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UN GUIDE POUR LES PROFESSIONNELS

Publié le 21 avril 2012
Par Isabelle Guardiola
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La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) publie le guide Santé et dérives sectaires destiné aux professionnels de santé pour les aider à repérer les situations potentiellement dangereuses et agir en conséquence.

Les chiffres cités en préambule du guide « Santé et dérives sectaires », publié le 11 avril par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) impressionnent : on recense près de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et 4 Français sur 10 ont recours aux médecines dites alternatives ou complémentaires, dont 60 % parmi les malades du cancer. Si toutes ces pratiques ne sont pas forcément sectaires, la maladie est devenue une porte d’entrée pour les mouvements à caractère sectaire. La dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’il y a tentative d’endoctrinement : « prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien va demander au patient d’avoir toute confiance en lui car lui seul détient la méthode “miracle” apte à le guérir ». La Miviludes dénombre ainsi 1 800 structures d’enseignement ou de formation « à risques », 4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés et 3 000 médecins en lien avec la mouvance sectaire. Les dérives sectaires dans le domaine de la santé représentent actuellement près de 25 % de l’ensemble des signalements reçus à la Miviludes.

Des clés pour s’interroger et agir face aux potentiels dangers

L’organisme a donc édité un guide à destination des professionnels de santé : « Nous avons souhaité leur donner des clés, explique Samir Khalfaoui, conseiller santé de la Miviludes. Certains professionnels, notamment les pharmaciens, ne peuvent soupçonner l’existence de telles dérives, tant ils sont formatés par leur formation scientifique ! » Le document prodigue des conseils pratiques aux professionnels de la santé, suggérant ainsi quelles questions poser au patient en cas de doute. Par exemple : « le praticien critique-t-il ce qu’il nomme la “médecine conventionnelle” et le recours aux médicaments ? ». Le guide comprend une fiche par métier « élaborée après avoir rencontré chaque ordre », précise Samir Khalfaoui. Celle consacrée aux pharmaciens est assez succincte et se focalise sur deux situations : le pharmacien est sollicité par des personnes qui font appel aux médecines alternatives ; le pharmacien est approché pour la distribution et/ou la vente de produits qui n’ont pas fait preuve de leur efficacité. Le premier cas concerne la demande d’un client, pour une préparation de « produits à base d’oligoéléments, de vitamines et de plantes médicinales, délivrées par des pseudo thérapeutes ». La pratique constitue une entrave au Code de la santé publique qui précise dans son article R. 4235-26 qu’il est « interdit aux pharmaciens de consentir à des facilités à quiconque se livre à l’exercice illégale de la pharmacie, de la médecine ou de toute autre profession de santé ».

Fleurs de Bach et autres compléments alimentaires

La seconde alerte porte sur la vente de produits « non éprouvés », sujet plus délicat en officine. Le guide invoque le même Code de la santé publique pour rappeler que le pharmacien doit « contribuer à la lutte contre le charlatanisme, notamment en s’abstenant de fabriquer, distribuer ou vendre tous objets ou produits ayant ce caractère » (Art R. 4235-10 ). Et de citer en exemple les Fleurs de Bach, connaissant ces dernières années un succès grandissant. Les adeptes de ces 38 petites fioles d’essences florales sont séduits par la corrélation entre leurs comportements et le descriptif figurant sur le flacon. Le pharmacien, selon la Miviludes, « s’abstiendra de vendre un produit tel que les “Fleurs de Bach” en l’absence de preuve scientifique de l’efficacité du produit ». « Ce qui nous gêne, commente Samir Khalfaoui, ce sont moins les élixirs que le foisonnement de stages payants organisés par des pseudo thérapeutes autour de cette gamme. Placés sous le signe de la « découverte du vrai soi », ils constituent par excellence un moment privilégié pour manipuler mentalement le stagiaire vulnérable. Le fait que ces produits soient vendus en officine leur apporte une caution scientifique. » Les Fleurs de Bach sont exploitées par différents laboratoires dont Famadem qui a décroché en 2009, le statut de complément alimentaire et la signature du Docteur Bach sur ses flacons. A ce sujet, Frédéric Boël, pharmacien inspecteur de santé publique, conseiller technique auprès du TGI de Paris-pôle santé, n’hésite pas à élargir le propos à l’ensemble des compléments alimentaires, aroma et phytothérapie compris, fustigeant leur publicité ou leur présentation qui dérapent largement vers les allégations thérapeutiques. Il décrit un marché lucratif, aux coûts de fabrication minimes, aux conditions de fabrication douteuses, surfant sur une législation européenne en construction et à la marge largement bénéficiaire : « Une société – ou une secte – peuvent ainsi se lancer puis faire grossir leur mouvement. Avec les bénéfices, elle finance des colloques, des délégués commerciaux, des formations – privées ou publiques – délivrant des diplômes bidons à des personnes que l’on retrouve à faire du conseil pharmaceutique dans des boutiques… »

Difficile cependant, selon Frédéric Boël de convaincre les juges du danger de ces produits, puisqu’ils sont vendus en pharmacie. « Légalement, on n’a rien à redire sur leur vente en pharmacie », répond Jean-Charles Tellier, président de la section A de l’Ordre qui admet que la question fait débat dans la profession et que l’Ordre est réservé « sur la vente de ces compléments alimentaires qui ne valorise pas l’officine ». Frédéric Boël dénonce une « tromperie généralisée », pour ce type de produits, « vendus comme des médicaments mais sans AMM », et invite les pharmaciens à « faire le tri dans leur officine ». L’Ordre rappelle qu’il n’entre pas dans ses missions de « s’ériger en censeur », à partir du moment où aucune « publicité tapageuse », n’est faite par le pharmacien pour les Fleurs de Bach ou autres produits du même genre. « Les pharmaciens ont leur liberté, leur conscience et leur connaissance scientifique pour se déterminer », conclut Jean-Charles Tellier.

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Comment agir ?

Si l’un de vos patients vous apparaît être victime d’une dérive sectaire, vous pouvez alerter :

– votre Ordre professionnel ;

– le référent dérives sectaires de l’ARS territorialement compétente ;

– la Miviludes.

Le guide Santé et dérives sectaires est téléchargeable sur le site de la Miviludes http://www.derives-sectes.gouv.fr/ et disponible à La Documentation française.

Palmarès

Voici quelques unes des méthodes potentiellement dangereuses selon la Miviludes :

Amaroli : traitement du cancer par ingestion de sa propre urine.

Hamer : arrêt de tout traitement conventionnel par les malades atteints de cancer.

Reiki : guérison par imposition des mains.

Respirianisme : introduite par une prêtresse australienne. Jeûne total de 21 jours avant de pouvoir vivre d’air et de lumière.

Ozonothérapie : introduction d’ozone par le rectum.

Libération des cuirasses (MLC) : « psychanalyse corporelle » pour évacuer les tensions enfouies.