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Dates de péremption des médicaments : leur utilisation après cette limite comporte-t-elle des risques ?
Une enquête publiée le 19 septembre par l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir a ravivé le débat. Sur une trentaine de médicaments (paracétamol et ibuprofène) testés, 80 % présentaient une teneur en principe actif supérieure à 90 %, malgré une date de péremption dépassée parfois de plusieurs années. Ces résultats interrogent : les dates limites d’utilisation pourraient-elles être allongées ?
Teneur en principe actif et efficacité
Ces deux notions ne peuvent être considérées comme totalement équivalentes. Un médicament qui « conserve 90 % de sa substance active » n’est pas pour autant « efficace à 90 % ». L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) clarifie : « La mesure de la teneur en principe actif n’est pas suffisante pour attester de la qualité, de l’efficacité et de la sécurité du médicament. Les attributs qualité d’un médicament comprennent non seulement la teneur en principe actif mais également celles en produits de dégradation, la qualité microbiologique, les attributs liés à la forme pharmaceutique tels la dissolution pour les comprimés, la stérilité et la contamination particulaire pour les formes injectables, etc. ».
« Il serait intéressant de creuser l’idée selon laquelle les formes solides, comme les comprimés, puissent être utilisées au-delà de leur date de péremption, qui correspond à la limite des études de stabilité soumises aux autorités », développe Odile Chambin, professeure de pharmacie galénique à la faculté de pharmacie de Dijon, en Côte-d’Or (voir encadré). Au-delà des teneurs en substance active qui peuvent rester élevées, la spécialiste émet des doutes quant au reste de la formulation : « Pour qu’un comprimé soit efficace, il faut aussi que sa libération reste conforme, que la substance active puisse être correctement dissoute, traverser les muqueuses intestinales et être absorbée au niveau systémique sans l’apparition d’impuretés. » Autant d’étapes qui nécessitent de connaître la manière dont se comportent les autres composants du médicament une fois celui-ci périmé, notamment les excipients. Ce point invite à la vigilance, tout particulièrement pour des spécialités à faible marge thérapeutique, à l’image par exemple des hormones thyroïdiennes de synthèse.
Impuretés et produits de dégradation
Autre source d’interrogation : si un médicament présente 90 % de substance active après sa date limite d’utilisation, que sont devenus les 10 % disparus ? « Les produits de dégradation peuvent être de plusieurs natures, analyse Philip○Chennell, pharmacien maître de conférences des universités, praticien hospitalier, responsable de l’unité fonctionnelle du laboratoire contrôle et développement du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Ils peuvent être inertes et donc ne posent pas de problème, ou pharmacologiquement actifs. Dans cette seconde situation, il se peut que leur activité reste proche de celle du principe actif ou bien qu’elle soit totalement modifiée, avec des toxicités pouvant affecter des cibles différentes de celles du médicament initial. »
À ce titre, certaines molécules sont connues pour se dégrader assez facilement. Leur consommation après les limites des tests de stabilité présente donc un risque au mieux d’inefficacité, au pire d’effets indésirables. Une étude publiée en 2014 dans le PDA Journal of Pharmaceutical Science and Technology* répertorie quelques exemples de produits de dégradation issus de principes actifs très courants. L’ibuprofène notamment, à la suite de réactions d’oxydation et de photosensibilisation, peut conduire à la formation d’une substance exerçant une cytotoxicité sur les fibroblastes. Autre exemple : la lidocaïne, en cas de dégradation hydrolytique, génère une substance provoquant une anoxie et des dommages au niveau du système hématopoïétique. La toxicité potentielle de ces produits de dégradation est, bien évidemment, dose-dépendante.
« Le fait de prendre ou non un médicament après sa date de péremption doit être considéré en fonction de la balance bénéfice-risque, ajoute Philip Chennell. Un professionnel de santé ne peut pas engager sa responsabilité en conseillant de continuer à les prendre une fois périmés. En revanche, si un patient se présente dans une officine en ayant consommé un comprimé pour lequel la date d’utilisation est dépassée, on peut indiquer que les données en notre possession demeurent rassurantes si le produit a été conservé dans les conditions préconisées. » Les conditions de température et d’humidité représentent un facteur majeur dans la stabilité physicochimique et microbiologique du produit.
