Pour bien savoir délivrer la carbamazépine, il est toujours bon de revenir aux fondamentaux. Les éléments de pharmacologie de cette antiépileptique permettent d'en comprendre son utilisation et ses précautions d'emploi. Guide pratique.
Antiépileptique de première génération, la carbamazépine est également utilisée dans les troubles bipolaires et les douleurs neuropathiques. Du fait de sa tératogénicité, l’information des patientes en âge de procréer sur les risques encourus est renforcée depuis le 6 janvier 2025.
Mécanisme d’action : blocage des canaux sodiques voltage-dépendants
La carbamazépine (Tégrétol et génériques) exerce une activité dite « stabilisatrice de membrane » en inhibant les canaux sodiques voltage-dépendants. Cela a pour effet de bloquer la propagation des potentiels d’action dans ces neurones et de diminuer la libération de glutamate (neuromédiateur excitateur impliqué dans la genèse des crises d’épilepsie) dans les fentes synaptiques.
Son effet stabilisant de membrane explique par ailleurs ses propriétés thymorégulatrices. La carbamazépine agirait également en diminuant certaines transmissions excitatrices dopaminergiques et noradrénergiques, ce qui participerait à son activité antimaniaque.
Les propriétés anticholinergiques, responsables d’effets indésirables, découlent de la similitude chimique de la molécule avec les antidépresseurs tricycliques.
Rappel sur l’épilepsie
Indications : épilepsie, troubles bipolaires
La carbamazépine est indiquée dans les épilepsies focales ou généralisées. Elle n’est en revanche pas efficace dans les absences et les crises myocloniques, qu’elle peut même aggraver.
Elle est aussi indiquée dans le traitement des états d’excitation maniaque et la prévention des rechutes des troubles bipolaires, en particulier en cas de résistance, d’intolérance ou de contre-indications au lithium.
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Elle a également une autorisation de mise sur le marché dans les douleurs neuropathiques (lesquelles sont liées en partie à une hyperexcitabilité neuronale). Dans ce cadre, elle est réservée à la névralgie trigéminale, sur laquelle elle est très efficace.
Pharmacocinétique : substrat et inducteur enzymatique
Absorption : la carbamazépine est une molécule liposoluble très bien absorbée par voie orale.
Distribution : elle circule dans le sang sous forme liée aux protéines plasmatiques pour 70 à 80 %. Elle est se répartit facilement dans l’organisme, traverse le placenta et passe dans le lait maternel.
Métabolisme: elle subit un important métabolisme hépatique, principalement par le cytochrome P450 (CYP) 3A4, qui est donc influencé par les médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques. La carbamazépine est, en outre, elle-même un puissant inducteur enzymatique qui potentialise le métabolisme de nombreux médicaments et qui induit son propre métabolisme.
Élimination: éliminée sous forme métabolisée dans les urines majoritairement, sa demi-vie est de l’ordre de 36 heures en administration unique et de 16 à 24 heures en administrations répétées (du fait de l’auto-induction métabolique) en monothérapie. Elle est encore abaissée en cas d’association à d’autres antiépileptiques inducteurs enzymatiques.
Mode d’action de la carbamazépine
Effets indésirables
La carbamazépine peut provoquer des réactions allergiques immédiates croisées avec l’oxcarbazépine, la phénytoïne, la primidone et le phénobarbital.
Plus rarement, elle peut être à l’origine de réactions cutanées sévères à type de nécrolyse épidermique toxique, de syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse ou drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress) ou de pustulose exanthématique aiguë généralisée, surtout susceptibles de survenir chez les patients originaires de Chine ou de Thaïlande (porteurs de l’antigène HLA-B*1502). Ces manifestations imposent l’arrêt du traitement.
Des signes neurologiques (somnolence, vertiges, ataxie, diplopie, céphalées) peuvent très fréquemment s’observer, notamment en début de traitement. Ils peuvent occasionner des chutes et nécessitent d’alerter sur les dangers liés à la conduite de véhicules.
Elle provoque très fréquemment une leucopénie, fréquemment une thrombopénie, et plus rarement une anémie et une aplasie médullaire. Elle est aussi responsable d’hyponatrémie (liée à une sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique et devant être corrigée par une restriction hydrique), et plus rarement d’atteintes hépatiques.
Du fait de son apparentée structurale aux antidépresseurs tricycliques, elle est parfois responsable de troubles du rythme cardiaque, d’une rétention urinaire et d’un glaucome par fermeture de l’angle, d’une sécheresse buccale, de troubles de l’accommodation.
La carbamazépine est tératogène et multiplie par 3 le risque malformatif par rapport à la population générale (voir encadré).
