications de l’épigénome passent par des voies métaboliques comme les donneurs acétyl (acétyl-CoA), méthyle (S-adénosyl méthionine) et phosphore (adénosinetriphosphate). Or ces voies sont elles-mêmes liées à l’alimentation », souligne Jonathan Weitzman, professeur à l’université Paris Cité et coordinateur de l’école universitaire de recherche Génétique et épigénétique nouvelle école (EUR Gene).
Cette capacité de l’organisme à modifier l’épigénome pour s’adapter à un nouvel environnement alimentaire a ainsi été démontrée dans une étude sur les descendants de femmes enceintes soumises à la famine à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Hollande. « Celle-ci a mis en évidence qu’il y avait chez eux beaucoup plus d’obèses et de diabétiques, note Ariane Giacobino, médecin généticienne à l’hôpital universitaire de Genève, spécialiste de l’épigénétique. En l’absence de ressources alimentaires, les fœtus ont développé in utero un système d’économie du métabolisme pour stocker le plus longtemps possible les maigres ressources. Lorsqu’ils ont été exposés à une alimentation normale enfants, ils ont continué de stocker des réserves de manière inadaptée à cause d’un marqueur épigénétique lié à la méthylation de l’ADN qui s’est transmis aux enfants et aux petits-enfants… » « Une molécule bien connue des pharmaciens, le diéthylstilbestrol (DES), un médicament œstrogène non stéroïdien prescrit chez les femmes enceintes entre 1947 et 1971 [en prévention des avortements spontanés et des accouchements précoces, NdlR], a par exemple été identifié comme perturbateur endocrinien, rappelle Xavier Coumoul. Or il a été démontré qu’une exposition prénatale à ce traitement provoquait des troubles du développement et du système reproducteur, ainsi que des risques accrus d’obésité. C’est d’ailleurs à la suite des travaux réalisés sur le DES que les chercheurs ont commencé à s’intéresser à d’autres molécules œstrogènes comme le bisphénol A (BPA) ou les phtalates comme le DEHP (diethylhexyl phthalate). » En pharmacologie et en toxicologie, l’idée que les médicaments pourraient avoir un impact épigénétique à long terme et cumulatif commence aussi à faire son chemin. « Des études sont en cours afin d’expliquer comment une exposition à des doses relativement basses de certains traitements pourrait entraîner une accumulation de changements épigénétiques », confirme Jonathan Weitzman.
Manque de sommeil
Le mode de vie serait également susceptible d’affecter certains processus épigénétiques. « Des études ont par exemple associé le manque de sommeil à des anomalies épigénétiques », confie Xavier Coumoul. « Une autre s’est intéressée à des grands-parents fumeurs et à l’état de santé de leurs petits-enfants, ajoute Ariane Giacobino. Elle a montré que ces derniers connaissaient plus de soucis de santé que les autres. Le problème, c’est que l’on ne connaît pas encore les mécanismes qui expliquent ce lien de cause à effet. »
Si les interactions dynamiques entre l’épigénétique et l’environnement sont aujourd’hui établies, les scientifiques restent encore démunis face à la question que tout le monde se pose : que faut-il changer dans son comportement pour rester en bonne santé ? « On sait que manger équilibré, diversifié, et sainement, en répartissant son alimentation sur plusieurs repas, et en évitant au maximum les variations est bon pour la santé, relève Ariane Giacobino. Ce que l’on ignore, c’est si tel ou tel aliment a un impact positif, sur quel gène, et pendant combien de temps. » « L’environnement reste une notion très vague et mal définie, ajoute Jonathan Weitzman. Il est notamment extrêmement difficile de décortiquer dans un régime alimentaire les éléments qui vont affecter l’épigénome car des facteurs comme la pollution, l’activité physique et sportive ou le mode de vie peuvent eux aussi avoir une influence. Il faut donc se méfier de ces soi-disant coachs épigénétiques qui vous vendent sur Internet des régimes alimentaires adaptés à votre épigénome. Ce n’est pas très sérieux… »
Un des rares mécanismes identifiés à ce jour concerne la vitamine B12, appelée aussi cobalamine. « Cette vitamine hydrosoluble est un donneur de méthyles que l’on trouve principalement dans la viande, les poissons et les abats, rappelle Xavier Coumoul. Elle constitue un composant essentiel pour les fonctions métaboliques et la synthèse de l’ADN. Un déficit en vitamine B12 peut d’ailleurs entraîner une anémie chez des personnes suivant un régime végétarien. Ces dernières ont donc tout intérêt à envisager une complémentation. Idem pour les couples végétaliens désireux d’avoir un enfant, car cette vitamine joue un rôle très important dans le développement du fœtus. »
Pour le reste, tout est question de bon sens. Aux aliments de l’agriculture conventionnelle, mieux vaut préférer tout ce qui est produit de façon bio et localement, et réduire au maximum les aliments potentiellement contaminés par des perturbateurs endocriniens. « Dans les cours que je donne aux sages-femmes, je les invite à sensibiliser les femmes enceintes sur l’importance d’éviter l’exposition au bisphénol A, en bannissant les bouteilles d’eau, les fruits et les légumes emballés dans du plastique », confie Ariane Giacobino.
Réflexe sportif
Pratiquer une activité physique ou sportive de manière régulière et sur la durée pourrait être bénéfique pour l’épigénome. « L’exercice physique a un impact positif sur le métabolisme et les hormones, mais l’état actuel de la littérature scientifique ne nous permet pas de tirer des conclusions claires sur la façon dont celui-ci pourrait être durable sur l’épigénome », nuance Jonathan Weitzman. Enfin, pour se préserver de la pollution, certains réflexes peuvent là encore être adoptés. « Il faut essayer d’être attentif à la qualité de l’air au quotidien, en aérant les pièces de son logement en dehors des pics de pollution. Pour ma part, j’utilise aussi des purificateurs d’air afin de dépolluer l’intérieur après avoir aéré », indique Xavier Coumoul.
Si les chercheurs sont toujours en quête de réponses concernant les impacts positifs de l’épigénétique sur la santé, la donne pourrait changer rapidement. « L’épigénétique en est aujourd’hui au stade où se trouvait l’informatique il y a 50 ans : à ses débuts, estime Jonathan Weitzman. Mais tout pourrait aller très vite car nous avons déjà identifié tous les mécanismes épigénétiques, ainsi que tous les enzymes et leurs inhibiteurs. On peut donc prédire que, demain, nos enfants verront leur génome séquencer et qu’ils disposeront de biomarqueurs épigénétiques qui leur donneront un aperçu de leur état métabolique et de leur santé. »
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