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Etudes en vie réelle : un rêve pour l’officine ?
Alors que les études en vie réelle se multiplient, les pharmaciens sont des producteurs de données tout trouvés pour permettre d’évaluer l’utilisation des produits de santé, l’observance ou bien les effets indésirables. Une perspective qui peut réellement valoir le coup.
le décret du 3 octobre 2018 relatif aux conseils et prestations en officine inscrit comme l’une des missions du pharmacien la participation à « des actions d’évaluation en vie réelle des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique en collaboration avec les autorités sanitaires ». Un an après, qu’en est-il ? Concrètement, pas grand-chose. Pourtant, le développement actuel et futur des études en vie réelle mérite de ne pas se contenter de regarder passer les trains. Les études en vie réelle sont ainsi nommées afin de les distinguer des essais cliniques, qui, en résumé, sont encadrés et portent sur des patients sélectionnés. Elles permettent en effet de recueillir des données sur les conditions d’utilisation des médicaments dans la « vraie vie ». « Pour la Haute Autorité de santé (HAS), les données des études en vie réelle sont indispensables et complémentaires des essais cliniques, explique Marion Pinet, chef de projet au service évaluation du médicament à la HAS. Nous les utilisons pour disposer d’une vision de l’épidémiologie de la maladie et du nombre de malades et après la mise sur le marché du médicament pour avoir une photographie de ce qui se passe en pratique : qui utilise le médicament ? Comment est-il utilisé ? Quels sont ses effets indésirables ? Quelle est son efficacité sur des patients âgés ou qui ont des maladies qui les excluent des études cliniques ? »
« L’intérêt des études en vie réelle est de pouvoir étudier l’impact des mesures prises par les autorités sanitaires, l’adhérence à un traitement, les arrêts de traitements, les switchs, l’âge et le sexe des patients, les consommations de médicaments non recommandés dans certains cas, etc. Nous avons ainsi mené une étude sur l’exposition des femmes en âge de procréer à la Dépakine depuis 2011 », complète Catherine Commaille-Chapus, directrice de la stratégie chez OpenHealth Company, société de collecte et d’analyse des données de santé. « Les études observationnelles sont aussi essentielles dans le cadre de l’arrivée précoce de médicaments innovants sur le marché mais qui peuvent être associés à des risques plus importants », ajoute Marion Pinet. De fait, les données en vie réelle répondent à plusieurs finalités dont le paiement à la performance (voir Repères p. 16). Et leur nombre augmente. « L’industrie pharmaceutique considère qu’elle a besoin de preuves et que ces études doivent être développées. Elles répondent à d’autres questions que les essais cliniques sur le bénéfice/risque des médicaments, ainsi qu’à des questions complémentaires, notamment pour préciser les prises en charge des patients dans leur parcours de soins, souligne Thomas Borel, directeur scientifique des entreprises du médicament (Leem). Les industriels sont actifs et le Leem mène une réflexion sur les standards et la meilleure utilisation de ces données par les autorités. De fait, chaque industriel a aujourd’hui au moins un expert en « vie réelle », ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. » Désormais, les autorités sanitaires sont dans la mouvance. Depuis 3 ans environ, chaque année, la commission de la transparence de la HAS, chargée d’évaluer les médicaments ayant obtenu leur AMM lorsque le laboratoire souhaite obtenir leur prise en charge, demande en moyenne 16 études en vie réelle aux industriels pharmaceutiques. Les autorités sanitaires peuvent aussi commanditer des études. C’est ce que fait la HAS, en dehors de la commission de transparence, en partenariat avec des équipes académiques ou la Caisse nationale de l’assurance maladie. La HAS fait également partie des clients d’OpenHealth Company, ainsi que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). « Nous avons la conviction que c’est une évolution très forte du marché », relève Catherine Commaille-Chapus.
