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Une campagne itinérante pour plaquer la stigmatisation liée au VIH
La tournée française du bus « Tackle HIV » (plaquer le VIH) s’achève à Nice ces 20-21 septembre. Conduite par l’ex-international de rugby gallois Gareth Thomas, séropositif, cette opération d’aller-vers vise à faire évoluer les perceptions du public sur le virus de l’immunodéficience humaine.
Lorsqu’on lui demande si « plaquer le VIH » serait la plus belle de ses victoires, Gareth Thomas répond sans ambages : « Maintenant, oui. ». « Extrêmement fier de tous ses trophées » remportés lors de sa carrière de rugbyman, l’ex-capitaine du XV gallois est désormais animé par le désir d’avoir un impact positif sur la vie des gens. C’est dans cette optique qu’il a lancé le 9 septembre dernier la tournée française du bus « Tackle HIV ». Le but de cette démarche « d’aller-vers » est de dévisser les fausses croyances qui entourent l’infection et ainsi lutter contre la stigmatisation des personnes touchées. Elles sont 180 000 en France.
L’initiative s’inscrit dans le cadre de l’édition 2023 de la Coupe du monde rugby, « le troisième plus gros événement dans le calendrier sportif », souligne-t-il. Ce n’est pas anodin. Non seulement la compétition devient ainsi une tribune pour parler d’inclusivité, mais les arrêts dans les fans zones et les Village Rugby de trois villes hôtes, Nice, Paris et Toulouse permettent aux organisateurs de toucher un large public, pas forcément averti.
« Le VIH n’empêche pas de vivre, les préjugés, oui »
Gareth Thomas, lui-même séropositif, est le leader de cette opération, mais il n’est pas seul. À ses côtés, sur place à chaque arrêt, il y a les équipes de Tackle HIV, mais aussi celles du partenaire, ViiV Healthcare, « seul laboratoire pharmaceutique qui se concentre à 100% sur le VIH », souligne Jean-Bernard Simeon, son responsable Europe. Les deux acteurs s’entourent également d’associations de terrain. L’association caritative Terrence Higgins Trust lors de la première tournée fin 2022 au Royaume-Uni, et l’association Aides en France. Le 9 septembre à Paris, Javier, salarié, et Pierre, bénévole, étaient présents, valeurs de l’organisation comme la non-discrimination ou le non-jugement en bandoulière. Pour Camille Spire, sa présidente « c’est tout naturel, puisque nous luttons contre la sérophobie, les discriminations vis-à-vis des personnes vivant avec le VIH. C’est notre objet social ».
Corps mieux soignés, mais discriminés
Tous trois partagent un même constat. Depuis la découverte du virus il y a 40 ans, les avancées de la science ont permis des progrès cliniques – en matière de prévention avec la Prep par exemple, et de traitement avec l’efficacité de rétroviraux limitant l’évolution vers le sida et la transmission. Certes, cela a un « vrai impact sur la vie au quotidien des personnes séropositives sous traitement. Elles ont la même espérance de vie que les séronégatives, peuvent fonder une famille, pratiquer du sport. J’ai un bon exemple à côté de moi, sourit Camille Spire, jetant un regard complice à Gareth Thomas, qui a, entre autres, un Ironman* à son actif. Elles peuvent faire des rencontres, vivre ». Mais, les préjugés eux, perdurent, et minent, continue Camille Spire. Ils sont vecteurs d’auto-stigmatisation, de stigmatisation, et de discriminations.
Ces préjugés bousculent entre autres les relations sentimentales. Au Royaume-Uni, 58% des sondés (1) (54% en France) envisagent de mettre fin à une relation si le partenaire est séropositif. Ils brident les relations sexuelles puisque 32% (1) pensent, à tort, que les personnes vivant avec le VIH ne peuvent avoir une vie sexuelle sûre et active. Et seuls 18% –24% en France– savent que si ces dernières suivent un traitement efficace, elles ne peuvent transmettre le VIH à leur partenaire. il y a aussi une discrimination en entreprise. « Un quart des Français n’est pas à l’aise à l’idée de travailler avec une personne séropositive » [le chiffre oscille entre 16 %, et 30% chez les 18-24 ans], soulève Camille Spire. Les préjugés entravent les démarches de santé : « Il y a encore des refus de soins, des rendez-vous reportés, des comportements un peu déplacés, éloignant des personnes qui pourraient avoir besoin d’aller vers le monde médical ». Ils éloignent du soin, du dépistage. « Le VIH n’empêche pas de vivre, les préjugés, oui », résume-t-elle.
L’éducation, rempart à la stigmatisation
« L’accumulation de toutes ces discriminations cause une sorte de bruit de fond, qui impacte la santé mentale, la qualité de vie », déplore Camille Spire. Gareth Thomas en sait quelque chose. Lorsqu’il a eu connaissance de sa séropositivité en 2012, à l’âge de 35 ans, le colosse a été ébranlé, certain d’être condamné à mort. Petit à petit, il s’est informé, mais la honte est restée comme la peur que quelqu’un ne divulgue son statut. En 2019, il décide de prendre les devants , dans une interview avant d’être réellement prêt à le faire, mais contraint : « Quelqu’un me demandait de l’argent contre son silence, et un journaliste s’était rendu chez mes parents pour leur demander un commentaire sur mon statut », raconte-t-il dans un TED Talk. Il décide alors de transformer cette épreuve en une action positive. Partant du principe que l’ignorance est le vecteur de la stigmatisation, il décide de s’y attaquer pour aider ceux qui sont « dans la position dans laquelle j’ai été ».
