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L’hypothyroïdie

Publié le 28 avril 2023
Par Thierry Pennable
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L’hypothyroïdie désigne toutes les insuffisances thyroïdiennes, sans préjuger de la cause, ni de leur évolution. Elle touche environ 2 % des femmes. Avec des besoins en iode augmentés et un surcroît d’activité, la grossesse est une épreuve pour la thyroïde.

La maladie

Rappels physiologiques

Glande thyroïde

Située à la base du cou, la thyroïde est une glande endocrine de petite taille dont le volume varie selon les personnes et la charge en iode dépendant de son activité.

Hormones thyroïdiennes

Elles sont sécrétées par la thyroïde à partir d’iode et d’un acide aminé, la tyrosine. De façon schématique, la thyroïde capte l’iode dans l’organisme, le stocke et le transforme en deux types d’hormones thyroïdiennes :

→ la tri-iodothyronine, T3 ou hormone T3, avec trois atomes d’iode ;

→ la tétra-iodothyronine, T4 ou hormone T4, appelée thyroxine, avec quatre atomes d’iode.

• Hormones actives.

→ La T3 est la forme biologiquement active mais la T4, hormone inactive ou pro-hormone, représente environ 80 % des hormones produites par la thyroïde. La T4 se convertit en T3 en perdant un atome d’iode. Seulement 20 % de la T3 est directement sécrétée par la thyroïde.

→ T3 et T4 sont présentes dans la circulation sanguine sous forme libre ou liée à des protéines de transport. Seules les fractions libres sont biologiquement actives. « La T4 libre a une activité dans le sens où elle peut se lier aux récepteurs périphériques pour être convertie en T3 », remarque le professeur Françoise Borson-Chazot, endocrinologue à l’hôpital Louis-Pradel, à Bron (69). La T4 libre représente 0,02 % de la T4, la T3 libre, 0,3 % de la T3.

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• Régulation de la sécrétion. La synthèse des hormones thyroïdiennes découle de stimulations en chaîne. Un rétrocontrôle effectué au niveau de l’hypophyse et de l’hypothalamus à partir du taux sanguin d’hormones T3 et T4 permet le maintien des sécrétions dans des limites étroites (voir schéma p.36).

• Actions des hormones thyroïdiennes. Elles agissent sur la croissance et le métabolisme de toutes les cellules du corps, à tout âge, ce qui explique les divers symptômes engendrés par un dysfonctionnement de la thyroïde (voir Signes cliniques).

→ Thermorégulation corporelle. Augmentation de la production de chaleur (thermogenèse) par élévation de la consommation d’oxygène des tissus. Sensation de froid en hypothyroïdie, de chaleur en hyperthyroïdie.

→ Stimulation de la synthèse ou du catabolisme (dégradation) des protéines.

→ Élimination du cholestérol, accrue dans l’hypothyroïdie.

→ Action sur les os. Ces hormones augmentent à la fois la synthèse et la destruction de l’os et participent à la maturation osseuse.

→ Action cardio-vasculaire. Elles accélèrent la fréquence et augmentent la contractilité cardiaque. En cas d’hypothyroïdie, la fréquence cardiaque est ralentie.

→ Action sur le système nerveux. Les hormones thyroïdiennes entraînent une excitation de l’état de vigilance, une accélération des réflexes ostéotendineux. Elles agissent sur la motilité intestinale, avec un transit accéléré.

→ Elles agissent également sur la peau, les cheveux et les ongles, sur le poids, le système de reproduction.

Définition

L’hypothyroïdie correspond à une sécrétion insuffisante d’hormones thyroïdiennes, quelle qu’en soit la cause. C’est habituellement une affection chronique mais des hypothyroïdies transitoires peuvent s’observer, notamment au cours de certains traitements.

Types d’hypothyroïdies

Deux grands types sont distingués.

→ L’hypothyroïdie « primaire », appelée aussi insuffisance thyroïdienne primitive ou hypothyroïdie périphérique, est la forme la plus fréquente. Le déficit hormonal est dû à une atteinte primitive de la thyroïde.

→ L’hypothyroïdie « secondaire », dite aussi hypothyroïdie centrale ou insuffisance thyréotrope, plus rare, est due à une atteinte hypophysaire ou hypothalamique entraînant un défaut de sécrétion ou d’activité de la thyréostimuline hormone (TSH) (voir schéma ci-dessous).

Hypothyroïdies primaires

Formes les plus fréquentes, avec une prévalence trois fois plus importante chez les femmes, elles sont le plus souvent découvertes par un dosage de la TSH lors d’un bilan systématique ou pour asthénie, ou devant une hypercholestérolémie récente.