Il n’existe pas de statistiques concernant la consommation réelle de médicaments périmés. Qui n’a pas déjà conservé quelques boîtes dans son armoire à pharmacie pendant plusieurs années avant de s’en servir ? Pour autant, les incidents liés à ce phénomène restent anecdotiques, comme l’indique l’ANSM : « À ce jour, depuis 2011, les centres régionaux de pharmacovigilance ou les centres antipoison et de toxicovigilance nous ont remonté 810 cas mentionnant la prise de médicament périmé, détérioré ou mal conservé. Parmi ces 810 cas, 177 ont présenté un ou plusieurs effets indésirables, dont 17 cas mentionnant un risque d’inefficacité ou de suspicion d’inefficacité. »
Comment sont définies les dates de péremption des médicaments
Elles se fondent sur les études de stabilité soumises par les firmes pharmaceutiques à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au moment de la demande d’autorisation de mise sur le marché. Philippe Maincent, ancien expert auprès de l’ANSM, décrypte : « Ces études sont très calibrées, les conditions dans lesquelles elles doivent être réalisées dépendent de normes internationales qui résultent du consensus de l’International Council for Harmonization (ICH). » Pour la zone Europe, l’ICH détermine trois types de conditions pour ces tests de stabilité :
– les conditions de longue durée : à + 25 °C et 60 % d’humidité relative ;
– intermédiaires : à + 30 °C et 65 % d’humidité relative ;
– accélérées : à + 40 °C et 75 % d’humidité relative.
« Le laboratoire doit soumettre son produit fini à ces trois conditions et rapporter dans son étude de nombreux facteurs. Notamment, il faut que la teneur en principe actif reste dans un intervalle compris entre 95 et 105 % sur la durée testée. Quand les impuretés représentent plus de 1 % du produit total, il faut impérativement une vérification toxicologique de leur innocuité », avertit Philippe Maincent. « Si le produit reste stable pendant six mois dans des conditions accélérées, le laboratoire peut déjà demander une date de péremption doublée, soit d’une durée d’un an. En parallèle, les études se poursuivent. Si le produit conserve sa stabilité pendant un an en conditions de longue durée, il est encore possible de demander une date de péremption doublée, soit de deux ans. » Pour toute durée de conservation supérieure à 24 mois, les études doivent être menées en temps réel, avec des résultats de stabilité présentés sur trois ou cinq ans.
Allonger les délais : des enjeux multiples
Les dates de péremption de certains médicaments solides sont-elles pour autant trop restrictives ? Fort probablement. Mais, pour pouvoir l’assurer, il faudrait réaliser de nouvelles études de stabilité, sur des durées plus longues. Un programme national, Slip (pour Safe Life Extension Program), avait été lancé dans cette optique par la Food and Drug Administration américaine en 1986. En France, cette démarche vient d’être lancée dans le cadre de la planification écologique du système de santé. « L’ANSM s’est engagée à inciter à l’allongement de la durée de conservation de certains médicaments. Les travaux avec les représentants des industriels ont commencé », précise l’agence. Les intérêts sont nombreux : réduire le gaspillage, réaliser des économies pour l’Assurance maladie et les services hospitaliers, lutter contre les pénuries, etc.
« À ce jour, nous avons peu de données à notre disposition concernant la stabilité de nos médicaments, passés les trois ou cinq ans réglementaires », reconnaît Laure Lechertier, directrice de l’accès au marché et du développement durable au laboratoire Upsa. « Nous serions prêts à poursuivre ces études et éventuellement à allonger la date de péremption de nos médicaments, quand c’est possible, pour aller dans le sens d’une démarche responsable de notre impact écologique. » Cela implique de lancer de nouvelles études de stabilité, avec des résultats qui seraient donc exploitables dans plusieurs années seulement.
* « Advice on degradation products in pharmaceuticals : a toxicological evaluation », Sâmia Rocha de Oliveira Melo, Maurício Homem-de-Mello, Dâmaris Silveira, Luiz Alberto Simeoni, PDA Journal of Pharmaceutical Science and Technology, 2014;68(3):221-238.
À retenir
- Les dates de péremption des médicaments sont validées par l’ANSM.
- Les études de stabilité actuelles ne dépassent généralement pas trois à cinq ans.
- Un programme a été lancé pour inciter les firmes pharmaceutiques à allonger ces dates de péremption sur la base de nouvelles études de stabilité.
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