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Verts de colère

Publié le 14 octobre 2023
Par Magali Clausener
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Entre les pénuries de médicaments, le manque de personnel, les nouvelles missions à mettre en place, la dégradation de l’économie officinale et, son corollaire, les économies sur les produits de santé prévues pour 2024, les pharmaciens n’en peuvent plus. Et s’ils se mobilisaient à l’appel des syndicats qui craignent déjà des négociations conventionnelles pour le moins difficiles ?

 

Depuis la fin de la pandémie, les officinaux tirent la langue. Il faut dire que, durant la crise sanitaire, ils se sont donnés à fond entre la réalisation des tests antigéniques (TAG) et la vaccination contre le Covid-19. En outre, ils ont enchaîné ces deux dernières années les plus ou moins « nouvelles » missions – prescription et injection de vaccins, entretiens femmes enceintes, tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) –, dans un contexte qui a considérablement changé avec l’inflation, les tensions d’approvisionnement de médicaments, les difficultés à recruter… L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) et la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) espéraient remettre d’aplomb l’équilibre économique de l’officine avec les négociations conventionnelles prévues cet automne. Mais le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 douche leurs espoirs. Quant aux pharmaciens, sur le terrain, de nombreux points les agacent fortement.

Des pénuries de médicaments qui perdurent

 

« Les pénuries de médicaments et le manque de bras sont les premiers éléments qui inquiètent les pharmaciens, ainsi que la charge de travail que la gestion des tensions d’approvisionnement implique », explique Philippe Besset, président de la FSPF. Selon Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, cette gestion représente 12 heures de travail par semaine, soit une charge salariale de 25 000 € par an que les pharmaciens doivent supporter en plus afin de trouver des solutions – ou pas ! – pour les patients. « Le gouvernement et l’Assurance maladie n’entendent pas ces difficultés, pour eux tout va bien », insiste le président de l’USPO, qui voit là une façon de banaliser ces pénuries. Et la situation n’est pas près de s’arranger, même si l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a activé, le 3 octobre, le « plan hivernal » pour anticiper et limiter les tensions sur certains médicaments, en particulier les antibiotiques, les corticoïdes et le paracétamol. Et pour arranger les choses, le PLFSS prévoit une obligation de dispensation à l’unité (DAU) des médicaments concernés par une rupture d’approvisionnement (ce qui pourrait concerner d’autres molécules que les antibiotiques). Or, la DAU est loin d’enthousiasmer la profession : non seulement elle ne permet pas de garantir la sécurité de la délivrance et la traçabilité des médicaments, mais elle prend beaucoup de temps pour une rémunération grotesque (1 € à concurrence de 500 € par an).

Chacun cherche son personnel

 

Deuxième pénurie que doivent gérer les pharmaciens : celle du personnel. En ville ou à la campagne, nombreux sont les officinaux qui n’arrivent pas à recruter des pharmaciens adjoints et des préparateurs, y compris en apprentissage. De surcroît, les places vacantes en 2e année de pharmacie en 2022 et 2023, environ 1 400 au total, commencent à donner des sueurs froides à la profession, ainsi qu’aux étudiants et doyens des facultés de pharmacie. Et le fait que la réforme du 3e cycle des études de pharmacie ne soit toujours pas actée, alarme les pharmaciens. « Cela empêche les étudiants de choisir la filière officine et les pharmaciens à avoir des bras et des cerveaux pour les aider », n’hésite pas à déclarer Pierre-Olivier Variot. En clair, les perspectives pourraient être sombres dans l’avenir.

Une situation économique qui se dégrade…

 

« On ne peut plus définir la santé économique de l’officine au travers de son chiffre d’affaires (CA). Avec l’explosion de la délivrance des médicaments onéreux, c’est-à-dire de 1 930 € et plus, la marge diminue alors que le CA augmente de + 6 à + 8 % », expliquait, dès septembre, Philippe Besset. En effet, si le CA des médicaments remboursés dont le prix est supérieur à 1 930 € s’élève à 6 milliards d’euros, leur délivrance n’est pas suffisamment rémunératrice. Leur part en volume dans le total des médicaments remboursés est très faible, selon la FSPF et Iqvia : 0,06 % (contre 21,23 % en valeur). De fait, leur contribution à la marge administrée est d’environ 10 %. Dans le même temps, l’inflation fait exploser les charges des pharmacies alors que l’excédent brut d’exploitation (EBE) a chuté de – 10 % par rapport à l’année dernière. D’après une enquête de l’USPO lancée en septembre, 78 % des officines ont vu leur trésorerie se dégrader depuis le début de 2023. 35 % des pharmaciens déclarent avoir été à découvert depuis début 2023 et 75 % ont demandé un découpage ou un échelonnement à leur grossiste ou leur groupement.

… tandis que de nouvelles économies se profilent

 

Comme si cela ne suffisait pas, des économies sur les médicaments et dispositifs médicaux (DM) sont de nouveau au menu du PLFSS pour 2024. Celles-ci doivent s’élever à 850 millions d’euros de baisses de prix des médicaments et à 150 M€ pour les DM. Le texte prévoit, en outre, une diminution des volumes de médicaments. En 2024, le gain ainsi réalisé devrait atteindre 300 M€, mais d’après l’USPO, en 2025, il pourrait encore s’établir à 200 M€, soit 500 M€ au total.

