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Le fentanyl
Cet analgésique très puissant a des indications différentes selon la voie d’administration et une marge thérapeutique étroite imposant des précautions. Une augmentation préoccupante de surdoses mortelles est observée.
Définition
Dérivé de la pipéridine, le fentanyl est un opioïde narcotique, c’est-à-dire une substance de synthèse aux propriétés similaires à celles des opiacés dérivés de l’opium, qui provoque le sommeil et diminue la sensibilité.
Très puissant, il appartient à la classe pharmacologique des antalgiques de palier III, ou opioïdes forts. Il suit la réglementation des stupéfiants.
Mode d’action
• Action centrale. Les opiacés se lient à des récepteurs spécifiques, principalement mu, delta et kappa (µ, ∂ et κ), situés dans le système nerveux central – moelle épinière, cerveau –, et au niveau périphérique – tube digestif, foie, cœur, vaisseaux… –, physiologiquement associés à l’action de neurotransmetteurs endogènes, telles les endorphines.
• Comme la morphine. Le fentanyl est un morphinomimétique – qui agit selon le même mécanisme que la morphine –, agoniste pur des récepteurs µ. Il active tous les récepteurs auxquels il se lie, d’où des propriétés dosesdépendantes, c’est-à-dire que les effets pharmacologiques et indésirables augmentent avec la dose, sans effet plafond.
• En plus puissant. De forte affinité pour les récepteurs µ, il a une action analgésique environ 100 fois plus forte que la morphine.
Principaux effets
• En thérapeutique. Le fentanyl entraîne :
→ une analgésie centrale. Il bloque la transmission des signaux douloureux via la moelle épinière et interrompt leur perception au niveau du cerveau ;
→ une sédation mise à profit en anesthésie.
• Autres : état d’euphorie recherché dans l’usage détourné récréatif, dysphorie, tels angoisse, irritabilité, dépression respiratoire d’origine centrale, bradycardie, hypotension, nausée et vomissements, constipation, rétention urinaire, myosis…
• Dépendance : caractérisée par une accoutumance, c’est-à-dire le besoin d’augmenter les doses pour un même effet, et un syndrome de sevrage à l’arrêt ou lors d’une diminution brutale, avec nausées, vomissements, anxiété, insomnie, diarrhées, frissons, tremblements, sudation, douleurs musculaires et articulaires, hypertension…
Présentations
À l’officine, deux voies d’administration se distinguent par leur délai et leur durée d’action.
• Transdermique en patchs : délai de 12 à 24 heures lors de la première application ou augmentation de dose, durée de 72 heures.
• Transmuqueuse. Orale : comprimé sublingual, avec applicateur, buccogingival, film orodispersible. Nasale : solution pour pulvérisation. Action rapide, délai de 5 à 15 minutes, durée de 1 à 4 heures selon les présentations (voir tableau p. 41 ).
Les présentations injectables sont réservées à l’usage hospitalier, tel Fentanyl Janssen 500 µg/10 ml.
Indications
Les spécialités officinales sont utilisées pour leur action analgésique, mais les indications varient selon la voie d’administration.
• Patchs : chez l’adulte, traitement des douleurs chroniques sévères intenses ou rebelles aux autres analgésiques, notamment d’origine cancéreuse ou neuropathique, arthrose du genou ou de la hanche et lombalgie chronique en traitement de dernier recours. Même indication chez l’enfant dès 2 ans à condition qu’il soit « tolérant aux opioïdes », c’est-à-dire recevant déjà une dose équivalente à au moins 30 mg de morphine par jour.
Seule l’indication dans les douleurs chroniques d’origine cancéreuse ouvre droit à la prise en charge par l’Assurance maladie.
• Présentations transmuqueuses : traitement des accès douloureux paroxystiques (exacerbation passagère d’une douleur chronique) des adultes bénéficiant déjà d’un traitement de fond morphinique pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse. Réservées aux patients recevant depuis plus d’une semaine au moins 60 mg/24 heures de morphine ou 25 µg/heure de fentanyl transdermique ou 30 mg/24 heures d’oxycodone ou 8 mg/ 24 heures d’hydromorphone, ou une dose équianalgésique d’un autre opioïde, avec quatre accès douloureux paroxystiques maximum par jour.
