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La dopamine

Publié le 27 octobre 2012
Par Denis Richard
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La transmission dopaminergique constitue la cible de nombreux médicaments importants qui agissent par stimulation (antiparkinsoniens) ou inhibition (antiémétiques, antipsychotiques).

Qu’est-ce que la dopamine ?

Intermédiaire dans la synthèse de la noradrénaline, la dopamine, structurellement voisine, exerce directement nombre de fonctions dans l’organisme :

– c’est un neurotransmetteur synthétisé in situ et libéré au niveau du système nerveux central (elle ne franchit pas la barrière hématoencéphalique) ;

– c’est une hormone synthétisée et libérée au niveau périphérique : par exemple, synthétisée par les cellules tubulaires, elle participe au contrôle de l’excrétion rénale du sodium.

Comment agit la dopamine ?

• La dopamine agit après liaison à des récepteurs spécifiques, exprimés au niveau central comme périphérique (artères, reins, cœur, tractus digestif, etc.).

• Les 5 types de récepteurs dopaminergiques sont regroupés en deux ensembles :

– groupe D1-like : récepteurs D1 et D5 ;

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– groupe D2-like : récepteurs D2, D3 et D4.

• Ces récepteurs modulent l’activité de divers types de neurones ; inversement, l’activité dopaminergique est contrôlée par de nombreux neuromédiateurs et hormones, d’où une complexité des interactions physiologiques.

Quel est son rôle physiologique ?

• Au niveau central, la dopamine est synthétisée, stockée et libérée par divers faisceaux neuronaux ayant une importance thérapeutique :

– la voie nigrostriatale (nigrostriée), qui contrôle la motricité (elle est progressivement dégradée par la maladie de Parkinson) ;

– la voie mésolimbique, impliquée dans les réactions émotionnelles, l’anxiété et diverses fonctions cognitives (l’homéostasie en est altérée dans les psychoses chroniques comme la schizophrénie, les troubles dépressifs et addictifs) ;

– la voie mésocorticale, impliquée notamment dans la mémoire ;

– la voie tubéro-infundibulaire, inhibant la libération hypophysaire de la prolactine (hormone peptidique exerçant notamment une action mammotrope lactogénique).

• Au niveau périphérique, la dopamine stimule directement plusieurs types de récepteurs (récepteurs de la noradrénaline : 1, 1, 2 ; récepteurs dopaminergiques D1) ; elle a une action vasodilatatrice artérielle, notamment rénale, et elle augmente la diurèse et la natriurèse.

• La dopamine est dégradée par deux enzymes : la monoamine-oxydase B (MAO) intraneuronale et la catéchol-O-méthyltransférase (COMT) extraneuronale.

Quels médicaments facilitent la transmission dopaminergique ?

• Certains médicaments agissent de façon directe sur les récepteurs dopaminergiques :

– la dopamine est administrée par voie parentérale en cas de choc cardiogénique ou de défaillance rénale aiguë ;

– palliant le déficit central en dopamine, les agonistes dopaminergiques sont indiqués dans le traitement de la maladie de Parkinson : apomorphine (Apokinon), bromocriptine (Parlodel), lisuride (Dopergine), pramipexole (Sifrol), ropinirole (Requip), rotigotine (Neupro) ;

– la bromocriptine (Parlodel), inhibant la sécrétion de prolactine, est indiquée pour traiter l’hyperprolactinémie (aménorrhée, galactorrhée, stérilité) ;

– le piribédil (Trivastal) est indiqué dans le traitement de la maladie de Parkinson et de divers troubles ischémiques (action vasodilatatrice périphérique).

• D’autres médicaments renforcent le tonus dopaminergique de façon indirecte :

– la lévodopa (L-dopa) franchit la barrière hématoencéphalique avant d’être transformée in situ en dopamine active dans la maladie de Parkinson. Son association à un inhibiteur de la dopadécarboxylase (bensérazide in Modopar, carbidopa in Sinemet) empêche un métabolisme périphérique qui diminue l’efficacité et augmente l’iatrogénie dopaminergique (nausées, troubles cardiaques) ;

– des inhibiteurs enzymatiques ciblant le catabolisme de la dopamine sont indiqués dans la maladie de Parkinson pour potentialiser le tonus dopaminergique : certains inhibent la MAO-B (IMAO : rasagiline, sélégiline) et d’autres la catéchol-O-méthyltransférase (ICOMT : entacapone, tolcapone) ;

– le méthylphénidate (Concerta, Ritaline) inhibe la recapture de la dopamine, comme le font, de façon peu spécifique, les antidépresseurs tricycliques (imipramine, clomipramine, etc.) ;

– L’amantadine (Mantadix) induit l’expression du gène de la dopadécarboxylase et augmente la libération de dopamine au niveau striatal : son action antiparkinsonienne reste très modeste.

