La médecine génomique en pleine mutation

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La médecine génomique en pleine mutation

Publié le 1 octobre 2024
Par Romain Loury
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Achevé en 2003, le premier séquençage d’un génome humain, avait coûté 3 milliards de dollars. Vingt et un ans plus tard, un tel travail revient entre 300 et 400 dollars, pour un résultat obtenu en quelques heures. Conséquence de cette « démocratisation » génétique : l’avènement d’une médecine génomique en passe de révolutionner la santé.

« Version moderne de la génétique médicale, la médecine génomique englobe l’ensemble du génome, via des approches de séquençage à grande échelle portant sur l’ADN, l’ARN et la chromatine. À ce jour, ses deux grands champs d’application sont les maladies rares et les cancers », explique le Pr Éric Pasmant, chef du service de médecine génomique de l’Institut Curie (Paris).

En cancérologie, discipline pionnière en la matière, les applications sont déjà légion. « Ce champ a émergé dès l’irruption des techniques de séquençage, il y a plus de 30 ans. En particulier dans les leucémies aiguës, dont on s’est vite aperçu qu’elles présentaient une grande variété de mutations », précise le Pr Bruno Quesnel, directeur du pôle recherche et innovation de l’Institut national du cancer (INCa) et directeur de l’institut thématique cancer de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Ces caractéristiques génétiques présentaient un intérêt diagnostique : elles nous ont permis de définir de nouvelles sous-catégories de leucémies aiguës. Leur intérêt était aussi pronostique, en facilitant l’identification de patients à risque élevé de rechute, ceux pour lesquels il y avait lieu de pratiquer une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Depuis, cette démarche a été étendue aux tumeurs solides », ajoute-t-il.

L’intérêt de ces données moléculaires, qu’elles soient issues de la génomique ou d’autres techniques (transcriptomique, protéomique, cytométrie de flux, etc.), s’est largement diversifié. Entre autres exemples, l’identification des cancers « sans primitif retrouvé », tumeurs dont l’origine ne peut être assignée à un organe particulier au premier examen, mais qu’il est désormais possible d’identifier – et donc de traiter avec des thérapies adaptées au cancer détecté. Surtout, les outils moléculaires s’avèrent d’une aide précieuse pour déterminer la possibilité d’utiliser des thérapies ciblées, telles que les antityrosine kinases.

Dépistage néonatal et maladies rares

Autre champ d’application, les maladies rares, où le séquençage haut débit facilite l’identification de gènes défectueux, limitant ainsi l’errance médicale. Tel est le sens du projet Perigenomed (Perinatal Genomic Medicine), qui vise à évaluer l’intérêt d’un dépistage néonatal sur des bases génétiques. À ce jour, le dépistage néonatal, ouvert à 13 maladies, repose essentiellement sur des tests biochimiques, tels que le test de Guthrie pour la mucoviscidose. Or la réforme de la loi de bioéthique, lancée en 2021, ouvre la possibilité de recourir plus largement aux données génétiques.

Mené en deux temps (une phase de faisabilité en 2025, une phase d’expérimentation en 2026 sur l’ensemble des naissances de Bourgogne Franche-Comté), Perigenomed portera sur « une liste d’environ 600 maladies détectables, pour lesquelles il y a un intérêt à ce qu’elles soient dépistées le plus tôt possible », explique le Pr Frédéric Huet, président de la Société française de dépistage néonatal (SFDN) et chef du pôle pédiatrie au centre hospitalier universitaire Dijon Bourgogne. Alors que 1 enfant sur 592 est testé positif lors du dépistage néonatal, selon les chiffres de 2022, l’ajout de nouvelles maladies à la liste, grâce à la génétique, pourrait accroître ce taux à 1 enfant sur 150.

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Toutefois, si le déchiffrage du génome s’est accéléré, son interprétation reste un défi. Selon Éric Pasmant, « il demeure très difficile d’interpréter les variations de l’ADN. Raison pour laquelle il s’agit avant tout de donner de la valeur médicale aux variations identifiées. Pour cela, la bio-informatique doit accompagner le développement du séquençage à grande échelle ». « Quand le séquençage à haut débit est arrivé, la recherche nous a livré une profusion de données, extrêmement complexes à interpréter. Comment faire entrer cela en routine ? Au-delà de la génomique, il faudra à l’avenir multiplier les sources de données, notamment l’analyse des protéines et leur activité », ajoute Bruno Quesnel.

