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La colchicine

Publié le 16 mars 2024
Par Maïtena Teknetzian
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Alcaloïde extrait du colchique, la colchicine est un poison du fuseau mitotique utilisé dans la goutte et certaines maladies inflammatoires. Du fait de sa marge thérapeutique étroite exposant à un risque de surdosage potentiellement létal, ses posologies ont été récemment revues à la baisse. La vigilance s’impose en particulier chez les insuffisants rénaux.

 

Mode d’action

Action sur la tubuline

La colchicine est capable de se fixer à la tubuline (élément constitutif du cytosquelette cellulaire) et d’empêcher sa polymérisation en microtubules, eux-mêmes impliqués dans la motilité des leucocytes, attirés par chimiotactisme sur les lieux de l’inflammation. La colchicine inhibe ainsi l’afflux des leucocytes vers les cristaux d’acide urique responsables des accès goutteux et leur phagocytose. Elle inhibe également la dégranulation des leucocytes et la libération de molécules pro-inflammatoires. Il en résulte une diminution de la production d’acide lactique, elle-même nécessaire à la précipitation de l’acide urique en cristaux d’urate.

En outre, la polymérisation de la tubuline étant essentielle à la constitution du fuseau mitotique, la colchicine agit comme un poison du fuseau et bloque les divisions cellulaires en métaphase. Ces propriétés cytotoxiques expliquent ses effets indésirables sur les cellules à renouvellement rapide notamment, comme les cellules digestives et hématopoïétiques.

Indications

Goutte et certaines maladies inflammatoires

La colchicine est indiquée dans la prophylaxie de la crise de goutte et le traitement des accès goutteux ou d’autres accès aigus microcristallins.

Elle est aussi utilisée dans certaines pathologies à composante inflammatoire comme la maladie périodique (ou fièvre méditerranéenne familiale), la maladie de Behçet (vascularite caractérisée par des ulcérations buccales, génitales et cutanées) et la péricardite aiguë idiopathique.

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Pharmacocinétique

Médicament à marge thérapeutique étroite

Absorption : la colchicine est rapidement absorbée par voie orale. Substrat de la P-glycoprotéine (ou P-gp, protéine d’efflux empêchant la diffusion de certains médicaments au travers de la muqueuse intestinale) et du cytochrome P450 (CYP) 3A4, sa biodisponibilité peut être augmentée par les inhibiteurs de P-gp et/ou du CYP 3A4.

Distribution : sa répartition tissulaire est inégale. Elle diffuse peu au niveau du cœur, des poumons et du cerveau, mais se fixe très bien au niveau des cellules de la muqueuse intestinale, des reins, du foie, de la rate et sur les leucocytes. C’est un médicament à marge thérapeutique étroite (dont le seuil toxique est proche des concentrations plasmatiques efficaces), exposant au risque de surdosage.

Métabolisme : elle est métabolisée au niveau du foie par le CYP 3A4. Elle subit un important cycle entérohépatique, qui contribue à expliquer sa toxicité digestive.

Elimination : la colchicine est éliminée pour les deux tiers par voie biliaire dans les selles, pour un tiers dans les urines par filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire. Ses posologies doivent donc être adaptées chez l’insuffisant rénal et/ou hépatique, pour éviter un surdosage. Sa demi-vie varie entre 20 et 40 heures. Elle n’est pas dialysable.

Contre-indications

Insuffisance rénale ou hépatique sévère

En raison de son mode d’élimination et de sa marge thérapeutique étroite, la colchicine est contre-indiquée chez l’insuffisant hépatique sévère et chez l’insuffisant rénal sévère (débit de filtration glomérulaire inférieur à 30 ml/min).

Effets indésirables

Troubles digestifs

Les effets indésirables de la colchicine sont dose-dépendants. Il s’agit fréquemment de troubles digestifs à type de diarrhée, de nausées et vomissements. Ils constituent l’un des premiers signes de surdosage potentiel et doivent conduire à arrêter le traitement et à consulter le médecin qui décidera d’une réduction de la posologie ou d’un changement de prise en charge. Pour cette raison, l’utilisation de la colchicine seule (Colchicine Opocalcium) est préférée à son association avec la poudre d’opium et à un anticholinergique, le tiémonium, tous deux ralentisseurs du transit (Colchimax), qui peuvent masquer les signes de surdosage. 

La colchicine est également responsable, chez certains patients, d’hépatotoxicité et, plus rarement, d’hématotoxicité (leucopénie, thrombopénie) et de troubles musculaires à type de crampes, de neuromyopathies, voire de rhabdomyolyse (très rare). Exceptionnellement, elle peut provoquer une azoospermie, réversible à son arrêt. 

Interactions

Avec les inhibiteurs du CYP 3A4

L’association de la colchicine avec des inhibiteurs de la P-gp et/ou du CYP 3A4 entraîne une augmentation des concentrations plasmatiques en colchicine. L’association est contre-indiquée avec les macrolides (sauf la spiramycine) et la pristinamycine. Elle est déconseillée avec les antifongiques azolés, les antirétroviraux boostés au ritonavir ou au cobicistat, le vérapamil et la ciclosporine (qui est par ailleurs néphrotoxique).

Son association avec les statines doit prendre en compte un risque additionné d’effets indésirables musculaires et nécessite une surveillance clinique et biologique renforcée, notamment au début de l’association. 

Surveillance

Fonction rénale

Un bilan rénal est recommandé, en particulier chez les patients âgés, avant l’instauration du traitement afin d’adapter éventuellement la posologie.

Une numération formule sanguine et une surveillance des plaquettes ainsi qu’une réévaluation de la fonction rénale doivent être envisagées, notamment le premier mois, puis régulièrement pendant un traitement au long cours, en particulier chez l’insuffisant rénal et/ou hépatique et le sujet âgé.

Les schémas posologiques dans la goutte

Attention au surdosage en colchicine !

Des cas de surdosages graves en colchicine sont décrits. Se traduisant par des troubles digestifs, des atteintes respiratoires, cardiovasculaires, hématologiques et neurologiques, ils ont conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à revoir à la baisse les posologies de la colchicine utilisée dans le traitement curatif ou préventif de la goutte, en conformité avec les recommandations de la Société française de rhumatologie (SFR) et de l’Alliance européenne des associations de rhumatologie (Eular).

En traitement de l’accès aigu : 1 mg de colchicine le plus rapidement possible le premier jour, suivi de 0,5 mg 1 heure après, puis 0,5 mg 2 à 3 fois par jour les jours suivants.

En traitement prophylactique : 0,5 à 1 mg par jour si les fonctions hépatique et rénale sont normales ; 0,5 mg par jour en cas d’insuffisance organique légère ; 0,5 mg 1 jour sur 2 en cas d’insuffisance organique modérée ou de survenue d’effets indésirables.

Depuis juillet 2023, un message entouré d’un liseré rouge avec un pictogramme « danger » a été apposé sur les boîtes pour alerter les patients et les inciter à consulter rapidement un médecin en cas de survenue de diarrhée, nausées ou vomissements.

Il n’existe pas d’antidote spécifique à la colchicine. Si nécessaire, la prise en charge d’un surdosage fait appel à la réanimation médicale.  

  • Sources : « Prise en charge par colchicine de la goutte : une nouvelle posologie plus faible et un message d’alerte sur les boîtes pour réduire le risque de surdosage », Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 10 octobre 2023 ; « Antigoutteux : les points essentiels », Collège national de pharmacologie médicale, pharmacomedicale.org ; « Cytosquelette », pharmacorama.com ; thésaurus des interactions médicamenteuses de l’ANSM, septembre 2023 ; base de données publique des médicaments.