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Comment trouver une place au sommeil

Publié le 23 septembre 2023
Par Caroline Guignot
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Bonne nouvelle au pays des songes : le daridorexant (Quviviq), qui sera prochainement commercialisé, met un terme à près de 20 ans sans innovation dans le domaine de la prise en charge médicamenteuse de l’insomnie chronique en Europe. Mais les solutions plus traditionnelles sont toujours d’actualité.

 

Fin mai 2023, la Haute Autorité de santé (HAS) a donné un avis favorable au remboursement du daridorexant comme « traitement de seconde intention chez l’adulte, dans le traitement de l’insomnie caractérisée par des symptômes présents depuis au moins trois mois et avec un impact significatif sur le fonctionnement pendant la journée ». Premier de sa classe en Europe1, le daridorexant est un antagoniste double des récepteurs de l’orexine (appelée aussi hypocrétine), un neuropeptide décrit en 1999 comme étant le chef d’orchestre entre les centres de l’éveil et ceux du sommeil. Ces antagonistes sont les seuls médicaments à agir véritablement en réduisant l’éveil, plutôt qu’en induisant le sommeil. « Le système de l’hypocrétine fonctionne comme un interrupteur général qui se situe au-dessus des neuromédiateurs sur lesquels on joue habituellement comme l’histamine ou le Gaba », explique le Dr Isabelle Poirot, psychiatre dans l’unité de sommeil du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille (Nord). Ils sont aussi plus spécifiques.

 

En pratique, le daridorexant est efficace sur l’endormissement et les éveils en milieu et fin de nuit tout en conservant les courtes périodes de réveils (« wake bouts », inférieurs à 6 minutes) en cas d’alerte, au contraire des hypnotiques. « Reste que les études cliniques qui ont été menées versus placebo ou zolpidem avaient recruté des personnes atteintes d’insomnie chronique sans comorbidités médicales ou mentales, et chez lesquelles l’altération du sommeil avait été objectivée par des polysomnographies, insiste le Pr Yves Dauvilliers, neurologue dans le centre des troubles du sommeil et de l’éveil au CHU de Montpellier (Hérault). L’efficacité du daridorexant ne sera pas forcément transposable dans la “vraie vie”, où les patients insomniaques ont souvent une mauvaise perception de leur sommeil et peuvent se plaindre alors que celui-ci est objectivement normal. » Sa place aux côtés des hypnotiques existants reste à établir dans la pratique clinique, selon la tolérance, les interactions médicamenteuses (médicaments dépresseurs du système nerveux central, inhibiteurs du CYP3A4) et les comédications ou les comorbidités du patient. Les données en vie réelle seront également utiles. Isabelle Poirot émet aussi certaines réserves : « L’arrivée de ce traitement risque de créer un raz-de-marée et d’être prescrit à tout venant, y compris dans de mauvaises indications. » Ce qui suppose une exploration suffisante de la plainte initiale.

Traitement non médicamenteux en première intention

 

« Il faut rappeler qu’une insomnie chronique se définit par des difficultés à dormir au moins trois soirs par semaine depuis au moins trois mois, martèle le neurologue. Mais être un mauvais dormeur, ce n’est pas être insomniaque. L’insomnie se définit aussi par l’existence de conséquences diurnes. Ce sont souvent ces dernières qui motivent le recours à un traitement pharmacologique, et non le seul fait de mal dormir la nuit ». Banalisées et fréquentes, les explorations des troubles du sommeil sont rarement exhaustives : recherche de troubles de l’humeur, de douleurs, d’un syndrome des jambes sans repos, d’une hyperthyroïdie ou d’une cause iatrogène… La première approche consiste à traiter les problématiques identifiées pour n’envisager la prise en charge des troubles du sommeil que s’ils persistent ensuite. « Trop facilement, des hypnotiques sont prescrits mais ne marchent pas du fait de ces comorbidités, si elles ne sont pas prises en charge », poursuit le spécialiste. Aussi, les médecins augmentent souvent les doses et favorisent la dépendance, sans efficacité.