Quels médicaments bloquent la transmission dopaminergique ?

• Indiqués dans le traitement des psychoses, de la maladie bipolaire et de certains troubles neurologiques (chorée, etc.), les antipsychotiques anciens (traditionnellement appelés « neuroleptiques ») sont essentiellement antidopaminergiques (chlorpromazine, halopéridol, sulpiride et analogues), alors que l’action thérapeutique des antipsychotiques plus récents (« neuroleptiques atypiques ») intéresse notamment aussi la transmission sérotoninergique (aripiprazole, asénapine, clozapine, olanzapine, quétiapine, palipéridone, rispéridone).

• Les antagonistes dopaminergiques préviennent ou atténuent les nausées et vomissements induits par l’action de la dopamine sur les récepteurs D2 de l’area postrema, une structure du système nerveux central extérieure à la barrière hématoencéphalique. L’action périphérique de la dompéridone ou du métoclopramide explique la spécificité de leur action antiémétique.

Quelle est la tolérance de ces médicaments ?

• La lévodopa et les agonistes dopaminergiques peuvent induire notamment :

– des nausées et des vomissements par action sur l’area postrema ;

– des troubles cardiovasculaires par vasodilatation (hypotension) ou par stimulation catécholaminergique excessive secondaire au métabolisme périphérique de la dopamine en noradrénaline (tachycardie, extrasystoles) ;

– des troubles neuropsychiatriques : accès brutaux de sommeil, dyskinésies, confusion, hallucinations ;

– des troubles addictifs et répétitifs (jeu pathologique, achats compulsifs, hypersexualité), y compris du punding (comportement répétitif sans but) par stimulation du « circuit de récompense » du cerveau, notamment en cas d’association de médicaments prodopaminergiques et/ou de doses élevées. Ces effets iatrogènes réversibles à l’arrêt du traitement ont parfois de graves conséquences sociales, professionnelles ou familiales justifiant l’information spécifique diffusée par l’Afssaps en 2009.

• Les antagonistes dopaminergiques peuvent induire :

– des troubles neurologiques extrapyramidaux (voir encadré ci-contre) ;

– une hyperprolactinémie par réduction du rétrocontrôle négatif de la dopamine sur l’hypophyse antérieure (perturbation du cycle menstruel avec a– ou oligoménorrhée chez la femme ne recevant pas de contraception hormonale, galactorrhée, baisse de la libido, dyspareunie, ostéopénie ; dysérection et gynécomastie chez l’homme) ;

– des réactions idiosyncrasiques (classiquement désignées comme « syndrome malin des neuroleptiques ») avec hyperthermie, rigidité musculaire, instabilité neurovégétative, perte de conscience, et possible décès en l’absence de prise en charge en urgence.

IATROGÉNIE : TROUBLES NEUROLOGIQUES EXTRAPYRAMIDAUX

• Les neuroleptiques, puissants antagonistes D2, peuvent, notamment s’ils sont prescrits à forte dose dans la schizophrénie, induire des troubles neurologiques handicapants et stigmatisants, cause d’une observance insuffisante : contractures musculaires buccofaciales incoercibles (grimaces, protrusion de la langue, etc.), syndrome parkinsonien, impossibilité à conserver une position, balancement continu, dysphonie, etc. Certains signes sont corrigés par administration d’un anticholinergique.

• Ces effets neurologiques peuvent être également induits par des neuroleptiques « masqués ». Ainsi, le métoclopramide expose à des signes extrapyramidaux frustres (tremblements, mouvements anormaux de la tête et du cou) expliquant que l’Afssaps ait contre-indiqué en février 2012 certaines spécialités incluant cet antipsychotique « masqué » chez les moins de 18 ans.

Sources : Beaulieu J.-M., Gainetdinov R.R. (2011), The physiology, signaling and pharmacology of dopamine receptors, Pharmacol. Rev., 63(1), pp. 182-217 ; Blum K. et al. (2012), The addictive brain : all roads lead to dopamine, J. Psychoactive Drugs, 44(2), pp. 134-143 ; Landry Y., Gies J.-P. (2009), Pharmacologie : des cibles vers l’indication thérapeutique, Dunod, Paris.