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Le rapport qui dope la méthadone

Publié le 6 avril 2002
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Conforté par le succès de la politique de traitement de substitution aux toxicomanes, un rapport d’experts, remis le 28 mars à Bernard Kouchner, préconise la tenue d’une conférence de consensus dans les meilleurs délais sur le sujet ainsi qu’un élargissement de l’accès en ville à la méthadone.

Achats des pharmacies en unités

Bernard Kouchner boucle la boucle. Dix ans après avoir lancé la substitution aux opiacés comme alternative thérapeutique (« Je passais pour un toxico absolu ! »), le ministre délégué à la Santé souhaite une certaine banalisation des traitements de substitution pour toxicomanes et notamment un élargissement de l’accès à la méthadone en ville. « C’est un médicament comme un autre qu’on prend tous les jours. On n’est pas plus dépendant à la méthadone qu’avec n’importe quel autre médicament qu’on doit prendre quotidiennement », lâchait-il le 28 mars, osant une comparaison avec les traitements pour diabétiques.

Deux rapports étayent la nécessité de développer ces traitements. Le premier, de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), publié en juin, met en évidence le succès de la politique menée depuis 95. Ainsi sur les 150 à 180 000 usagers de drogue à problème, 85 000 sont sous traitement de substitution, dont 74 000 sous Subutex (1) et le reste sous méthadone, plus 2 500 sous sulfates de morphine – Skenan (80 %) et Moscontin (20 %) (2). L’OFDT établit que, dans le même temps, la consommation d’héroïne a été divisée par trois et les surdoses par cinq, et encourage cette politique, voire son élargissement. Les experts du rapport (3) s’appuient sur ces chiffres.

Des nouvelles formes à l’étude

A en croire le ministre, une conférence de consensus, voulue par les experts, devrait vraisemblablement être organisée début 2003. La primoprescription de méthadone en ville par des médecins généralistes agréés est prévue, tandis que la primoprescription en hôpital vient d’être officialisée (voir les Moniteur 2429, 2431 et 2433) avec l’inscription du nom et de l’adresse du pharmacien concerné sur l’ordonnance. Une inscription envisageable à l’avenir pour tous les traitements. De plus, « les procédures administratives de dispensation doivent être simplifiées », avancent les experts : durée maximale de prescription calquée sur les autres stupéfiants (28 jours avec fractionnement par 14 ou 7 jours), possibilité de chevauchement des ordonnances dans la limite de 7 jours, suppression du carnet à souches de commandes, maintien du registre des stupéfiants pour les seules matières premières, inventaire simplifié, modification de l’archivage des ordonnances sécurisées en incitant à l’informatisation des documents…

Mais pourquoi souhaiter privilégier la méthadone ? « Les patients sous méthadone ont une meilleure perception de la prise en charge de leur traitement, en termes de qualité de vie, d’insertion sociale, et par rapport au sentiment d’être débarrassés de leur problème de drogues illicites », indique Christine d’Autume, de la DGS. « La méthadone est un agoniste pur, le Subutex un agoniste antagoniste partiel, d’où un bien-être moindre qu’avec la méthadone, rajoute William Lowenstein (3). Plus la précarité et la dépendance aux opiacés sont grandes, moins un agoniste antagoniste partiel est efficace. » « Souvent, la méthadone vient à la suite d’un échec de traitement par le Subutex », renchérit ainsi Jean-François Bloch-Lainé (3).

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Sont donc prévues « des présentations légères, discrètes et aisément transportables de la méthadone ». Philippe Duneton, directeur de l’Afssaps, confirme que celle-ci travaille sur de nouvelles formes, notamment orales, à haut et bas dosages, avec un souci : tenir compte de la pratique de l’injection déjà constatée avec le Subutex chez 10 à 20 % des patients suivis en centre ou en ville. C’est pourquoi l’idée d’une forme injectable n’est pas exclue. Car le mésusage des traitements n’est pas ignoré et « un système d’alerte des mésusages et d’associations avec les benzodiazépines » est prévu. Le rapport va encore plus loin en soulignant l’urgence de « réfléchir à un cadre légal pour d’autres traitements de substitution : sulfates de morphine, dérivés codéinés et opiacés injectables » (héroïne). Il faut même mettre en place, « selon des critères bien définis, des salles d’injection qui entrent dans les stratégies de réduction des risques », selon Bernard Kouchner, qui encourage aussi au développement des réseaux.

Des pharmaciens plus engagés

Les pouvoirs publics souhaitent l’augmentation des vacations et de temps partiels, notamment des médecins, infirmières… et pharmaciens dans les centres de soins spécialisés et les unités d’addictologie hospitalières, ainsi que le développement des programmes de formation initiale et continue sur les traitements de substitution, y compris pour les pharmaciens. « Il faut favoriser l’engagement d’un plus grand nombre de pharmaciens en reconnaissant et en confortant leur rôle d’acteur de santé publique dans la prise en charge des usagers de drogues », insiste Bernard Kouchner, notant aussi qu’« une certaine banalisation des médicaments entrant dans le traitement de la toxicomanie paraît nécessaire », au même titre que la prise en charge de l’ensemble des addictions, notamment pour diminuer certaines « attitudes morales d’ostracisme ». Il est vrai, l’OFDT le rappelle, que les substances psychoactives le plus fréquemment utilisées chez les 18-75 ans sont l’alcool et le tabac, infiniment plus meurtriers que les opiacés, sans pourtant déchaîner autant de passions.

(1) Dont 95 % à l’initiative d’un médecin généraliste, avec une prescription parallèle de benzodiazépines dans 25 à 50 % des cas.

(2) La proportion des prescriptions liées à la toxicomanie atteint chez les patients de 20 à 39 ans respectivement 80 % pour le Skenan 100 mg et 49 % pour le Skenan 60 mg.

(3) M.-J. Augé-Caumon, officinale ; J.-F. Bloch-Lainé, généraliste, membre du Haut Comité de santé publique… ; William Lowenstein : médecin des hôpitaux, vice-président de l’Association française de réduction des risques… ; Alain Morel : psychiatre, président de la Fédération d’addictologie… Tous sont responsables d’associations et centres de soins pour toxicomanes.