Hypothyroïdie auto-immune

La production d’anticorps dirigés contre les cellules thyroïdiennes par l’organisme entraîne une inflammation de la thyroïde, ou thyroïdite, à l’origine d’une diminution de la production d’hormones thyroïdiennes.

• La thyroïdite de Hashimoto. Cause la plus fréquente, cette thyroïdite auto-immunitaire provoque une augmentation de la taille de la thyroïde et se manifeste par un goitre diffus, de volume modéré, à l’avant du cou , associé à des taux souvent très élevés d’anticorps anti-TPO (voir Dico+ p. 37). Elle existe sous forme de « thyroïdite lymphocytaire chronique de l’enfant et de l’adolescent » à partir de 10 ans.

• La thyroïdite atrophique touche surtout la femme après 50 ans, mais elle peut concerner les hommes et les enfants. Elle correspond à une thyroïdite de Hashimoto associée à une thyroïde de taille normale ou diminuée, sans goitre. La progression vers l’hypothyroïdie se fait de façon lente.

• La thyroïdite du post-partum touche de 5 à 10 % des femmes en post-partum (= après un accouchement). Elle évolue vers une hypothyroïdie définitive dans 10 à 20 % des cas. Un retour à l’euthyroïdie est observé le plus souvent, avec des récidives fréquentes lors de nouvelles grossesses.

• L’hypothyroïdie fruste représente la majorité des hypothyroïdies. Elle est aussi appelée thyroïdite auto-immune asymptomatique, ou hypothyroïdie modérée ou subclinique, car les signes cliniques sont isolés, discrets et peu spécifiques, avec asthénie, crampes musculaires, prise de poids… Le bilan biologique montre une TSH modérément élevée s’accompagnant de dosages de T3 et T4 normaux. Elle nécessite une surveillance car elle évolue dans un tiers des cas vers une hypothyroïdie avérée. Elle se normalise pour un tiers des cas et se stabilise pour un autre tiers(1).

Hypothyroïdie par anticorps bloquants

C’est une forme très rare d’hypothyroïdie. Les anticorps antirécepteurs de la TSH (ARTSH) ont parfois une action bloquante entraînant une hypothyroïdie. Cette forme d’hypothyroïdie peut se manifester après une maladie de Basedow (hyperthyroïdie), ou, dans d’autres cas, avant une évolution vers une maladie de Basedow.

Hypothyroïdie iatrogène

• Thyroïdectomie. Une hypothyroïdie est systématique en cas d’ablation totale de la thyroïde. En cas d’ablation partielle, l’activité de la thyroïde dépend du tissu conservé et de son bon fonctionnement. Une surveillance est nécessaire compte tenu du risque d’hypothyroïdie plusieurs mois après la chirurgie.

• Le traitement de l’hyperthyroïdie par l’iode radioactif peut entraîner une hypothyroïdie transitoire lorsqu’elle survient quelques semaines après le traitement, ou définitive lorsqu’elle apparaît plusieurs mois après.

Une surveillance de la TSH est donc préconisée.

• Les antithyroïdiens de synthèse utilisés dans le traitement de l’hyperthyroïdie peuvent causer une hypothyroïdie, qui impose une surveillance régulière et une adaptation du traitement.

• La surcharge iodée, cause fréquente d’hypothyroïdie, est surtout due à une administration prolongée d’amiodarone (Cordarone et génériques) dans l’insuffisance cardiaque. Plus rarement, elle est induite par des produits de contraste radiologiques, des antiseptiques locaux, des produits diététiques à base de ressources de la mer. L’hypothyroïdie est dans la plupart des cas transitoire, résolue par l’arrêt des apports iodés. La saturation iodée persiste néanmoins plusieurs mois dans l’hypothyroïdie induite par la Cordarone.

• Le lithium, utilisé dans les troubles bipolaires et la dépression, diminue la sécrétion d’hormones thyroïdiennes chez environ 10 % des patients et s’accompagne souvent d’un goitre. Elle est ordinairement réversible avec l’arrêt du traitement lorsqu’il est possible. En cas contraire, elle est traitée par des hormones thyroïdiennes de synthèse (voir Médicaments).

• Autres traitements : certaines thérapies anticancéreuses, anti-angiogéniques, responsables de thyroïdites destructrices, ou l’immunothérapie, impliquent une surveillance très stricte des taux de TSH.

Hypothyroïdie congénitale

Elle se caractérise par un défaut de fonctionnement de la glande thyroïde. Elle concerne environ 1 cas sur 3 500 naissances(2). La production insuffisante d’hormones thyroïdiennes conduit, en l’absence de traitement, à de graves séquelles neuro-développementales (retard de croissance et intellectuel, traits de visage grossiers, spasticité).

