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La phagothérapiea encore faim
Face à la montée de l’antibiorésistance, l’idée de recourir à la lutte biologique avec les bactériophages renaît. Mais la phagothérapie, utilisée pendant l’entre-deux-guerres, peine à revenir sur le devant de la scène par manque d’études à grande échelle, de méthodes standardisées de fabrication et de statut réglementaire.
L’étude Burden publiée en 2015 par l’Institut national de veille sanitaire décompte 158 000 infections à bactéries multirésistantes ayant entraîné 12 500 décès en France en 2012. Dans le détail, 88 % de ces décès sont dus aux infections par Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), par Escherichia coli résistant aux céphalosporines de 3e génération (C3G) ou par les Pseudomonas æruginosa résistants aux carbapénèmes. Remis à la ministre de la Santé en septembre dernier, le rapport du Dr Jean Carlet pour la préservation des antibiotiques estime que 10 % des E.coli et 30 % des Klebsiella pneumoniæ sont résistants aux C3G. De plus, 13,6 % des entérobactéries sont productrices de bêtalactamases à spectre étendu. Verdict : de plus en plus de patients se retrouvent en impasse thérapeutique. Les bactériophages, ces virus qui n’infectent que des bactéries, pourraient être une alternative ou un complément pour en sortir.
Des débuts prometteurs pour des phages séduisants
Découverts par Frederick Twort en 1915, les phages ont été utilisés pour la première fois en 1919 par Félix d’Hérelle pour guérir une dysenterie. Leur succès s’est répandu dans le monde entier. Mais, lorsque les antibiotiques sont apparus, la phagothérapie a été reléguée au second plan puis quasiment oubliée, tout du moins en Europe de l’Ouest. En France, cette méthode a été utilisée jusque dans les années 40, et les dernières spécialités ont été retirées du marché en 1977. La phagothérapie est toujours utilisée dans les pays de l’Est, en Géorgie, Pologne, Roumanie, Russie, où des centres experts attirent des « touristes médicaux ».
En France, les phagothèques ont été détruites, tout est à refaire. Les startups Pherecydes Pharma et Clean Cells se sont lancées dans l’aventure. La première isole et sélectionne des bactériophages tandis que l’autre produit les mélanges selon les bonnes pratiques de fabrication. Olivier Patey, médecin infectiologue au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, précise qu’un bactériophage est spécifique d’une espèce voire d’une souche. Ainsi pour les entérobactéries ou les Pseudomonas, il faudra un cocktail d’une douzaine de phages pour viser plusieurs souches, alors que pour les staphylocoques dorés, un mélange de 2 ou 3 phages est actif sur la quasi-totalité des germes, les staphylocoques ayant une stabilité génomique importante.
Mobilisation pour des phages
Phosa est un projet collaboratif français de recherche qui associe des institutions publiques et des entreprises privées. Il s’agit d’un essai préclinique visant à isoler et produire un cocktail de phages répondant aux exigences pharmaceutiques réglementaires européennes pour lutter contre les infections ostéoarticulaires (IOA) dues aux SARM. Pherecydes Pharma teste des bactériophages qui attaquent S. aureus et S epidermidis. Deux autres PME sont à l’œuvre. Vivexia a mis au point deux modèles d’infection à staphylocoque (sans et avec matériel de synthèse) sur les animaux, tandis que BioFilm Control travaille sur les biofilms très souvent présents dans ces infections. Les Hospices civils de Lyon fournissent des souches de bactéries épidémiques caractérisées. Pour sa part, l’entreprise Clean Cells produit les mélanges, tandis que le centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges prépare, avec le service des maladies infectieuses et tropicales et le laboratoire de microbiologie, les prochains essais cliniques sur l’homme, espérant les voir démarrer en 2017. « Nous étudierons les IOA à SARM qui représentent 20 à 25 % des staphylocoques dorés isolés dans les hôpitaux français, indique Olivier Patey. Cela comprend les IOA sur matériel, prothèses articulaires ou matériel d’ostéosynthèse, ainsi que les infections osseuses du pied diabétique. Les antibiotiques diffusent mal dans les tissus osseux et les bactéries sont protégées par les biofilms en particulier sur le matériel. »
Un cadre réglementaire à créer
Quelques initiatives de traitements ont été entreprises ces dix dernières années (association GEEPhage et centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges) hors cadre réglementaire. Les phages, qui n’ont pour l’instant pas de statut, pourraient composer des éléments de biomédicaments. Pour adapter la législation, sensibiliser les parlementaires et prévoir un programme de recherche soutenu par les autorités publiques, un colloque sur le sujet a été organisé par la députée européenne (EELV) Michèle Rivasi le 18 février à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, Phagoburn est un projet européen lancé en juin 2013 pour 3 ans. Il vise à évaluer la tolérance et l’efficacité des bactériophages dans les infections cutanées sensibles ou résistantes chez les grands brûlés. C’est la première étude mondiale répondant aux normes des essais cliniques internationaux. Deux cocktails de phages sont testés sur Pseudomonas œruginosa et Escherichia coli dans trois hôpitaux militaires et huit civils.
Pour sa part, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a créé en janvier un comité scientifique « Phagothérapie » temporaire. Il est chargé de statuer sur des situations cliniques justifiant une mise à disposition rapide dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative ou d’essais cliniques. Ce comité scientifique doit notamment statuer sur le cas d’une enfant de 13 ans en impasse thérapeutique. Elle souffre d’infections à répétition sur malformations génito-urinaires et a déjà perdu un rein. La souche de colibacille est sensible mais l’enfant est allergique aux bêtalactamines, et les aminosides ont une toxicité rénale. La souche est testée avec le cocktail de bactériophages utilisé dans Phagoburn.
L’ANSM avait accordé une première ATU en novembre 2015 pour un grand brûlé pris en charge par l’équipe de Phagoburn. Pour le Dr Patrick Jault, de l’hôpital Percy de Clamart (Hauts-de-Seine), « cet essai a le mérite d’avoir transformé les phages en médicaments selon les standards de la bioproduction en un temps record ». Selon lui, l’application topique sur des brûlures infectées n’est pas une fin en soi, mais un bon modèle qui a permis de convaincre plus facilement les agences de santé du peu de passage systémique. Beaucoup de difficultés ont retardé l’inclusion des patients (15 en 6 mois), mais l’essai se termine fin mai. Avec certainement assez de données pour se comparer au produit de référence (Flammazine) et montrer les propriétés bactéricides des bactériophages…
Dr DUBLANCHET, L’AGENT DE LA PHAGO
Si la phagothérapie refait parler, on le doit beaucoup au Dr Alain Dublanchet. Médecin biologiste et infectiologue, ex-chef de service à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, il rapporta de ses séjours fréquents en Europe de l’Est les fameux bactériophages, achetés dans des pharmacies moscovites ou géorgiennes.
Le Dr Alain Dublanchet affirme que toutes les infections qu’il a traitées ont été jugulées en 8 à 10 jours sans connaître aucun échec. On ne demande qu’à le croire.
EN RÉSUMÉ
• La phagothérapie repose sur l’utilisation de virus qui infectent les bactéries.
• La méthode n’est plus utilisée en France mais l’est toujours dans des pays de l’Est.
• Le projet Phagoburn étudie l’intérêt des bactériophages chez des grands brûlés.
• L’ANSM a créé un comité scientifique temporaire « Phagothérapie ».
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