• Spécialités hospitalières injectables : utilisées en anesthésie ou analgésie post-opératoire.
Posologies
• Patch. La posologie individuelle est ajustée selon les cas.
→ Relais pour ceux déjà sous opioïdes : selon équivalence des doses équi-analgésiques avec un autre traitement.
→ Initiation chez un adulte naïf d’opioïdes quand la voie orale est impossible : dose initiale la plus faible possible, puis ajustement progressif selon les effets.
→ Arrêt : progressif ou remplacement progressif par un autre opioïde pour éviter le syndrome de sevrage.
À noter : en cas d’augmentation de dose, il peut s’écouler jusqu’à six jours pour atteindre l’équilibre. Ajuster les doses chez les patients âgés et insuffisants rénaux ou hépatiques.
• Présentations transmuqueuses.
→ Recherche de la dose minimale efficace par titration, c’est-à-dire par augmentation progressive des dosages selon les protocoles définis, en commençant par la plus faible et après avoir testé la même dose sur plusieurs accès paroxystiques.
→ En entretien : une unité par prise sauf présentations nasales (1 à 2 pulvérisations par prise, espacées de 10 minutes dans deux narines différentes), maximum quatre prises par 24 heures.
→ Arrêt : il peut être immédiat, à condition de maintenir le traitement de fond opioïde.
Administration
• Patch. Appliquer sur une partie plane du haut du corps, de préférence dans le dos chez l’enfant, sur une peau glabre (sinon, couper et non raser les poils), sèche, non irritée ou irradiée. Retirer la pellicule protectrice en pliant le patch en son centre, éviter de toucher l’adhésif, appliquer tout de suite, appuyer avec la paume 30 secondes. Ne pas couper. Laisser en place 72 heures, changer de site d’application au renouvellement.
Si le patch se décolle, l’ôter et en appliquer un autre sur une autre zone. Élimination : plier le patch sur lui-même, le placer dans le système de récupération et le rapporter à l’officine.
• Présentations orales. Si besoin, humidifier la bouche auparavant avec un verre d’eau. Ne pas mâcher, sucer, croquer ou avaler. En dehors des repas, ne pas manger avant dissolution complète. Changer de site d’application à chaque prise.
→ Comprimé sublingual : placer sous la langue, le plus loin possible, et laisser fondre.
→ Comprimé avec applicateur : placer entre la joue et la gencive, déplacer l’applicateur en frottant la face interne de la joue avec des mouvements rotatifs jusqu’à dissolution complète en 15 minutes environ. S’il reste du médicament, le dissoudre sous un filet d’eau chaude et jeter l’applicateur dans un conteneur d’élimination.
→ Comprimé bucco-gingival : ouvrir en pliant l’alvéole le long de la ligne imprimée, le placer immédiatement, entier, près d’une molaire entre la joue et la gencive, laisser en place jusqu’à dissolution complète en 15-20 minutes. S’il reste des morceaux après 30 minutes, on peut les avaler avec un verre d’eau.
→ Film orodispersible : placer le film face rose en contact avec la muqueuse, appuyer 5 secondes, puis laisser en place jusqu’à dissolution complète en 15-30 minutes.
• Solution nasale : amorcer le flacon si c’est la première utilisation en appuyant trois à quatre fois jusqu’à apparition d’une brume, ou une seule fois si l’utilisation date de plus de sept jours. En position assise ou debout, nettoyer l’embout du flacon et pulvériser dans une narine.
Attention : le patient peut ne pas ressentir l’administration ; l’avertir alors de ne pas reprendre de dose. Pour Pecfent, un clic et un compteur de doses matérialisent la pulvérisation.
Effets indésirables
• Généraux des opiacés : somnolence, donc conduite automobile déconseillée, vertiges, céphalées, nausées, vomissements et constipation. Mais aussi : anorexie, insomnie, anxiété, confusions, tachycardie, dyspnée, diarrhées, sécheresse buccale, douleurs abdominales, hyperhydrose, prurit, éruption cutanée, contractures musculaires, rétention urinaire, fatigue. Une dépendance est possible.