Une bonne rencontre
Le sportif se rapproche de ViiV Healthcare, et ensemble, lancent « Tackle HIV » en 2020. Le laboratoire assure le financement, l’ancrage scientifique. Gareth Thomas met à profit sa réputation, de légende du sport, mais aussi de personne déjà impliquée, au service de la cause. Gareth, premier joueur de rugby professionnel à avoir révélé son homosexualité, en 2009, est devenu, après son retrait des terrains en 2011, un militant des droits homosexuels. L’engagement de personnalités si renommées dans le sport, « un milieu assez hostile, en général, aux minorités », est « tellement important », salue (2) France Lert, chercheure en santé publique, épidémiologiste, ex-présidente de l’association « Vers Paris sans sida ». Et il est « rare », explique-t-elle, rappelant le précédent du basketteur américain Magic Johnson, de…1991.
Reste qu’« un préjugé, ce n’est pas si facile de se l’enlever de la tête, soulève Camille Spire, citant Mark Twain : “Quand on a la tête en forme de marteau, on voit tout en forme de clous” », mais elle est convaincue que l’éducation, « le fait de travailler sur la méconnaissance des Français sur le VIH, va changer les choses ». Jean-Bernard Simeon, de ViiV, abonde, appuyant sur le fait que son entreprise se doit, en plus de « proposer des médicaments sûrs et efficaces », de « soutenir des initiatives » qui vont en ce sens, si elle veut remplir sa mission « de ne laisser personne vivant avec le VIH de côté ». Notamment « les populations qui n’ont pas l’habitude, qui ne voient pas l’intérêt de discuter du VIH et des implications, pour humaniser cette conversation ». C’est la seule solution, plaident-ils, pour atteindre l’objectif de l’Onusida de mettre fin au VIH/sida en tant que menace pour la santé publique d’ici 2030.
Miser sur l’effet boule de neige
Concrètement, le bus, à l’effigie de Gareth Thomas a été pensé comme un point de ralliement visuel, où il est possible d’avoir une conversation sur le VIH en confiance. Les équipes sont disponibles pour échanger avec ceux qui le veulent sur le virus, la façon dont il se transmet, les moyens de s’en prémunir… L’idée est de balayer certains clichés, de faire passer des messages comme « i = i », indétectable = intransmissible, de donner la possibilité au public d’expérimenter ce que ressentent les personnes séropositives en enfilant un casque de réalité virtuelle, de rappeler l’importance du dépistage. Rappelant que 14% des Français n’auraient pas connaissance de leur statut. S’il n’est pas possible de réaliser le test sur place, l’association Aides met à disposition de la documentation sur les lieux où faire un dépistage du VIH, hépatites, et autres infections sexuellement transmissibles ; sur les adresses des permanences de santé sexuelle ; sur jemedepiste.com, un système de rappel. Un bon moyen pour montrer tout ce que peut apporter Aides en matière d’information et de soutien.
Avant d’arriver à Nice ce 20 septembre, le bus est passé par Toulouse, la ville rose – où a évolué Gareth Thomas pendant 3 ans -, et Paris les 9 et 10 septembre. Dans la capitale, parfois, l’échange n’est pas allé plus loin qu’un sourire ou une photo avec la légende du rugby. Pour ce jeune Gallois qui pensait négocier un trajet avec le bus pour aller au stade, a été étonné de rencontrer Gareth Thomas, puis s’était laissé informer ! Parmi les visiteurs, des personnes plus ou moins averties, des groupes parfois, des nationalités diverses, Anglais, Gallois, Australiens, Sud-Africains… Pas d’affluence pour la première étape peu aidée par la canicule parisienne, mais les équipes de Tackle HIV et ViiV positivent : « Si, à travers cette initiative, une, deux, trois personnes arrivent à engager une conversation, acceptent d’aller se faire tester, de rentrer dans une dynamique de traitement […] on a gagné », pose Jean-Bernard Simeon.
Tous comptent aussi sur l’effet boule de neige, espérant qu’en « éduquant quelqu’un, celui-ci éduque quelqu’un d’autre et que le message continue de circuler ». Ils ne sont pas naïfs. « La route est encore longue », pose Gareth Thomas. « C’est un travail de longue haleine, convient Jean-Bernard Simeon. Cette initiative ne peut pas s’arrêter là. » Ce défi, Gareth Thomas l’a dans la peau. Il se l’est fait tatouer sur la rotule. « Le crâne représente la mort imminente à laquelle je pensais faire face lorsque j’ai été diagnostiqué. Les ailes en dessous représentent ma capacité à reprendre pied et à voler et vivre de nouveau. La couronne représente la campagne Tackle HIV. Non pas que je veuille être un roi, mais un leader. Qui monte au front ». Pour s’attaquer à la désinformation et à la stigmatisation. Et plaquer le VIH.
(1)Sondage Tackle HIV 2023. Enquête menée par Yolo Communication en février 2023.
(2)Ian Baum, ex-compagnon de Gareth Thomas, avait porté plainte contre ce dernier, l’accusant de lui avoir transmis le VIH en cachant sa séropositivité. En janvier dernier, un accord à l’amiable a été trouvé. L’ancien capitaine du XV gallois a versé 750 000 livres, tout en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une reconnaissance de responsabilité ou de culpabilité. L’association Aides a fait savoir que cette affaire n’avait pas représenté un frein, rappelant sa position sur les conséquences néfastes de la pénalisation de la transmission du VIH
*L’Ironman est une compétition de triathlon très longue distance qui enchaîne 3,8 km à la nage, 42 km en course à pied et 180 km à vélo.
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