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La transmission GABAergique

Publié le 5 mai 2012
Par Denis Richard
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De nombreux médicaments de prescription usuelle (anxiolytiques, normothymiques, anticonvulsivants, antispastiques) modulent l’activité inhibitrice du GABA.

Qu’est-ce que la transmission GABAergique ?

• Le GABA est le principal neuromédiateur inhibiteur du cerveau. La transmission GABAergique a pour médiateur un acide aminé produit par décarboxylation du glutamate : l’acide gamma-aminobutyrique (GABA). Présent uniquement dans le SNC, il est impliqué dans 30 % des synapses.

• Le GABA se fixe sur deux types de récepteurs :

– Le récepteur GABAA, un canal transmembranaire à perméabilité anionique, est majoritairement postsynaptique. La liaison du GABA ouvre très brièvement (1 ms) le canal, augmentant ainsi la conductance aux chlorures (Cl-) de la membrane et diminuant le potentiel d’action de la cellule cible.

– Le complexe-récepteur GABAB, couplé à une protéine G ou à un canal calcique ou potassique, peut être présynaptique (sa stimulation diminue la libération des neuromédiateurs des neurones exprimant ce récepteur) ou postsynaptique (sa stimulation augmente la conductance cationique et diminue l’activité neuronale).

Quels sont les rôles du GABA ?

• L’action inhibitrice du GABA équilibre dans le système nerveux central l’action excitatrice du glutamate.

• Le couple GABA/glutamate module de nombreuses fonctions : vigilance et sommeil, mémoire, tonus musculaire, etc. Une rupture dans l’équilibre GABA/glutamate participerait ainsi à l’apparition de l’épilepsie, de troubles de l’humeur (manie), du sommeil, de l’anxiété, de pathologies neurologiques (chorée de Huntington notamment).

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On peut noter que la toxine tétanique, migrant par voie neuronale dans le cerveau, y inhibe la libération du GABA, d’où l’hypertonie musculaire caractérisant l’infection.

• Le GABA par son action sur les récepteurs GABAB présynaptiques inhibe la libération de glutamate et de substance P (comme le font notamment les opioïdes et les endorphines) : il participe ainsi au contrôle physiologique de la douleur.

• Le GABA intervient dans le développement du cerveau : une activation inappropriée des récepteurs GABAA pendant le 3e trimestre de la grossesse (usage de benzodiazépine ou d’alcool notamment) entraînerait des anomalies neuronales chez le fœtus et des perturbations neurocomportementales ultérieures.

Quels médicaments favorisent l’action du GABA ?

Les médicaments modulant la transmission GABAergique agissent au niveau central et ciblent essentiellement le récepteur GABAA.

Action sur le complexe GABAA

Le complexe-récepteur GABAA est la cible de l’action de nombreux médicaments neuromodulateurs indiqués en neuropsychiatrie :

• Benzodiazépines, molécules apparentées (zolpidem, zopiclone) et barbituriques augmentent le flux chlorique transmembranaire : les benzodiazépines et apparentés augmentent l’affinité du récepteur au GABA et la fréquence d’ouverture du canal ; les barbituriques allongent la durée d’ouverture du canal. Ces médicaments potentialisent ainsi l’action inhibitrice du GABA, d’où leur action anxiolytique, hypnotique, myorelaxante, antispastique. Les différences d’activité pharmacologique entre les diverses benzodiazépines découlent de leur affinité variable pour les multiples types de récepteurs GABAA ayant eux-mêmes une répartition variable.

• Divers anticonvulsivants (benzodiazépines, notamment le clonazépam ou le diazépam, phénobarbital, primidone) se fixent aussi sur le récepteur GABA, d’où leur action anticomitiale et antispastique (par dépression des réflexes participant au maintien de la spasticité, notamment au niveau spinal).

• Le potentiel antimaniaque de certains anticomitiaux, mis à profit en psychiatrie, résulte entre autres de leur action GABAergique : dans les deux cas, c’est probablement un même mécanisme qui prévient l’« embrasement » neuronal (phénomène du kindling).

• Les anesthésiques généraux potentialisent l’action du GABA sur les récepteurs GABAA.

• Structurellement proche du GABA, l’acamprosate (Aotal) stimule la neuromédiation inhibitrice GABAergique, concourant à faciliter l’abstinence chez le sujet alcoolodépendant. L’alcool module l’activité des canaux GABAA, parmi d’autres actions sur divers types de neurones.

• Un médicament exerce une action antagoniste compétitive de celle des benzodiazépines et permet de lever l’intoxication par celles-ci : le flumazénil (Anexate).

Action sur le complexe GABAB

• Le baclofène (Liorésal), un dérivé du GABA, inhibe la transmission réflexe des influx aux motoneurones médullaires après liaison au récepteur GABAB, d’où son intérêt pour traiter les contractures spastiques d’origine neurologique (sclérose en plaques, atteintes médullaires diverses).

Action GABAmimétique aspécifique

• Plusieurs médicaments anticonvulsivants agissant par des mécanismes variés ont notamment une action GABAmimétique :

– la tiagabine (Gabitril) et le stiripentol (Diacomit) inhibent les transporteurs membranaires permettant la recapture du GABA dans l’espace synaptique ;

– la vigabatrine (Sabril) inhibe la GABA-transaminase impliquée dans la dégradation du GABA ;

– la gabapentine (Neurontin), stimulant l’activité de la glutamate-décarboxylase, favorise la synthèse du GABA. Ceci explique son action contre les douleurs neuropathiques.

• L’acide valproïque (Dépakine, Dépakote) a une action pléiotropique, inhibitrice notamment de la GABA-transaminase et stimulatrice de la glutamate-décarboxylase.

• A noter : l’ivermectine (Stromectol) favorise chez les vers parasites, une libération massive du GABA d’où leur mort par paralysie. L­’ivermectine ne franchit pas la barrière hématoencéphalique.

Quelle iatrogénie ?

• Les médicaments modulant l’activité GABAergique bénéficient généralement d’une bonne tolérance (si l’on excepte à long terme le risque de dépendance pour certains d’entre eux).

• Les benzodiazépines et apparentés peuvent induire des troubles musculaires, d’où un risque de chute et leur contre-indication chez l’insuffisant respiratoire. Ces médicaments induisent des troubles cognitifs et des troubles de la mémoire.

DANS LA PRATIQUE : NE PAS PROLONGER L’USAGE !

• Une exposition prolongée aux benzodiazépines, apparentés ou barbituriques induit une désensibilisation des récepteurs GABAA et/ou une modification de leur expression, expliquant la nécessité d’augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets : cette tolérance est facilement repérée chez les usagers de ces médicaments.

• Un arrêt brutal de l’administration de ces médicaments induit des effets rebond et une sensation de manque liés à la perturbation de la neuromodulation GABAergique naturelle : c’est un phénomène de dépendance, d’installation d’autant plus rapide que le consommateur est en situation de vulnérabilité (psychologique, sociale, génétique) et/ou est déjà dépendant à d’autres substances (alcool notamment).

• La gestion sociale de la consommation des benzodiazépines pose un problème récurrent. Il s’agit de médicaments anxiolytiques et hypnotiques fréquemment prescrits, bien tolérés à court terme, exposant cependant à une iatrogénie importante : troubles cognitifs, risque de chute et de troubles respiratoires, addiction, accidents par troubles de l’attention.