• L’athyréose. L’absence congénitale de la glande thyroïde est une affection rare qui n’entrave pas la croissance intra-utérine durant laquelle le fœtus bénéficie des hormones thyroïdiennes de sa mère. Le nouveau-né est normal mais l’hypothyroïdie doit être traitée rapidement après la naissance.

• Anomalies anatomiques. Il s’agit d’une malformation (dysgénésie) ou d’une localisation anormale (ectopie) de la glande thyroïde. La dysgénésie thyroïdienne est la principale cause d’hypothyroïdie congénitale permanente.

• Anomalies de l’hormonogenèse. Plus rares que les anomalies anatomiques, elles touchent l’élaboration des hormones thyroïdiennes à différents niveaux.

Hypothyroïdie transitoire

Elle peut être induite par une application cutanée de désinfectant iodé chez la mère pendant la grossesse ou l’accouchement, ou chez le nouveau-né. C’est aussi le cas, exceptionnellement, en présence d’anticorps ARTSH maternels bloquants, par passage transplacentaire. Une hypothyroïdie transitoire est plus fréquente en cas de prématurité.

Carence iodée

Première cause environnementale d’hypothyroïdie, la carence iodée est toujours responsable de goitres dans certains pays en développement. En France, la supplémentation du sel de table en iode et la diversification de l’alimentation ont réduit la fréquence des goitres. La France est considérée comme un pays en suffisance iodée, en dehors de la grossesse où l’apport iodé reste souvent insuffisant.

Hypothyroïdies secondaires

Elles représentent moins de 5 % des hypothyroïdies. Elles sont dues à une insuffisance hypophysaire de la sécrétion de TSH ou à une insuffisance hypothalamique de la sécrétion de TRH. Les signes d’hypothyroïdie sont présents (voir Signes cliniques) mais il n’y a ni myxœdème, ni goitre.

Ces hypothyroïdies peuvent avoir une origine auto-immune, infectieuse, génétique, mais elles sont dans la grande majorité des cas dues à une tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire. Elles peuvent aussi être causées par une radiothérapie cérébrale, une chirurgie, un traumatisme crânien, une hémorragie méningée…

Signes cliniques

Dans la forme classique

Cette forme d’hypothyroïdie classique, évoluée, n’est pratiquement plus observée.

• Le syndrome d’hypométabolisme. Les symptômes liés au ralentissement du métabolisme dépendent du déficit hormonal : asthénie physique et psycho-intellectuelle, hypothermie, ralentissement du transit, bradycardie, prise de poids modérée malgré une réduction de l’appétit, voire une anorexie.

• Le myxœdème est à l’origine de symptômes caractéristique de l’hypothyroïdie (voir Dico+ p. 38) : peau pâle ou jaune orangé, gonflement de la face et des membres, voix rauque et grave, cheveux secs et cassants, dépilation, ongles striés et fragiles.

• Un syndrome neuromusculaire, souvent précoce, se manifeste par un syndrome du canal carpien, des crampes musculaires et myalgies, et un enraidissement musculaire.

Dans les formes atypiques

Ce sont les formes les plus fréquentes de nos jours.

• L’hypothyroïdie fruste. Il existe peu ou pas de signes cliniques. Asthénie à l’effort, chute de cheveux, sécheresse des téguments, prise de poids inexpliquée, frilosité ou crampes musculaires sont possibles.

• Les formes trompeuses. Des signes cardiovasculaires, musculaires, digestifs prédominent dans certaines formes d’hypothyroïdie et peuvent faire évoquer d’autres pathologies.

Dans les formes compliquées

• Atteinte cardio-vasculaire. L’hypothyroïdie chronique sévère favorise l’athérome par une hypercholestérolemie, la cardiomégalie (voir Dico+) et l’insuffisance cardiaque, surtout en cas de cardiopathie sous-jacente. Les signes d’insuffisance coronarienne due à l’athérome surviennent le plus souvent à l’instauration du traitement hormonal substitutif, qui normalise « brutalement » le métabolisme basal ralenti par l’hypothyroïdie. En présence d’athérome, il y a un risque d’angor ou d’infarctus. Le traitement est instauré avec prudence chez des personnes âgées ou fragiles, après stabilisation d’une éventuelle cardiopathie sous-jacente.

• Symptômes neuropsychiatriques. État dépressif et troubles de l’humeur sont possibles. Chez le sujet âgé, un syndrome confusionnel ne doit pas être confondu avec une démence.

• Symptômes rhumatologiques. Des tendinites, arthralgies et des crises goutteuses sont possibles.

• Retentissement endocrinien. Chez la femme : troubles de la libido, troubles des règles, ménorragies, infertilité ou avortements précoces. Dosage systématique de la TSH en cas d’infertilité ou de fausse couche à répétition. Chez l’homme : troubles de la libido, impuissance ou altération de la spermatogenèse.