Un modèle économique pour l’instant aux abonnés absents
Mais plusieurs éléments freinent le développement des études avec des pharmaciens. « Nous avons un problème de culture : les professionnels de santé ne sont pas sensibilisés à ces études observationnelles lors de leur formation initiale et dans le cadre de leur formation continue. Ils sont relativement peu impliqués », constate Thomas Borel. La réalisation d’études en vie réelle nécessite aussi de l’implication. « Il faut constituer un panel et recruter des pharmaciens, sachant que, sur une molécule donnée, une pharmacie n’aura que 4 à 5 patients en moyenne. Nous devons donc cibler les pharmaciens, les contacter, leur expliquer l’objectif, obtenir leur accord et les former au recueil de données, qui est protocolisé », détaille Geoffroy Vergez. « Les pharmaciens pourraient être plus investigateurs, mais aujourd’hui, le recueil d’informations en officine manque de formalisme, de traçabilité et d’organisation », remarque Stéphanie Corre-Le Bail ajoutant que « l’administration d’un questionnaire requiert du temps. C’est chronophage. » Dernier obstacle et pas des moindres : la rémunération. Si les pharmaciens sont rémunérés au temps passé, entre 50 et 85 € par patient selon l’étude, « le décret d’octobre 2018 n’a pas fait avancer les choses, car il n’y a pas de modèle économique derrière », souligne Geoffroy Vergez. « La rémunération doit entrer dans le cadre conventionnel pour les médicaments ayant une AMM. Le mode de rémunération doit être simple, lié au temps passé. C’est le prolongement d’un acte de dispensation », propose Gilles Bonnefond, président de l’Union nationale des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), qui souhaite que des thématiques soient trouvées très rapidement comme le valproate, la cyprotérone ou une molécule sortant de la réserve hospitalière. « Le pharmacien doit s’emparer du sujet afin d’amorcer la pompe », abonde Hubert Méchin. En clair, la profession doit se positionner et montrer son engagement. « L’idéal serait d’avoir un réseau représentatif de 1 000 pharmaciens déjà formés aux études et qui pourraient être sollicités de façon récurrente », imagine Geoffroy Vergez. Jocelyne Wittevrongel, secrétaire générale de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), soutient une idée semblable : « Les pharmaciens intéressés devraient pouvoir s’inscrire sur une plate-forme sous l’égide de l’ANSM ou de l’Ordre. Ils pourraient ainsi être contactés, en dehors des groupements. Sinon, comment le pharmacien peut-il être informé des études auxquelles ils pourraient participer ? » En clair, faire connaître sa motivation est déjà un premier pas.
* Rapport de Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, publié en mai 2017.
ÇA SE PASSE COMME ÇA
• Administration d’un questionnaire en face-à-face dans l’espace de confidentialité.
• La durée de l’échange est d’au moins 20 minutes.
• C’est au pharmacien de transmettre ensuite les données.
• Il peut y avoir, de la part du donneur d’ordre, des contrôles aléatoires portant sur la qualité du recueil des informations.
À RETENIR
• Les études en vie réelle sont à distinguer des essais cliniques encadrés et portant sur des patients sélectionnés.
• Le décret « services » du 3 octobre 2018 inscrit comme l’une des missions du pharmacien la participation à « des actions d’évaluation en vie réelle des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique en collaboration avec les autorités sanitaires ».
• La réalisation d’études spécifiques qui permettent d’avoir une réponse à des questions précises est totalement du ressort du pharmacien.
• La rémunération de la mission se heurte pour l’instant à une absence de modèle économique.
QUE PEUT-ON ATTENDRE DES ÉTUDES EN VIE RÉELLE ?
Les études en vie réelle répondent à plusieurs finalités. Ce tableau, tiré du rapport « Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé – L’exemple du médicament »*, en présente un récapitulatif. PAR MAGALI CLAUSENER
Le pharmacien, ce personnage clé
Un phénomène lié aussi à la diversification des sources de données comme le souligne Hubert Méchin, consultant chez Helsia, cabinet d’expertise dans l’évaluation des produits de santé en conditions réelles d’utilisation, et membre de l’Association française des sociétés de recherche clinique (Afcros). Parmi elles, le Système national des données de santé (SNDS), qui regroupe le Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram), le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), la base du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc-Inserm), des données relatives au handicap et un échantillon de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire. Devrait s’y ajouter le « Health Data Hub », la plateforme de données prévue par la loi de santé du 24 juillet 2019. Sans oublier les données des pharmacies. OpenHealth Company collecte ainsi les données de vente d’environ 11 000 officines. Les pharmaciens jouent donc déjà un rôle. Celui-ci pourrait être encore plus important. En effet, « il existe deux manières de recueillir des données, précise Marion Pinet. Soit par la réalisation d’études spécifiques qui permettent d’avoir une réponse aux questions précises que l’on se pose, soit par l’utilisation secondaire de données déjà existantes comme les remboursements effectués par l’assurance maladie. » C’est dans le premier cas de figure que peuvent s’inscrire les officinaux. Les études spécifiques s’appuient sur des questionnaires administrés par les professionnels de santé : les médecins mais aussi les pharmaciens. « Par exemple, sur l’observance, le pharmacien a toute sa valeur : c’est lui qui peut le mieux décrire l’inobservance, le patient s’exprimant plus facilement auprès de son pharmacien que de son médecin », explique Hubert Méchin. Le rapport « Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé – L’exemple du médicament »* ne dit pas autre chose : « Le réseau des pharmaciens, qui a déjà mis en place le dossier pharmaceutique, pourrait aussi être mobilisé pour des recueils de données, notamment lorsqu’il s’agit de recueillir l’expérience des patients, qu’ils voient régulièrement à la pharmacie. […] Les pharmaciens pourraient par exemple recueillir des éléments intéressants sur l’adhésion au traitement, sur les raisons de la non-observance ou de l’arrêt de traitement. » Les auteurs vont même plus loin : « On pourrait aussi proposer – même si ces renseignements peuvent aussi être extraits des dossiers médicaux des généralistes – qu’un certain nombre de données de base telles que l’IMC ou le tabagisme, dont l’absence dans le Sniiram est particulièrement problématique pour les études pharmaco-épidémiologiques car ce sont potentiellement des facteurs de confusion, puissent être recueillies par les officines pour un échantillon de patients. »
