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Comment l’épigénétique révolutionne la thérapeutique
La génétique ne serait rien sans l’épigénétique, ces mécanismes fins et complexes capables de modifier l’expression des gènes en fonction de l’environnement. Depuis une vingtaine d’années, ces mécanismes sont mieux compris et ouvrent un nouveau pan d’innovations thérapeutiques.
Comment expliquer la différence de phénotype entre des jumeaux partageant le même ADN ? Comment les cellules de notre corps, au génome identique, sont-elles capables de se différencier en tissus et organes distincts ? L’épigénétique répond à ces différentes questions que le tout génétique ne peut résoudre. Le concept a été proposé en 1942 par le biologiste britannique Conrad Waddington : selon lui, le destin cellulaire dépendait de l’interaction du génome avec son environnement. Depuis, les bases biologiques de cette interaction ont été posées et ont permis d’en établir une définition plus précise : « L’épigénétique rassemble toutes les modulations de l’expression génétique dues à des facteurs autres que des mutations dans l’ADN », explique Pierre-Antoine Defossez, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ces mécanismes ont pour fonction de favoriser l’expression ou, à l’inverse, la répression d’un gène. « C’est une composante nécessaire et essentielle du développement normal d’un organisme, qui permet sa continuelle adaptation aux paramètres environnementaux et qui, à l’inverse d’une mutation, est totalement réversible. »
Génétique-épigénétique : des liens étroits et bidirectionnels
L’épigénétique implique différents types de processus : le greffage de groupements méthyles sur la séquence d’ADN, la modification du compactage de l’ADN au niveau des protéines histones (HDAC) ou encore la synthèse d’ARN non codants (microARN, ARN interférents, etc.) qui modulent l’expression des ARN messagers. On estime que cet ensemble serait responsable de 75 % de la variabilité phénotypique, laissant au génotype les 25 % restants. Mais les relations entre les deux sont étroites : l’influence d’un facteur environnemental sur l’épigénétique dépend de la génétique et elle-même est influencée par l’épigénétique. Par ailleurs, si la mutation de certains gènes change la façon dont la régulation épigénétique fonctionne, des défauts dans cette dernière peuvent favoriser l’apparition de mutations… « La santé et le développement de certaines maladies reposent donc sur des mécanismes bidirectionnels nombreux et non aléatoires », souligne Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon.
Tout au long de la vie, alimentation, médicaments, polluants, stress, etc., peuvent interagir avec l’expression de nos gènes : on sait, par exemple, que l’influence des particules diesel sur la santé respiratoire ou celle des ultraviolets (UV) et métaux lourds sur le risque de maladies auto-immunes reposent en partie sur des mécanismes épigénétiques. L’émergence de maladies auto-immunes analogues au lupus après un traitement au long cours par certains médicaments impliquerait aussi des modifications épigénétiques.
Dans ce domaine, la période in utero est particulièrement cruciale. Les modifications épigénétiques in utero sont importantes pour la santé ultérieure : certaines études avancent que la qualité de l’alimentation est associée à des changements de la méthylation de l’ADN de gènes impliqués dans la croissance ou les maladies métaboliques de l’enfant à naître. Le métabolisme hépatique et myocardique après la naissance serait sous la dépendance du taux de folates in utero. Certains gènes de l’immunité des enfants seraient aussi différemment modulés par l’épigénétique selon le niveau de stress des femmes lors de la grossesse.
De premiers épimédicaments contre le cancer
Si les mécanismes sont nombreux et complexes, les perspectives sont intéressantes : « Toute modulation épigénétique qui est en cause dans un processus physiopathologique peut théoriquement constituer une cible thérapeutique », résume Pierre-Antoine Defossez. Cette opportunité a initialement été saisie par la recherche en oncologie : la décitabine ou la 5-azacytidine ont été les premiers médicaments anticancéreux à cible épigénétique. Depuis, les inhibiteurs d’HDAC vorinostat (Zolinza, non encore commercialisé) et panobinostat (Faridak, usage hospitalier) ont été proposés dans le traitement des lymphomes et deux nouvelles générations de médicaments, a priori plus sélectifs et donc à moindre risque de toxicité, sont développés, ciblant les histones et les microARN non codants. Cette dernière catégorie est aussi étudiée pour le traitement de tumeurs solides plus fréquentes (côlon, utérus). « L’association de médicaments ciblant l’épigénétique entre eux ou avec d’autres traitements ciblés, comme les immunothérapies, permet d’évoluer vers une médecine plus personnalisée, guidée par les caractéristiques des cellules tumorales du patient », complète Pierre-Antoine Defossez.
En dehors de la cancérologie, les premiers épimédicaments ont été envisagés dans le traitement de maladies métaboliques d’origine génétique comme l’amylose à transthyrétine (patisiran/Onpattro) ou l’hyperoxalurie primitive (lumisaran). Ces ARN interférents permettent de moduler l’expression du gène en cause. Et les perspectives sont nombreuses : l’AFM-Téléthon, historiquement tournée vers les maladies rares d’origine génétique, se penche aujourd’hui largement sur le sujet. « La recherche fondamentale a récemment montré que différentes maladies ou syndromes, précédemment considérés comme purement génétiques, sont, en réalité, partiellement ou totalement liés à des processus épigénétiques. Dans certaines myopathies comme celle de Duchenne ou la dystrophie facio-scapulo-humérale, l’épigénétique est un élément important de la physiopathologie, décrit Serge Braun. Elles sont causées par un cadre de lecture anormal du gène de la dystrophine qui ne permet pas la fabrication de la protéine. Un épimédicament visant à rétablir l’expression du gène en rétablissant son cadre de lecture correct permet d’améliorer les symptômes, à l’image de l’ataluren (Translarna) qui est aujourd’hui commercialisé ».
Progressivement, des domaines thérapeutiques plus larges sont investis par la recherche épigénétique. Aujourd’hui, plusieurs médicaments sont développés, que ce soit dans le traitement de maladies cardiométaboliques (diabète, obésité), auto-immunes, neurodégénératives ou neuropsychiatriques (schizophrénie, dépression), voire de pathologies infectieuses (Ebola). Parce que de nombreux processus physiopathologiques reposent sur une expression anormale de protéines spécifiques, les perspectives sont innombrables. La traduction des observations fondamentales dans le champ clinique demandera cependant encore beaucoup d’efforts…
PHARMACO-ÉPIGÉNOMIQUE
Puisque l’épigénétique module l’expression des gènes, elle influence ceux responsables de l’absorption, de la distribution, du métabolisme ou de l’excrétion des médicaments. Ainsi, son rôle sur la pharmacocinétique serait notable : sur la soixantaine de gènes impliqués dans la famille des cytochromes P450, une vingtaine seraient notamment sous contrôle épigénétique. Elle pourrait aussi être impliquée dans l’apparition d’effets indésirables ou encore dans la résistance aux médicaments. L’un des exemples les mieux étayés concerne le degré de méthylation – et donc d’expression – du gène MGMT, qui est aujourd’hui utilisé pour prédire la réponse au traitement par témolozomide (Temodal, usage hospitalier) des tumeurs cérébrales.
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