• Le coma myxœdémateux, complication rare aujourd’hui, peut révéler une hypothyroïdie profonde négligée. Elle touche surtout les femmes de plus de 50 ans et les personnes âgées ayant interrompu leur traitement. Les facteurs favorisants sont l’exposition au froid, avec 95 % des cas en hiver, une infection, un stress médical ou chirurgical, et certains médicaments (sédatifs, opiacés, diurétiques…). C’est un coma calme, de profondeur variable, avec parfois des crises convulsives. Une défaillance cardiaque ou respiratoire peut causer le décès. La mortalité est proche de 20 %.

Diagnostic

Il se fait lors d’un bilan systématique ou en présence de signes évocateurs.

• Examen clinique. La palpation de la thyroïde détecte un goitre, une thyroïde atrophique ou une loge thyroïdienne vide. L’interrogatoire recherche des causes évidentes d’hypothyroïdie, en particulier iatrogènes.

• En présence de symptômes évocateurs d’hypothyroïdie, un dosage de la TSH est demandé en première intention. Valeurs normales : entre 0,15 et 5 mU/L ; hypothyroïdie avérée TSH > 10 mUI/L. Les valeurs normales de la T4L dépendent de l’intervalle de référence du laboratoire, qui peut varier selon les kits de dosage utilisés (de 7,5 à 19,4 ng/L).

Un taux anormal doit être recontrôlé et le dosage de T4L, réalisé(3). « Chez une patiente avec des symptômes d’hypothyroïdie, si la TSH est normale, le médecin s’arrête là. Il n’y a pas d’intérêt à rechercher les T4 puisque les taux de TSH, qui est plus sensible, augmentent avant que les T4 et T3 diminuent, précise le Pr Borson-Chazot. La norme supérieure de la TSH évolue d’une unité tous les dix ans d’âge et les valeurs de la TSH dépendent des laboratoires ». Une TSH à 8 mUI/L est donc considérée comme normale à 80 ans.

→ Le dosage des anticorps anti-TPO (thyropéroxydase), anticorps anti-thyroïdiens, n’est pas nécessaire pour le diagnostic d’hypothyroïdie mais uniquement pour le diagnostic étiologique (voir Info+ p. 40). Leur augmentation signe une origine auto-immunitaire.

→ Le dosage de la T3L n’a pas d’intérêt dans le diagnostic initial d’une hypothyroïdie. Un syndrome de « basse T3 » au cours de certains états pathologiques et chez les sujets dénutris ne traduit pas un dysfonctionnement thyroïdien(3).

• En présence de taux modérément élevé de TSH, entre 4 et 10 mUI/L, et d’une T4L normale, un nouveau dosage de la TSH et de la T4L est à réaliser dans les deux à trois mois avant de débuter, ou non, un traitement(3).

Un taux de TSH transitoirement accru sans diminution de la T4L implique de confirmer le diagnostic par de nouveaux dosages, la clinique et le ressenti de la personne.

• Les examens d’imagerie sont facultatifs. Ils sont prescrits en première intention, à commencer par l’échographie, en cas de thyroïde anormale à la palpation ou de palpation difficile.

• La cytologie, ponction ou cytoponction à l’aiguille fine, explore des nodules thyroïdiens et identifie des modifications structurales.

Les hypothyroïdies centrales, seuls cas où la TSH est normale, sont diagnostiquées en même temps que l’atteinte hypophysaire ou hypothalamique dont elles découlent.

Son traitement

Objectifs

Les objectifs du traitement de substitution sont de corriger les signes cliniques et fonctionnels des patients, de normaliser la TSH et d’améliorer la qualité de vie des patients.

Stratégie thérapeutique

Le principe du traitement est de substituer les hormones thyroïdiennes manquantes par des hormones de synthèse. Cet apport exogène vise à restaurer les concentrations tissulaires en hormones thyroïdiennes, à augmenter le métabolisme basal et le rythme cardiaque et à inhiber la sécrétion de TSH. La décision de traiter relève des chiffres de la TSH.

• Un dosage de TSH doit être réalisé avant de débuter le traitement par une hormone de substitution. Remarque : en 2013(3), 30 % des traitements étaient initiés sans dosage préalable de TSH.

• En cas d’hypothyroïdie fruste, peu ou pas symptomatique, si le taux de TSH est supérieur à 10 mUI/L lors de deux examens successifs, le traitement substitutif est discuté au cas par cas, compte tenu du ressenti du patient et des signes cliniques.

La diminution du risque cardio-vasculaire parfois associé à une TSH supérieure à 10 mUI/L par le traitement des hypothyroïdies frustes n’est pas démontrée(3) (voir Point de vue). Une TSH entre 5 et 10 mUI/L peut faire suspecter une hypothyroïdie frustre et justifie une surveillance de son taux.

