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Antibiotiques : des remplaçants au banc d’essai

Publié le 14 mai 2022
Par Caroline Guignot
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Pour pallier les problèmes croissants d’antibiorésistance, plusieurs classes de molécules antibactériennes non traditionnelles sont développées. Des perspectives qui permettent d’être – modérément – optimiste.

En février dernier, le ministère des Solidarités et de la Santé lançait une stratégie nationale de lutte contre l’antibiorésistance. Et pour cause, l’enjeu est de taille : 125 000 cas d’infections à bactéries multi­résistantes et 5 500 décès associés ont été dénombrés en France en 2015, selon une étude relayée par le ministère. Un chiffre qui, sur le plan international, pourrait s’élever à 10 millions de morts par an d’ici 2050.

Non seulement l’utilisation massive – et trop souvent inappropriée – des antibiotiques a progressivement conduit à favoriser l’antibiorésistance et donc l’émergence d’impasses thérapeutiques, mais les situations d’immunosuppression ou de vulnérabilité vis-à-vis des infections se sont également multipliées (sujets âgés, post-greffe, chirurgie lourde, etc.), augmentant un risque autrefois maîtrisé. Face à cela, l’Orga­nisation mondiale de la santé (OMS) évoquait, dans un rapport de 2021, l’existence de 43 antibiotiques ou associations antibiotiques en développement clinique en 2020, auxquels s’ajoutent 27 agents antibactériens non traditionnels. Ces derniers pourraient-ils changer la donne ?

Ces antibactériens innovants ont un mode d’action différent de celui des antibiotiques conventionnels en inhibant la croissance ou la virulence bactérienne ou, à l’inverse, en améliorant l’immunité ou les capacités du microbiote environnant à lutter contre l’infection. Ils ont pour la plupart une spécificité d’action supérieure aux antibiotiques, qui limiterait les effets collatéraux d’un large spectre d’efficacité (antibiorésistance) et ils pourraient dans leur majorité ne pas engendrer de mécanismes de résistance ou, a minima, de mécanismes transférables d’une espèce à une autre.

Parmi eux, les anticorps monoclonaux (Acm) constituent la classe la plus largement développée, forte de son succès dans d’autres aires thérapeutiques. Neuf candidats médicaments sont évalués actuellement en phase clinique. « Ils ciblent un épitope bactérien, comme un composant de surface, ou encore un facteur de virulence, comme une toxine ou une protéine, explique le Dr Bruno François, du centre hospitalier universitaire de Limoges (Haute-Vienne). Ils rendent le pathogène inefficace mais ne le tuent pas ». Puisque les process de production sont parfaitement maîtrisés, la principale difficulté réside surtout dans la capacité à sélectionner la bonne cible étant donné la complexité de la structure bactérienne et celle du milieu infectieux. En revanche, parce que leurs cibles sont distinctes, antibiotiques et Acm pourraient être associés, offrant des perspectives dans certaines situations complexes. Les Acm dont le développement clinique est le plus avancé sont le tosatoxumab (en phase 3), qui s’attaque à l’?-toxine produite par Staphylococcus aureus, ou encore le panobacumab, dont les études de phase 2 viennent de se terminer et qui a une action contre un polysaccharide de surface de Pseudomonas aeruginosa.

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Cocktail de phages

Un second pan important de l’innovation concerne les bacté­riophages, ou phages. Apte à infecter et à se répliquer dans les bactéries en utilisant leur machinerie cellulaire, chacun de ces virus est spécifique d’une espèce. Il existe deux familles de phages, dont une seule a une activité bactéricide, directe ou par le biais d’une enzyme lytique. C’est elle qui intéresse les pharmacologues, sachant que les lysines, enzymes produites par le phage lors de sa réplication, sont aussi étudiées pour leur effet bactéricide propre.

« Les phages sont loin d’être une nouvelle approche thérapeutique, rappelle Laurent Debarbieux, chercheur à l’Institut Pasteur (Paris). Ils sont connus depuis plus d’un siècle, mais leur développement a été abandonné au milieu du xxe siècle, car on ne disposait pas des techniques pour mieux les caractériser et parce que les antibiotiques, synthétiques, étaient faciles à produire et offraient alors des perspectives plus intéressantes. » Aujourd’hui, ils bénéficient d’un regain d’intérêt des pays occidentaux mais cette approche n’a jamais été abandonnée : elle est notamment utilisée dans quelques pays de l’Est, comme la Géorgie. « En règle générale, ils utilisent des cocktails de phages génériques auxquels sont soumis le pathogène qui résiste aux antibiothérapies conventionnelles », poursuit Laurent Debarbieux. Si la bactérie n’est pas sensible, ils testent des banques de phages pour identifier ceux qui seraient efficaces. L’avantage de ces approches est leur grande spécificité. « Et étant donné la multitude de phages dans l’environnement, bien supérieure à celle des bactéries, il est théoriquement possible d’identifier un phage pour chaque bactérie pathogène. »

En France, l’approche est autorisée à titre compassionnel. Une quinzaine de patients a été traitée par phagothérapie depuis 2016, majoritairement pour des infections ostéo­articulaires. Les suspensions-lyophilisats de bactériophages ont, pour l’heure, le statut de préparation magistrale, sous la responsabilité d’un pharmacien de pharmacie à usage intérieur (PUI). Afin de rendre les méthodes de production industrielle compatibles avec les exigences européennes, des discussions ont lieu aux niveaux national et européen pour faire évoluer le cadre réglementaire. Pour l’heure, deux cocktails et deux lysines de phages sont en développement clinique.

Nécessité d’avancées

Les peptides antimicrobiens sont, eux, moins avancés, toutefois 29 sont aujourd’hui évalués en préclinique. Ces molécules, d’une grande diversité structurelle, sont produites par les cellules eucaryotes au contact des bactéries, afin de s’en prémunir, ou encore par des bactéries dans le cadre d’une compétition interespèces sur l’accès aux ressources. Pour les identifier, des équipes mènent leurs travaux sur l’étude des mécanismes biologiques régissant les interactions hôte-bactéries ou les équilibres au sein du microbiote. « De tels peptides sont de manière générale faciles à produire, mais sont peu stables, même si ce dernier point peut être contourné après formulation par méthylation ou encapsulation… », rapporte Olivier Berteau, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Le risque de résistance à un peptide peut aussi exister, mais pourrait être limité en utilisant des associations de peptides ou leurs combinaisons à d’autres antibactériens. Enfin, d’autres composants sont étudiés pour moduler le microbiome ou ses métabolites, pour augmenter la réponse immunitaire anti-infectieuse de l’hôte, perturber le métabolisme bactérien (adhésion aux cellules hôtes, communication, etc.).

Les perspectives semblent larges. Pourtant, « le pipeline clinique et les antibiotiques récemment enregistrés sont insuffisants pour relever le défi croissant de l’émergence et de la propagation de la résistance antimicrobienne », notamment pour les pathogènes jugés prioritaires, statue l’OMS. Sans omettre que l’élan de recherche est compliqué par le contexte réglementaire, explique Bruno François : « Une étude clinique compare l’efficacité d’un traitement par rapport à une molécule de référence. Les protocoles et critères d’évaluation utilisés actuellement n’intègrent pas la prévention de l’antibiorésistance, qui est un bénéfice de santé publique et non individuel. Il faudrait donc une volonté des pouvoirs publics pour faire évoluer la réglementation et favoriser ces développements ». Un engagement massif international, alliant volontarisme politique et mobilisation accrue de la recherche fondamentale et clinique, est encore attendu.