 

« La dépendance n’est pas que pharmacologique mais aussi psychopathologique », reconnaît Isabelle Poirot. D’une part vis-à-vis de la prise médicamenteuse, qu’elle soit traditionnelle, de phytothérapie ou d’homéopathie. D’autre part, parce que l’effet placebo est très élevé dans le sommeil. En conséquence, « les patients dorment bien et développent un souvenir du bien-être lors des premières nuits qui les conduit à penser que c’est grâce au médicament. Lorsqu’ils ne prennent pas leur traitement, la tension psychique engendrée les conduit à mal dormir et conforte leurs croyances ».

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Toutes ces raisons font de l’éducation et l’hygiène de vie (activité physique, luminothérapie, alimentation, etc.), puis des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) les premières étapes de prise en charge de l’insomnie. Elles doivent permettre de déconstruire, par exemple, la recherche d’une performance dans le sommeil, qui incite à prolonger le temps au lit pour s’endormir, faire une sieste, rattraper la fatigue… « Plus le temps passé au lit est bref, plus on dort », résume Yves Dauvilliers.

La délicate manipulation de la mélatonine

 

Les plaintes aux âges extrêmes de la vie peuvent relever d’approches spécifiques. Durant l’enfance, les approches doivent surtout être non médicamenteuses et psychocomportementales avec un accompagnement des parents autour de l’hygiène de vie de l’enfant et des routines du coucher. Ensuite, le syndrome de retard de phase (coucher et lever naturellement retardé de plusieurs heures) de l’adolescent et l’insomnie du sujet âgé (une fois les autres causes exclues) dépendent parfois du cycle de la mélatonine. Lorsque ces difficultés ont un retentissement important sur la vie diurne, la prescription de mélatonine peut être envisagée, bien qu’inconstamment efficace. Les jeunes relèvent d’une prescription à visée chronobiotique, requérant des doses faibles (0,5-1mg) et une forme à libération immédiate, à prendre en tout début de soirée. Les sujets âgés (au-delà de 60-70 ans le plus souvent) doivent plus volontiers utiliser une forme à libération prolongée prescrite une à deux heures avant le coucher (2 mg) afin de reproduire la courbe physiologique de sécrétion, dont l’intensité diminue avec l’âge. « Les formulations disponibles sans ordonnance ont des dosages affichés qui sont souvent différents de la dose réelle, tout comme la pharmacocinétique très variable d’une forme à l’autre. Par ailleurs, la mélatonine n’aura que peu d’effet chez une personne confrontée a une insomnie mais avec une sécrétion physiologique normale de mélatonine. Le recours à la mélatonine devrait donc faire l’objet d’une prescription médicale, afin de préciser le contexte, la dose, l’heure de prise et encore une fois les causes et comorbidités liées à l’insomnie », poursuit-il. La phytothérapie peut plus facilement être proposée pour les mauvais dormeurs.

 

Quoiqu’il en soit, le principal message est d’orienter les patients qui se plaignent régulièrement au comptoir vers un spécialiste dans ce domaine. Mais la prise en charge du sommeil est une compétence et elle ne se développe que depuis peu de temps comme spécialité (somnologie) au sein du corps médical. « 200 praticiens sont aujourd’hui formés à la prise en charge de l’insomnie en France, notamment des psychiatres, des psychologues qui ont appris les TCC de l’insomnie », résume Isabelle Poirot. L’offre reste insuffisante, y compris dans les centres d’exploration du sommeil. Aussi, les pharmaciens constituent un relais d’information essentiel pour rappeler aux personnes qui se plaignent d’insomnie l’importance de tous les paramètres environnementaux et d’hygiène de vie, ainsi que les grands principes de prise en charge2.

  • 1 Divers représentants de cette classe thérapeutique sont disponibles depuis plusieurs années aux Etats-Unis et dans d’autres pays extra-européens.
  • 2 Une information détaillée pour les professionnels de santé et une orientation diagnostique du grand public sont disponibles sur le site de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), institut-sommeil-vigilance.org, et sur le site du réseau Morphée, reseau-morphee.fr.