• En cas d’hypothyroïdie avérée, de TSH ≥ 10 et de symptômes gênants, les doses d’hormones thyroïdiennes administrées varient selon le degré d’hypothyroïdie, l’âge et la tolérance individuelle. Les besoins en hormones sont proportionnels au poids, entre 1,6 et 1,7 µg/kg par jour. Ils sont en général proches de 100 µg pour les femmes et de 150 µg pour les hommes.

Médicaments

Les hormones thyroïdiennes de synthèse sont présentées sous formes d’hormone LT4 pour la très grande majorité des prescriptions, d’hormone LT3 et d’associations d’hormones LT4 et LT3.

Lévothyroxine (LT4)

L’hormone LT4, ou lévothyroxine ou L-thyroxine, est une hormone thyroïdienne de synthèse indiquée dans les hypothyroïdies. C’est un médicament à marge thérapeutique étroite.

La forme injectable est indiquée dans le coma myxœdémateux en dose d’attaque, suivie d’une perfusion intraveineuse lente, dans 250 ml de sérum physiologique.

• Mode d’action : après sa conversion partielle en L-iothyronine (T3), la lévothyroxine exogène a une action identique à celle de l’hormone thyroïdienne endogène et entraîne une normalisation du métabolisme basal.

• Effets indésirables. Les symptômes caractéristiques d’une hyperthyroïdie sont fréquents en cas d’intolérance ou de surdosage, par exemple en cas de titration trop rapide de la dose en début de traitement. Palpitations, tachycardie, insomnie, nervosité, céphalée sont alors fréquents.

Remarque : la mise à disposition d’Euthyrox est prolongée jusqu’à la fin de l’année 2023. L’Euthyrox, qui correspond à l’ancienne formule de Levothyrox, avant mars 2017, est utilisé par environ 100 000 personnes qui ne supportent pas la nouvelle présentation du Levothyrox. Tcaps et TSoludose, formulations sans excipient simplement encapsulées, ne sont pas remboursés.

L-iothyronine (LT3)

La LT3 seule est en général prescrite sur de courtes durées pour un effet rapide ou transitoire dans des situations exceptionnelles, hypothyroïdie menaçant le pronostic vital, ou avant l’administration d’iode 131 chez un patient traité par la lévothyroxine ; pour freiner la sécrétion de TSH dans certains cancers TSH-dépendants (voir Info+ p. 41) et dans le cas de résistances périphériques aux hormones thyroïdiennes.

• Mode d’action. Hormone thyroïdienne de synthèse, la L-iothyronine est la forme synthétique de l’hormone thyroïdienne T3 naturelle lévogyre (LT3), dont elle possède toutes les activités biologiques : élévation du métabolisme basal, accélération du rythme cardiaque…

• Modalités de prise : la LT3 doit être prise trois fois par jour car sa demi-vie plasmatique d’élimination est d’environ un jour. « C’est une hormone active à manier avec beaucoup de précaution à cause de ses effets indésirables, souligne le Pr Françoise Borson-Chazot. L’association T4 et T3 peut être essayée lorsque des symptômes véritablement liés à la thyroïde persistent malgré le traitement par lévothyroxine. C’est peu pratiqué en France, où 95 % des prescriptions concernent la T4 ».

• Effets indésirables : maux de tête, tremblements, hypertension intracrânienne, insomnie, nervosité, agitation, palpitations, tachycardie, arythmies cardiaques, angor, infarctus du myocarde, bouffées vasomotrices, diarrhée, vomissements, faiblesse musculaire, crampes, troubles du cycle menstruel, hyperthyroïdie, intolérance à la chaleur, fièvre, hypercalciurie chez l’enfant, perte de poids.

Association LT4 et LT3

Un seul médicament, l’Euthyral, a été élaboré pour apporter 100 µg de T4 et 20 µg de T3, des proportions équivalentes à celles des hormones produites par la thyroïde. En pratique, « la prescription d’Euthyral demeure marginale car la dose de T3 est trop forte pour permettre une supplémentation physiologique. De ce fait, les patients sont pratiquement toujours surdosés en T3, observe Françoise Borson-Chazot. La médication idéale combinerait une dose de T4, 100 µg par exemple, et une petite dose de T3 à libération prolongée qui reste à définir ». De plus, la durée d’action de la T3, plus courte que celle de la T4, empêche une stabilité parfaite des concentrations de la T3. Si bien que la médication doit être fractionnée en plusieurs prises. « L’Euthyral peut être prescrit en dernier recours, sous surveillance médicale spécialisée, à des personnes qui ne se sentent pas bien alors que leur TSH est correcte, sans garantie d’amélioration », remarque l’endocrinologue.