• Liés à la voie d’administration.
→ Patch : réaction au site d’application, dermatite, eczéma.
→ Voie transmuqueuse : les effets locaux sont plus fréquents que les effets généraux. Voie buccale : douleurs et irritations de la muqueuse, ulcère, détériorations dentaires, avec caries, perte de dents. Voie nasale : gêne nasale, rhinorrhée, épistaxis, perforation de la cloison nasale.
Réglementation
Elle suit la règle des stupéfiants.
• Prescription : ordonnance sécurisée, mentions en toutes lettres. Durée maximale de 28 jours.
• Délivrance fractionnée : 14 jours (patchs) ou 7 jours (formes rapides), sauf mention explicite du prescripteur. Déconditionnement pour la durée du traitement restant à courir si présentation au-delà de trois jours après la date de prescription ou la fin de la fraction précédente.
• Renouvellement interdit.
Contre-indications
• Communes : dépression respiratoire sévère ou obstruction des voies aériennes.
• Patch : douleur aiguë ou post-opératoire.
• Présentations d’action rapide : patients non traités par un traitement de fond morphinique, douleur aiguë autre que les accès douloureux paroxystiques, épisodes récurrents d’épistaxis, radiothérapie de la face pour les présentations nasales.
Interactions
• Pour toutes les formes : ne pas utiliser dans les quatorze jours suivant l’arrêt d’un traitement par IMAO car risque de potentialisation des effets sérotoninergiques. Pas d’antalgiques opioïdes agonistes/antagonistes partiels tels que buprénorphine, nalbuphine, pentazocine, etc., car risque d’antagonisme d’action et de syndrome de sevrage.
• Présentations nasales : décongestionnants locaux type oxymétazoline, car risque de diminution de l’effet antalgique.
• Prudence et surveillance accrue avec les autres sérotoninergiques, tels les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ; les inhibiteurs du cytochrome CYP3A4, qui peuvent augmenter des effets thérapeutiques et indésirables : amiodarone, clarithromycine, diltiazem, érythromycine, fluconazole, kétoconazole, ritonavir, vérapamil…; les autres dépresseurs du système nerveux central tels que sédatifs, hypnotiques, anti-H1, alcool…
Substitution
• Possible pour les patchs mais, en raison des variations inter-individuelles et de l’étroite marge thérapeutique, il est recommandé de surveiller attentivement les patients de plus de 65 ans et les enfants de 2 à 16 ans, qui peuvent être plus sensibles à la substance.
• Interdite pour les spécialités par voie transmuqueuse : il n’y a pas d’équivalence d’effet selon la forme. Une nouvelle titration est nécessaire en cas de changement de spécialité.
Surdosage
Le fentanyl est un médicament à marge thérapeutique étroite.
• Les signes du surdosage sont principalement : altération des facultés mentales, détresse respiratoire, perte de conscience.
• Conduite à tenir : retirer immédiatement le produit, consulter en urgence.
• Prévention : respecter les doses prescrites, ne pas banaliser les formes aisées à prendre comme en pulvérisation nasale, ou les comprimés… Pour le patch : la hausse de la température peut entraîner un surdosage en augmentant l’absorption transcutanée du fentanyl ; surveiller en cas de fièvre et éviter les sources de chaleur – bouillotte sur le patch, bain chaud, sauna, exposition au soleil.
Accident
L’ingestion ou l’administration accidentelle – patch qui passe du patient à un proche par exemple – peut mettre en jeu le pronostic vital, y compris à dose faible, et plus particulièrement chez l’enfant.
• Conduite à tenir : retrait immédiat du produit si cela est possible et consultation en urgence, un antagoniste morphinique, type naloxone, peut être nécessaire en intraveineuse.
• Mesures préventives : garder hors de portée des enfants. Pour les patchs : privilégier les sites d’application couverts, les replier sur eux-mêmes après utilisation, les placer dans le système de récupération et les retourner à l’officine.