Contre-indications : troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
La carbamazépine est contre-indiquée en cas d’aplasie médullaire, d’anomalie de la conduction auriculoventriculaire, de porphyrie, d’hypersensibilité aux molécules apparentées (tricycliques et oxcarbazépine, notamment).
En raison de sa composante anticholinergique, l’utilisation chez les patients atteints de glaucome ou d’adénome de prostate doit être prudente.
L’allaitement est déconseillé.
Principales interactions : diminution de l’efficacité des contraceptifs hormonaux
L’association avec le cobicistat, le lédipasvir, le lénacapavir, le velpatasvir ou le voriconazole est contre-indiquée en raison d’un risque d’échec de ces traitements par induction de leur métabolisme. Celle avec la sertraline, le fentanyl, la simvastatine, certains anticancéreux, l’aprépitant, le nétupitant, les anticoagulants oraux directs, le ticagrélor et les contraceptifs hormonaux est déconseillée (risque de diminution de leur efficacité). Il en est de même avec l’ulipristal et le lévonorgestrel en contraception d’urgence. Par ailleurs, si une contraception d’urgence est nécessaire, la pose d’un dispositif intra-utérin au cuivre, ou le doublement de la dose de lévonorgestrel sont des options. En revanche, faute de données, le doublement la dose d’ulipristal n’est pas recommandé.
Le millepertuis expose au risque de diminution d’efficacité de la carbamazépine et est déconseillé. L’isoniazide et le pamplemousse également, car ils majorent la toxicité de la carbamazépine par inhibition de son métabolisme.
L’association avec le lithium et la consommation d’alcool sont déconseillées (risque majoré de neurotoxicité et de somnolence).
L’association avec d’autres hyponatrémiants (diurétiques, inhibiteurs de recapture de sérotonine par exemple) doit prendre en compte un risque majoré d’hyponatrémie et de confusion, en particulier chez les personnes âgées.
Surveillance biologique : NFS et ionogramme
Avant mise sous traitement : numération formule sanguine (NFS), bilan hépatique et natrémie.
Au cours du traitement : NFS et bilan hépatique hebdomadaires le premier mois, natrémie 15 jours après le début du traitement puis mensuellement les 3 premiers mois. Par la suite, surveillance en cas de signes d’appel cliniques.
Sources : base de données publique des médicaments ; thésaurus des interactions médicamenteuses de l’ANSM, juin 2024 ; « Carbamazépine (sauf régulateur de l’humeur) » et « Carbamazépine comme régulateur de l’humeur », Collège national de pharmacologie médicale, pharmacomedicale.org ; avis de la commission de transparence du 13 septembre 2017 sur la carbamazépine ; « Carbamazépine et grossesse : renforcement de l’information des femmes pour les sensibiliser aux risques encourus par les enfants à naître », ANSM, 13 décembre 2024.
Carbamazépine et femme en âge de procréer
Prise au cours de la grossesse, la carbamazépine expose à un risque malformatif : non-fermeture du tube neural, anomalies crâniales, cardiaques ou digitales, fentes labiopalatines, malformation de la verge et de l’urètre, appelée « hypospadias ». Elle peut, en outre, entraîner des troubles neurodéveloppementaux chez les enfants nés de mères traitées.
Afin de limiter l’exposition à la carbamazépine des enfants à naître, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a décidé de renforcer l’information des patientes en âge de procréer (et de leur représentant légal pour les mineures) et de modifier les conditions de dispensation de la molécule. Ainsi, depuis le 6 janvier 2025, un test de grossesse est recommandé avant l’instauration du traitement, accompagné d’une information de la patiente sur les risques encourus en cas de grossesse.
En pratique. Une attestation d’information partagée (téléchargeable sur le site de l’ANSM) doit être remise à la patiente par le médecin, et cosignée par elle-même (ou son représentant) et le médecin.
Il convient d’adopter une méthode de contraception efficace pendant le traitement et jusqu’à 2 semaines après son arrêt : par exemple, un dispositif intra-utérin ou une contraception mécanique (telle qu’un préservatif) associée à une contraception hormonale pour tenir compte des risques d’échec de celle-ci par la carbamazépine.
Dispensation. Elle est conditionnée par la présentation, à chaque délivrance, de l’ordonnance et de l’attestation d’information partagée cosignée datant de moins de 1 an. Pour les patientes qui étaient déjà en cours de traitement avant janvier 2025, ces dispositions s’appliqueront à compter du 30 juin 2025. En cas de suspicion de grossesse, la patiente ne doit pas interrompre elle-même son traitement, mais consulter en urgence son médecin.