• Mode d’action : il est identique à celui des hormones thyroïdiennes endogènes.

• Effets indésirables : aggravation des cardiopathies (angor, infarctus du myocarde, troubles du rythme…). Des signes d’hyperthyroïdie tels que tachycardie, insomnie, excitabilité, céphalées, fièvre, sueurs, amaigrissement rapide et diarrhée peuvent apparaître si la limite de la tolérance individuelle est dépassée ou si la dose est augmentée trop vite au début du traitement. Une hypercalciurie est possible chez l’enfant.

Suivi

Le médecin généraliste est le plus souvent en première ligne pour le diagnostic et le suivi. L’endocrinologue est en deuxième ligne en cas de difficultés.

• Patients avec TSH équilibrée(4). Suivi annuel par un dosage de la TSH en tenant compte du ressenti.

• Patients avec TSH instable et/ou persistance des signes cliniques(4). En cas de TSH fluctuant souvent en dehors de l’intervalle de référence malgré un traitement substitutif ou de fortes doses de LT4, il est recommandé de rechercher une cause : observance, interactions…

Les conseils aux patients

Observance

Le traitement hormonal ne pose pas de problème d’observance en général. Lorsque l’hypothyroïdie est congénitale, les enfants prennent des hormones thyroïdiennes depuis leur plus jeune âge. Il peut y avoir des relâchements, surtout à l’adolescence. Rappeler que le traitement hormonal leur permet de mener une vie normale compte tenu de la contrainte quotidienne pour un jeune.

Prise quotidienne

Prendre le traitement tous les jours quinze à vingt minutes avant le petit déjeuner permet la meilleure absorption mais peut être problématique pour certains patients. Rappeler qu’en accord avec son médecin, l’hormone thyroïdienne peut être prise :

→ au début du petit déjeuner, avec une posologie adaptée à cette prise en fonction du repas habituellement consommé ;

→ le soir au coucher s’il existe un risque d’interférence médicamenteuse ou si le patient le préfère.

Interactions

• Rappeler que l’absorption du traitement hormonal n’est pas très bonne et dépend de l’acidité du tube digestif. La prise d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), qui réduisent la sécrétion d’acide gastrique, diminue encore l’absorption des hormones. C’est l’une des causes les plus fréquentes du déséquilibre du traitement. Rappeler qu’un contrôle de la TSH après l’instauration du traitement par IPP est conseillé.

• Prendre les médicaments qui contiennent des sels de fer ou de calcium, de la colestyramine (Questran), du kayexalate ou du sucralfate (Keal, Ulcar) à distance d’au moins deux heures des hormones car ils peuvent en diminuer l’absorption.

Penser aux cures de magnésium ou de calcium qui peuvent altérer les effets du traitement.

• Pendant la grossesse, les fréquentes prescriptions de fer pour anémie peuvent altérer les effets du traitement, qui doit être augmenté avant la prise de fer. Les TSH sont régulièrement déséquilibrées à ce moment-là.

Signes évocateurs

Environ 10% des patients traités se plaignent de symptômes attribuables à une hypothyroïdie. Ces personnes entendent difficilement que leurs symptômes ne viennent pas de leur thyroïde :

– suggérer : « Êtes-vous vraiment sûr que cela vient de votre thyroïde, votre TSH est bonne ? Normalement, vous devriez aller mieux » ;

– sinon, inciter à consulter un spécialiste endocrinologue.

Rappeler le cas échéant que les effets du traitement sont attendus dans un délai de quinze jours à un mois.

Hygiène de vie

Les conseils d’hygiène de vie sont les mêmes que pour tout un chacun (adopter une alimentation équilibrée, pratiquer une activité physique régulière…) si l’équilibre de la TSH est trouvé.

Avec l’aimable participation de la Françoise Borson-Chazot, professeur des universités, endocrinologue à l’hôpital Louis-Pradel, Hospices civils de Lyon, à Bron (69).

(1) État des lieux de l’utilisation de la lévothyroxine en France, ANSM, octobre 2013.

(2) Dépistages au cours de la grossesse et à la naissance : données épidémiologiques récentes, Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), mai 2015.

(3) Hypothyroïdie, Pertinence des soins, Haute Autorité de santé, mars 2019.

(4) Prise en charge des hypothyroïdies chez l’adulte, recommandations de la Haute Autorité de santé,? décembre 2022, et Prise en charge des dysthyroïdies de l’adulte, Haute Autorité de santé, mars 2023.

Info +

→ L’iode, présent en très faible quantité dans l’organisme, est apporté par l’alimentation : sel de cuisine, poissons, fruits de mer… C’est le « carburant » de la thyroïde, essentiel à la biosynthèse des hormones thyroïdiennes.