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Autre crainte et pas des moindres des syndicats et des pharmaciens sur le terrain : la baisse des remises génériques. Dans son rapport remis le 29 août au gouvernement, la mission interministérielle sur le financement et la régulation des produits de santé (dite mission « Borne ») propose de réduire les remises commerciales de 40 à 20 %, ce qui représenterait 650 M€. La mesure ne figure pas au PLFSS. Ce qui ne signifie rien puisqu’il suffit d’un arrêté pour abaisser le plafond des remises génériques. Et le gouvernement a déjà annoncé qu’il allait plancher sur le rapport de la mission Borne dans les mois à venir.

 

« A force d’utiliser la pharmacie d’officine comme une variable d’ajustement des comptes publics, les fermetures risquent de s’accélérer, notamment en milieu rural. La destruction progressive du maillage officinal serait irréversible et dramatique pour l’accès aux soins, tant le rôle des officines est désormais crucial pour le système de santé et les patients », n’hésite pas à déclarer l’USPO dans un communiqué en date du 6 octobre.

Une mobilisation qui se dessine

 

Et d’ajouter : « Pour éviter la création de désert pharmaceutique et maintenir un système de soins de qualité pour les patients, nous appelons l’Assurance maladie à une réforme économique ambitieuse de l’officine ». Ce que réclame également la FSPF. Or, cette réforme économique est loin d’être gagnée. Les deux syndicats, qui ont travaillé de concert, souhaitent en effet, dans le cadre des négociations de l’avenant économique avec l’Assurance maladie, obtenir de nouveaux honoraires, par exemple pour l’intervention pharmaceutique et la prescription d’antibiotiques pour les angines et cystites, une revalorisation des honoraires existants et une enveloppe pour faire face à l’inflation. Au total, l’USPO et la FSPF demandent 1 milliard d’euros. Ce qui fait tousser le directeur général de l’Assurance maladie. D’autant qu’aucune enveloppe financière n’a été a priori déterminée par le gouvernement. « Il n’y a pas de budget prévu pour la négociation avec les pharmaciens dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) du PLFSS 2024. Je ne vois pas apparaître d’argent alors que c’est le cas pour la négociation conventionnelle avec les médecins [qui doit rouvrir prochainement, NdlR] », souligne Philippe Besset. Pour le président de la FSPF, dans ce cadre très contraint, les négociations risquent de s’avérer très difficiles. D’où son appel à la mobilisation de la profession le 29 septembre. Il a pour ce faire écrit aux présidents départementaux du syndicat pour les solliciter sur les points de mécontentement et les différents types de mobilisation que pourrait mettre en œuvre la profession. La réflexion a également été ouverte à tous les pharmaciens, via X (anciennement Twitter), grâce au hashtag #mobilisationpharmaciens. « Dans un premier temps, j’ai demandé aux syndicats départementaux de prendre contact avec les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) pour leur remonter les points d’inquiétude des pharmaciens, ainsi qu’avec les élus locaux, les agences régionales de santé (ARS) et les préfets », précise Philippe Besset.

 

Même combat du côté de l’UPSO dont le conseil d’administration a approuvé un programme d’actions graduées le 5 octobre. Il s’agit d’abord, en octobre, de sensibiliser les patients et les élus locaux en apposant des affiches dans les officines pour les alerter. En novembre, les pharmaciens seront invités à « habiller de noir » leurs pharmacies. Cela pourra prendre diverses formes : extinction des croix vertes, brassard noir sur les blouses de travail, crépon noir dans les officines.

 

« Nous n’allons pas commencer les négociations par une grève », observe Philippe Besset. Pierre-Olivier Variot est d’accord avec ce principe. Toutefois, les deux présidents estiment qu’ils pourraient aller jusqu’à la fermeture des officines si besoin. « Nous pourrions faire grève comme en 2014 où durant une journée les pharmacies ont fermé », prévient Pierre-Olivier Variot. Un mouvement massivement suivi à l’époque.

           

Gare à la grève des gardes

Sur le site internet du Moniteur des pharmacies, les pharmaciens sont, en règle générale, nombreux à réagir aux articles et exposent leurs idées pour manifester leur mécontentement. Par rapport aux pénuries de médicaments, un pharmacien propose que « tous les acteurs de la santé (médecins, pharmaciens, préparateurs, infirmiers) s’unissent pour décider d’une voire de deux journées de grève pour dire “stop” aux pénuries des médicaments ». D’autres proposent une grève des gardes avec une fermeture des pharmacies sur tout le territoire le samedi à partir de midi – « Il n’y a aucun médecin qui consulte le samedi après-midi depuis 15 ans », souligne un internaute. A condition, évidemment, de s’organiser et de prévenir la patientèle.

Les gardes constituent d’ailleurs un autre motif de mécontentement, comme le révèle l’enquête de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) lancée en septembre et qui a recueilli 6 000 réponses. Ainsi, 87,8 % des pharmaciens estiment que c’est la profession qui devrait apprécier l’urgence et non le patient, comme c’est le cas actuellement. 60,7 % des sondés se prononcent pour une limitation de l’obligation de délivrance aux produits de santé relevant du monopole. Enfin, 72,7 % des répondants jugent la rémunération des gardes non satisfaisante.

À retenir

– Les pharmaciens sont confrontés à des pénuries de médicaments, de personnel et à une situation économique qui se dégrade.

– Dans le même temps, le PLFSS 2024 acte des économies de 1,3 milliard d’euros et le gouvernement réfléchit à une baisse des remises sur les génériques.

– Dans un contexte budgétaire contraint, les négociations avec l’Assurance maladie sur l’avenant économique risquent d’être difficiles.

– Les syndicats appellent les pharmaciens à se mobiliser pour faire entendre leur voix.