Mésusage
• Le mésusage correspond à toute utilisation faite en dehors des conditions fixées par l’AMM : utilisation hors indication cancéreuse, traitement de fond insuffisant ou inexistant, doses prescrites excessives, abus et pharmacodépendance.
→ Les spécialités transmuqueuses sont soumises à un suivi national de pharmacovigilance et d’addictovigilance compte tenu du risque d’effets indésirables des opioïdes en général et de leur dépendance. Selon le premier bilan de 2013, outre les effets indésirables liés à la voie d’administration (voir plus haut ), tous les types de mésusage ont été retrouvés.
→ Abus/dépendance. Le fentanyl fait l’objet d’une surveillance particulière en tant que « médicament à risque d’usage détourné ou de dépendance ». Environ 25 % des notifications concernent des abus/dépendance, dont plus de la moitié chez des patients non atteints de cancer. L’addiction se caractérise par un « craving », ou l’envie irrépressible de reprendre du produit en dehors de la recherche d’un effet antalgique.
Comportements évocateurs : augmentation des doses, prescripteurs multiples, essai de renouvellement précoce…
Conduite à tenir : obligation de signaler les cas d’abus et de pharmacodépendance graves au Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP), pousser le patient à prendre un avis spécialisé : addictologue, centre de la douleur…
Les cas d’abus sont d’autant plus préoccupants que le fentanyl est un produit puissant, responsable dans ses formes pharmaceutiques ou contrefaites d’un nombre croissant de décès par overdose, notamment en Amérique du Nord (voir encadré p. 39).
Épidémie d’usage abusif et de décès en Amérique du Nord
→ Le fentanyl et ses dérivés, qu’ils soient détournés de l’usage thérapeutique ou contrefaits, tiennent une place grandissante sur le marché des drogues. Vendus dans la rue ou sur le dark Web (la fache cachée du Net), sous forme de comprimés, de patchs, de liquide, de poudre, plus ou moins mélangés à d’autres opioïdes tels que l’héroïne ou la cocaïne, ils sont destinés à être avalés, fumés, injectés, inhalés. Leur puissance, bien supérieure à celle de l’héroïne, fait depuis quelques années des ravages en Amérique du Nord. Le rapport mondial sur les drogues 2017 parle d’une épidémie d’utilisation abusive d’opioïdes et relie l’arrivée du fentanyl à une forte hausse des décès par overdose, tristement médiatisée avec le chanteur Prince ou Dolores O’Riordan, la voix des Cranberries…
→ En 2016, 64 000 décès dus aux opioïdes ont été constatés aux États-Unis, dont environ 20 000 à cause du fentanyl. C’est quatre fois plus qu’en 1999 et plus que les accidents de la route et homicides par arme à feu réunis. D’ailleurs, la naloxone(1), antidote des opioïdes, et donc du fentanyl, est en vente libre dans les pharmacies de plus de trente États. Au Canada, 2 816 décès ont été causés par les opioïdes en 2016. Les overdoses au fentanyl sont majoritaires et ont doublé en un an : + 73 % de décès dus au fentanyl en Colombie britannique entre 2016 et 2017…
→ D’après l’OFDT(2), la France reste peu concernée pour l’instant. Seize intoxications, dont deux décès dus à un dérivé du fentanyl, l’octofentanyl, ont été rapportées entre 2012 et 2017.
Le détournement du fentanyl par les usagers de drogues et la présence de dérivés au marché noir resteraient ponctuels, sans doute grâce à une réglementation plus stricte, une prescription raisonnée et l’accès important aux traitements de substitution aux opiacés. Mais plusieurs dizaines d’overdoses ont été recensées dans d’autres pays européens, notamment en Angleterre, et l’Observatoire européen des drogues est préoccupé par l’arrivée du produit : dix-huit dérivés du fentanyl ont été détectés à travers l’Europe depuis 2009, dont huit depuis 2016.
(1) En France : solution injectable Narcan, spray nasal Nalscue.
(2) Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
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