Info +

→ L’hypothyroïdie auto-immune peut être isolée ou associée à d’autres atteintes auto-immunes, comme un diabète de type 1, une insuffisance surrénale, un vitiligo ou une polyarthrite rhumatoïde.

→ La thyroïdite subaigüe de De Quervain est une hyperthyroïdie d’origine inflammatoire suivie d’une phase d’hypothyroïdie définitive dans moins de 5 % des cas. Si la thyroïde était saine avant la thyroïdite, la récupération est complète, sans risque de récidive.

Dico +

→ Les anticorps anti-TPO, ou anti-thyroperoxydase, sont des auto-anticorps dirigés contre la peroxydase thyroïdienne qui catalyse la production de T3 et de T4. Les anti-TPO sont les marqueurs d’une auto-immunité anti-thyroïdienne, présents dans plus de 90 à 98 % des thyroïdites de Hashimoto.

Info +

→ Le dépistage néo-natal des dysthyroïdies est effectué en France chez tous les nouveau-nés au troisième jour depuis 1976. Les enfants supplémentés très précocement en hormones thyroïdiennes ont un développement tout à fait normal.

Dico +

→ Le myxœdème est une infiltration de la peau, des tissus sous-cutanés et des muqueuses par une substance gélatineuse semblable au mucus des sécrétions broncho-pulmonaires, vaginales ou gastriques. Le terme myxœdème désigne souvent l’hypothyroïdie elle-même.

→ La cardiomégalie désigne différentes anomalies entraînant une hypertrophie cardiaque, qui peut être asymptomatique ou entraîner une insuffisance cardiaque se manifestant souvent par des œdèmes des membres inférieurs et un essoufflement.

Point de vue

“Il y a encore des traitements d’hypothyroïdies par excès avec des TSH à peine élevées”

Françoise Borson-Chazot, professeur des universités, endocrinologue à l’hôpital Louis-Pradel, Hospices civils de Lyon, à Bron (69).

L’hypothyroïdie est-elle correctement diagnostiquée ?

Elle est plutôt bien diagnostiquée. Elle est beaucoup recherchée par les médecins généralistes et les cas d’hypothyroïdie très sévère diagnostiqués très tardivement ont quasiment disparu. Il y a toutefois encore des traitements prescrits par excès, avec des TSH à peine élevées, à 5,2 mUI/L par exemple, dès que la norme est dépassée, alors qu’une TSH en dessous de 10 suggère des hormones normales et une thyroïde qui fonctionne encore, même si elle marche moins bien. C’est aussi une pathologie suspectée face à des symptômes très peu spécifiques. À une époque, les gériatres avaient tendance à traiter sans résultat les patients âgés qui avaient des troubles cognitifs en pensant que l’hypothyroïdie les ralentissait. Ce n’est plus le cas.

La « crise du Levothyrox » a fait prendre conscience qu’il y avait en France près de 3 millions de personnes traitées alors qu’elles étaient plutôt autour de 1,5 à 2 millions autrefois. L’explication a été trouvée dans le « sur-traitement », notamment des personnes âgées.

Le traitement hormonal est-il sans risque ?

Non. 30 % des personnes traitées avec des hormones thyroïdiennes sont en hyperthyroïdie, ce qui expose les plus âgées à un risque de problèmes cardiaques, d’infarctus. Sachant que les besoins en hormones sont proportionnels à la surface corporelle, lorsqu’une personne maigrit un peu, perd des muscles, il y a un risque d’hyperthyroïdie si le traitement n’est pas assez surveillé et réévalué. La tendance internationale actuelle est plus de se méfier de l’hyperthyroïdie que de l’hypothyroïdie.

Faut-il traiter les hypothyroïdies frustres, peu ou pas symptomatiques ?

Le traitement des hypothyroïdies infracliniques est un grand sujet de discussion. Une étude randomisée a été menée chez des sujets de plus de 65 ans se plaignant de fatigue, de sécheresse de la peau et autres signes possiblement attribuables à une hypothyroïdie.

Un groupe était traité avec normalisation de la TSH, l’autre pas. Au final, il y avait autant de symptômes persistant avec ou sans traitement. Ces symptômes étaient donc indépendants de la thyroïde. La tendance actuelle est de considérer que le traitement des hypothyroïdies infracliniques n’apporte rien et n’a pas de bénéfice sur la santé en général, ni sur la qualité de vie. D’autres grandes études de cohorte ont montré que plus la TSH est basse, plus il y a un risque de faire une fibrillation auriculaire, et plus la mortalité augmente. Donc, pour vivre vieux, mieux vaut avoir une TSH haute que basse…

Info +

→ La chirurgie est indiquée en présence d’un goitre volumineux, compressif ou gênant, non soulagé par le traitement hormonal. Le traitement du goitre est indépendant de celui de l’hypothyroïdie.