Le champ est donc large. « Le pharmacien est bien positionné, notamment dans le cadre des médicaments qui sortent de la réserve hospitalière, note Geoffroy Vergez, directeur général d’Observia, société spécialisée dans le développement de programmes d’accompagnement des patients. Mais dans la réalité, très peu d’études sont mises en œuvre, et ce, malgré les groupements. Les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas l’habitude de travailler avec de tels investigateurs. » Giropharm essaie justement de développer les partenariats avec les industriels. Une étude sur le diabète de type 2 a notamment été réalisée. « C’est à nous, groupements, de faire comprendre la richesse des données qui sont recueillies par les officines et qui pourraient être exploitées, déclare Stéphanie Corre-Le Bail, directrice santé qualité formation de Giropharm. Notre métier n’est pas de faire de la recherche mais de sensibiliser les pharmaciens à ce sujet. Nous avons beaucoup communiqué dans notre réseau sur le changement de paradigme et le fait que le pharmacien était bien placé sur les études en vie réelle. »
Un modèle économique pour l’instant aux abonnés absents
Mais plusieurs éléments freinent le développement des études avec des pharmaciens. « Nous avons un problème de culture : les professionnels de santé ne sont pas sensibilisés à ces études observationnelles lors de leur formation initiale et dans le cadre de leur formation continue. Ils sont relativement peu impliqués », constate Thomas Borel. La réalisation d’études en vie réelle nécessite aussi de l’implication. « Il faut constituer un panel et recruter des pharmaciens, sachant que, sur une molécule donnée, une pharmacie n’aura que 4 à 5 patients en moyenne. Nous devons donc cibler les pharmaciens, les contacter, leur expliquer l’objectif, obtenir leur accord et les former au recueil de données, qui est protocolisé », détaille Geoffroy Vergez. « Les pharmaciens pourraient être plus investigateurs, mais aujourd’hui, le recueil d’informations en officine manque de formalisme, de traçabilité et d’organisation », remarque Stéphanie Corre-Le Bail ajoutant que « l’administration d’un questionnaire requiert du temps. C’est chronophage. » Dernier obstacle et pas des moindres : la rémunération. Si les pharmaciens sont rémunérés au temps passé, entre 50 et 85 € par patient selon l’étude, « le décret d’octobre 2018 n’a pas fait avancer les choses, car il n’y a pas de modèle économique derrière », souligne Geoffroy Vergez. « La rémunération doit entrer dans le cadre conventionnel pour les médicaments ayant une AMM. Le mode de rémunération doit être simple, lié au temps passé. C’est le prolongement d’un acte de dispensation », propose Gilles Bonnefond, président de l’Union nationale des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), qui souhaite que des thématiques soient trouvées très rapidement comme le valproate, la cyprotérone ou une molécule sortant de la réserve hospitalière. « Le pharmacien doit s’emparer du sujet afin d’amorcer la pompe », abonde Hubert Méchin. En clair, la profession doit se positionner et montrer son engagement. « L’idéal serait d’avoir un réseau représentatif de 1 000 pharmaciens déjà formés aux études et qui pourraient être sollicités de façon récurrente », imagine Geoffroy Vergez. Jocelyne Wittevrongel, secrétaire générale de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), soutient une idée semblable : « Les pharmaciens intéressés devraient pouvoir s’inscrire sur une plate-forme sous l’égide de l’ANSM ou de l’Ordre. Ils pourraient ainsi être contactés, en dehors des groupements. Sinon, comment le pharmacien peut-il être informé des études auxquelles ils pourraient participer ? » En clair, faire connaître sa motivation est déjà un premier pas.
* Rapport de Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, publié en mai 2017.
ÇA SE PASSE COMME ÇA
• Administration d’un questionnaire en face-à-face dans l’espace de confidentialité.
• La durée de l’échange est d’au moins 20 minutes.
• C’est au pharmacien de transmettre ensuite les données.
• Il peut y avoir, de la part du donneur d’ordre, des contrôles aléatoires portant sur la qualité du recueil des informations.
À RETENIR
• Les études en vie réelle sont à distinguer des essais cliniques encadrés et portant sur des patients sélectionnés.
• Le décret « services » du 3 octobre 2018 inscrit comme l’une des missions du pharmacien la participation à « des actions d’évaluation en vie réelle des médicaments, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique en collaboration avec les autorités sanitaires ».
• La réalisation d’études spécifiques qui permettent d’avoir une réponse à des questions précises est totalement du ressort du pharmacien.
• La rémunération de la mission se heurte pour l’instant à une absence de modèle économique.
QUE PEUT-ON ATTENDRE DES ÉTUDES EN VIE RÉELLE ?
Les études en vie réelle répondent à plusieurs finalités. Ce tableau, tiré du rapport « Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé – L’exemple du médicament »*, en présente un récapitulatif. PAR MAGALI CLAUSENER
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