De plus, le fait de disposer de données génomiques ne garantit pas qu’elles trouvent une réponse thérapeutique : « Beaucoup de cancers ne disposent pas de cibles identifiées, ou bien présentent des anomalies moléculaires que nous ne savons pas cibler à l’heure actuelle. Exemple, le cancer de l’ovaire, grave, très récidivant, diagnostiqué tardivement, et qui se traite essentiellement par chimiothérapie. La plupart de ses anomalies moléculaires ont trait au nombre de copies de fragments du génome, avec des gènes dupliqués, d’autres délétés. Or nous ne savons pas comment traiter précisément cela. Ces anomalies permettent de définir de manière très globale une sensibilité à certains médicaments ciblant des mécanismes de réparation de l’ADN, mais n’offrent pas encore de possibilité d’actions très spécifiques », explique Bruno Quesnel.

Un coût à relativiser

Face à des dépenses de santé sous contrainte se pose aussi la question de l’investissement nécessaire pour ces outils. Selon Bruno Quesnel, « le coût d’une analyse moléculaire, de quelques centaines à quelques milliers d’euros, doit être comparé à celui de certaines thérapeutiques. Il faut bien comprendre la quantité d’information qu’apportent ces nouveaux tests biologiques, pas seulement génomiques, en matière d’aide au diagnostic, au pronostic, au choix thérapeutique. Cet apport est sans commune mesure avec celui de certains médicaments très coûteux, parfois de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros, dont le gain de survie obtenu est parfois modeste ». Les chiffres sont également très éloignés de ceux du premier séquençage d’un génome humain : 3 milliards de dollars pour un travail de 13 ans (achevé en 2003) versus entre 300 et 400 dollars de nos jours, pour un résultat obtenu en quelques heures.

Avec 28 plateformes hospitalières de génétique moléculaire des cancers réparties sur l’ensemble de son territoire, la France s’avère plutôt bien dotée. Par ailleurs, le plan France médecine génomique 2025, lancé en 2016, a permis la mise en place de deux plateformes de séquençage très haut débit (sur les 12 initialement prévues), SeqOIA et Auragen, qui desservent respectivement le nord et le sud de la France métropolitaine. Au-delà de l’objectif d’amélioration de la prise en charge des patients cancéreux, il s’agit d’identifier de nouvelles cibles moléculaires, en vue de nouveaux traitements.

Réécrire l’ADN

Au-delà du séquençage, la « réécriture » de l’ADN par édition génomique fait souffler un vent nouveau sur la médecine. À l’origine de cette approche, les travaux menés par la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna – qui leur ont valu le prix Nobel de chimie en 2020 –, dans lesquels les chercheuses décrivent la technique Crispr (clustered regularly interspaced short palindromic repeats)/Cas9. Cette technique permet d’invalider ou de corriger un gène, via une action directe sur l’ADN génomique par la nucléase Cas9. Désormais utilisés en routine en laboratoire afin d’étudier la fonction des gènes, ces « ciseaux moléculaires » commencent à porter leurs premiers fruits médicaux. Fin 2023, un premier médicament reposant sur Crispr/Cas9, le Casgevy, était autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) contre la drépanocytose et la β-thalassémie. En France, il est accessible sous le régime de l’accès précoce.

L’édition génomique fait l’objet de nombreuses pistes de recherche, notamment en cancérologie. Exemple, « l’utilisation de cellules CAR-T antileucémiques*, dont il serait possible de masquer le système d’histocompatibilité par édition génomique, en vue d’aboutir à un produit prêt à l’emploi de type “donneur universel” », explique Anne Galy, directrice de recherche Inserm, qui dirige l’accélérateur de recherche technologique en thérapie génomique (ART-TG, Génopole, Corbeil-Essonnes). Ou encore dans les maladies infectieuses, dont l’infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH). « Dans mon laboratoire, nous utilisons ces ciseaux moléculaires pour modifier la spécificité des anticorps produits par les lymphocytes B, afin qu’ils ciblent le VIH. D’autres équipes tentent d’éditer les gènes du VIH pour les désactiver, et qu’il ne puisse plus se répliquer », ajoute Anne Galy.

* Les cellules CAR-T sont des lymphocytes T isolés à partir d’un prélèvement de sang du malade, puis modifiés génétiquement par l’ajout d’un gène codant pour un « récepteur antigénique chimérique », le CAR, adapté au cancer à traiter. Une fois réinjectés au patient, ces lymphocytes détruisent les cellules tumorales. Parmi les indications autorisées, divers cancers sanguins, dont le myélome multiple et la leucémie lymphobastique aiguë à cellules B.