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→ Le dosage des anti-TPO (thyropéroxydase), anticorps anti-thyroïdiens, recherche une origine auto-immune, telle une thyroïdite de Hashimoto, et repère un risque plus élevé d’évolution d’une hypothyroïdie fruste vers une hypothyroïdie avérée.

Info +

→ Le dépistage systématique de l’hypothyroïdie en population générale n’est pas recommandé, y compris pour les femmes de plus de 65 ans, chez qui la prévalence de l’hypothyroïdie fruste est élevée. Un dosage de TSH n’est préconisé qu’en présence de signes cliniques évocateurs de dysthyroïdie(3).

→ Le tiratricol (Teatrois, cp à 0,35 mg), analogue de la T3 avec les mêmes propriétés pharmacodynamiques, est indiqué dans le freinage de la sécrétion de TSH en supplément de la L-thyroxine lorsque l’effet TSH-freinateur de celle-ci est insuffisant.

→ Dans le cancer de la thyroïde, la lévothyroxine administrée après la chirurgie ou le traitement à l’iode radioactif vise, à dose habituelle, le maintien d’une TSH normale (hormonothérapie substitutive), et à dose élevée, la limitation du développement de cellules cancéreuses en gardant une TSH basse (hormonothérapie frénatrice).

En savoir +

→ Hypothyroïdie, Assurance maladie, 15 mars 2023. Clair et synthétique. ameli.fr > rubrique « Santé-Comprendre et agir ».

→ Prise en charge des dysthyroïdies de l’adulte, Haute Autorité de santé, 14 mars 2023. Socle complet de recommandations pour la prise en charge des personnes souffrant d’hypothyroïdie ou d’hyperthyroïdie.

→ Item 243 – Hypothyroïdie, Collège des enseignants d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, août 2022. Dossier plus spécialisé que celui d’Ameli.

sfendocrino.org

→ Ce que vous devez savoir sur l’hypothyroïdie congénitale, ministère de la Santé et de la Prévention, avril 2021.

Quelle est l’origine de la maladie ? Comment le déficit est-il repéré chez le nouveau-né ? Réponses dans la fiche du ministère et de la HAS : « Dépistage néonatal : questions/réponses sur les maladies dépistées ».

sante.gouv.fr

Hypothyroïdie et grossesse

Pendant la grossesse, les besoins en hormones thyroïdiennes sont augmentés d’au moins 30 % pour répondre à la demande maternelle et fœtale. Les hormones de la mère sont très importantes pour le développement cérébral du fœtus au cours du premier trimestre.

Une hypothyroïdie entraîne des risques :

→ pour la mère : hypertension artérielle, pré-éclampsie, avortements prématurés, fausses couches, anémie, hémorragie du post-partum ;

→ pour le fœtus : hypothyroïdie induite par la mère, environ 1 cas pour 100 000 naissances, qui peut être permanente ou transitoire et disparaître après la naissance ;

→ pour le nouveau-né : petit poids à la naissance et/ou déficit intellectuel plus ou moins sévère.

Le diagnostic est fait par l’augmentation de la TSH. Les signes de l’hypothyroïdie sont souvent attribués à la grossesse : fatigue, constipation, crampes musculaires, prise de poids, rétention hydrique… Une bradycardie peut être évocatrice. Le dépistage ciblé par un dosage simultané de TSH, LT4 et anti-TPO est recommandé en présence de signes évocateurs d’une hypothyroïdie, d’un contexte thyroïdien personnel ou familial (dysthyroïdie, chirurgie sur la thyroïde, notion d’élévation des anticorps antithyroïdiens) ou d’une maladie auto-immune.

Le traitement repose sur la lévothyroxine car la T3 ne passe pas la barrière placentaire et est donc contre-indiquée en cas de grossesse. L’association de la LT4 à la LT3 n’est pas validée et déconseillée en cas de grossesse ou de désir de grossesse(4).

→ Hypothyroïdie connue avant la grossesse : les besoins en LT4 croissent de 25 à 50 % au premier trimestre. L’apport en hormones thyroïdiennes est augmenté de 30 % dès la confirmation de la grossesse. Contrôle de la TSH toutes les quatre à six semaines (HAS) jusqu’à 22 semaines d’aménorrhée, puis une fois entre la 30e et la 34e semaine d’aménorrhée pour maintenir la TSH à moins de 3 mUI/L.

→ Hypothyroïdie décelée pendant la grossesse : lévothyroxine à 1,8 à 2,2 µg/kg par jour (posologie moyenne hors grossesse : 1,7 µg/kg par jour). Contrôle de la TSH après six semaines et adaptation de la posologie si nécessaire. Maintenir la surveillance durant toute la grossesse.