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Dr Christian Gay : Les confessions d’un psy

Publié le 22 septembre 2001
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Alors que la CNAM envisage de réviser les indications et les RMO des benzodiazépines, Christian Gay et Alain Gérard, psychiatres, publient le « Guide des médicaments « psy » ». Publié aux éditions Livre de Poche, donc très grand public, l’ouvrage détaille les maladies psychiatriques et passe au crible tous les psychotropes de A à Z. Interview du Dr Christian Gay.

« Le Moniteur » : Quelles raisons vous ont poussés à écrire ce guide ?

Christian Gay : A l’issue de plusieurs années d’exercice professionnel, mon confrère et moi-même avons ressenti le besoin de nous exprimer et de donner notre avis sur les psychotropes. Les patients ont besoin d’une information éclairée pour bien évaluer les risques encourus. Sur les notices de médicaments, cette information manque de pondération au sujet des effets indésirables. En effet, les atteintes hépatiques se trouvent au même niveau que la sécheresse buccale. Ces notices, tout comme le Vidal grand public, sont rédigées à partir des mentions légales et manquent de recommandations pratiques. Il nous a paru utile de préciser certaines règles de base.

Que peut apporter ce guide au lecteur ?

Aujourd’hui, le consommateur de médicaments a droit à une information. Les temps ont changé, les médecins n’ordonnent plus mais ils conseillent. Or, il faut reconnaître que nous manquons de temps au cours d’une consultation pour fournir des explications détaillées. Ce livre complète donc la consultation médicale. Il permet au patient de bien connaître sa maladie et ses médicaments, facteur indispensable à la bonne observance des traitements. Lorsque l’on sait qu’en psychiatrie, un patient sur deux ne prend pas correctement ses médicaments, l’utilité de notre guide se justifie sans peine.

Vous faites l’apologie du Prozac, ne craignez-vous pas d’être accusés de publicité ?

Absolument pas ! Le Prozac a fait la preuve de son efficacité. Il se trouve tout simplement victime de son succès. Cependant, nous soulevons la question de l’éventuelle existence d’un effet « antistress ». Cette propriété, en ne motivant pas l’arrêt du médicament, expliquerait en partie la surconsommation de ce médicament qui demeure un excellent antidépresseur. Si le Prozac bénéficie de nos louanges, en revanche nous n’hésitons pas à prendre partie contre le Rohypnol et ses effets paradoxaux importants. Les mesures prises en début d’année pour limiter son utilisation détournée sont justifiées, mais néanmoins insuffisantes. Aux Etats-Unis, ce médicament a d’ailleurs été retiré du marché.

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Vous dénoncez également l’utilisation abusive des benzodiazépines en général…

Effectivement, les anxiolytiques sont trop souvent consommés pour des formes mineures d’anxiété. Mais les coups de blues passagers ne relèvent pas de ce type de traitement. D’autant plus que les benzodiazépines risquent d’entraîner une dépendance et même un passage à l’acte. Tout le monde ne réagit pas positivement à la prise de benzodiazépines !

Les malades ne risquent-ils pas de devenir critiques vis-à-vis des prescriptions ?

Ce livre offre avant tout au patient la possibilité d’établir ou de commencer une discussion avec son médecin. Nous lui donnons les moyens nécessaires pour participer activement au traitement ou pour s’interroger sur l’utilité de tel ou tel médicament. Car parfois, nous renouvelons un médicament même si le patient n’en a plus besoin. Les critiques des malades incitent donc les professionnels de santé à se remettre en question. Je n’y vois là que des avantages.

Vous précisez bien que la prise d’hypnotiques ne doit pas dépasser un mois. Que conseiller aux patients si les troubles persistent au-delà de cette période ?

Vous soulevez un véritable problème. Nous rencontrons des malades prenant des hypnotiques à dose croissante depuis vingt-cinq ans et ne pouvant pas les arrêter. Face à ce tableau, nous sommes un peu démunis. La prévention doit se faire à la base c’est-à-dire en début de traitement. Le patient doit être prévenu des phénomènes d’accoutumance et de baisse rapide d’efficacité justifiant une courte durée de prescription. Si les troubles du sommeil persistent, les hypnotiques peuvent être remplacés par des neuroleptiques à faible dose, des antihistaminiques ou bien du Donormyl. Il ne faut pas négliger la relaxation. Sans oublier de traiter parallèlement les troubles dépressifs et anxieux à l’origine même des perturbations du sommeil.

En insistant sur la prise de poids engendrée par les psychotropes, n’allez-vous pas décourager nombre de patients ?

C’est une réalité et il faut prévenir les personnes d’emblée. Plutôt que de dissimuler la réalité nous devons mettre en place des mesures diététiques dès le début du traitement. Ainsi il faut informer pour pouvoir mieux réagir. Et ça marche. Exemple probant, j’ai des patientes mannequins qui n’ont pas pris un gramme sous lithium.

Comment placez-vous le pharmacien dans la prise en charge des troubles psychiatriques ?

Partenaire du médecin lors de la délivrance d’une ordonnance, le pharmacien peut également intervenir en première ligne. A condition bien sûr qu’il s’agisse d’une pathologie transitoire ne s’inscrivant pas dans une maladie caractérisée. Dans les cas de difficultés d’endormissement, les pharmaciens disposent de médicaments (non inscrits aux tableaux) pouvant corriger efficacement ces troubles passagers, tels l’Euphytose ou tout autre médicament à base de plantes permettant de dominer les états mineurs d’anxiété.

Et le millepertuis ?

Qui dit plante pense souvent principe actif anodin. Avec le millepertuis, il faut être prudent. Il n’est pas dénué d’interactions. Au même titre que les autres produits phytothérapiques, il n’est pas destiné à traiter une véritable dépression. Une recommandation s’impose : un médicament antidépresseur ne doit pas être remplacé par une plante. Le cas échéant, c’est une faute grave.

Les conseils prodigués à travers votre ouvrage ne remplacent-ils pas ceux du pharmacien ?

Sincèrement, croyez-vous qu’en une seule fois (et en l’occurrence lors de la délivrance de l’ordonnance), les malades intègrent toute l’information ? En aucun cas le livre ne se substitue aux acteurs de santé. Il vient en complément. D’autant que les explications fournies par les pharmaciens lors de la délivrance restent fondamentales.

L’autre paradoxe français

200 millions de boîtes de psychotropes vendues chaque année dont 70 millions de tranquillisants. Peu de pays font mieux que la France où les médicaments « psy » ont indéniablement la cote. « Paradoxalement, les malades ne sont pas forcément bien traités, explique Christian Gay. Certains prennent trop de médicaments alors que d’autres n’accèdent pas aux soins car ils ont une conception honteuse de la maladie. » Mais que faire pour démythifier les troubles dépressifs ? « Là encore, l’information passe par les professionnels de santé. Aux Etats-Unis par exemple, nombre de psychiatres illustres ont écrit des ouvrages autobiographiques sur leur pathologie », explique le psychiatre, qui regrette par ailleurs le non-remboursement de la psychothérapie et de la relaxation. Pour lui, ce problème de prise en charge, en limitant l’accès aux thérapies psychocomportementales, entretient la surconsommation de psychotropes.

Formation continue pour… les patients

Christian Gay anime à l’hôpital Sainte-Anne (Paris) un cycle de formation destiné aux malades. Douze séances sur le thème de la psychose maniacodépressive organisées sous forme de groupe de travail leur sont consacrées. Devant le succès rencontré, l’organisateur promet d’étendre ce type de d’enseignement à d’autres pathologies. A suivre.

Renseignements : 01 45 65 81 50.