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Subutex, Skenan et petites magouilles

Publié le 7 avril 2007
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Une règle de trois parfaite pour une absence totale de règles. En Ile-de-France, six pharmaciens, trois médecins et trois trafiquants présumés viennent d’être mis en examen pour trafic de médicaments de substitution aux opiacés.

Prenez trois jeunes trafiquants. Ajoutez-y des praticiens leur délivrant sans broncher des ordonnances de Subutex et de Skenan. Saupoudrez de fausses attestations de couverture maladie universelle ou d’aide médicale d’Etat pour ne rien débourser et, même, fin du fin, pour se faire rembourser des comprimés et gélules écoulés sous le manteau en Finlande, en Géorgie et dans les lieux parisiens connus pour être la plaque tournante du trafic. Là où les comprimés de Subutex s’écoulent à 5 euros pièce, voire 10 euros ou plus dans les périodes de forte pénurie. Mêlez-y des pharmaciens suffisamment complaisants pour délivrer les boîtes sans sourciller et vous obtenez un gros gâteau bien juteux. Son prix ? Au moins 500 000 euros. L’un de ces pharmaciens a écoulé plus de 12 000 boîtes de Subutex depuis décembre et 1 000 de Skenan.

« Une affaire comme celle-ci est toujours néfaste pour la profession. Et ce, d’autant que la population accorde un niveau de confiance élevé aux pharmaciens. Elle n’accepte donc pas le moindre manquement et c’est parfaitement normal », constate Jean-Luc Audhoui, conseiller ordinal. Car, manifestement, il ne s’agit pas de professionnels qui ont été abusés. Ce sont bel et bien des médecins et des pharmaciens entrés dans un réseau de détournement. Les premiers « exerçaient » à Villejuif, Montreuil et Paris ; les seconds à Paris et Aubervilliers. Les six pharmaciens – dont une consoeur octogénaire – sont aujourd’hui placés sous contrôle judiciaire.

Une combine éprouvée

Le détournement de Subutex n’est pas un fait nouveau. Le docteur Didier Jayle, président de la MILDT (1), s’en émeut. « Entre 22 et 25 % au niveau national. A Paris, 38 % du Subutex remboursé se retrouve dans la rue. Beaucoup disent donc que c’est une drogue. Si on laisse croître ce trafic, on accrédite cette thèse », déclarait-il au Moniteur des pharmacies en septembre dernier (2).

La prise en charge du patient toxicomane en ville ne trouve-t-elle pas là sa limite ? Jean-Luc Audhoui oppose un non catégorique : « Pas d’amalgame. Six pharmaciens sur plusieurs dizaines de milliers ne remettent pas en cause la probité de la profession. Bien encadrés sur le plan thérapeutique, certains arrivent à reprendre une vie normale. Même si le parcours est long et difficile, cela vaut le coup d’essayer. Je souhaite que l’on continue à traiter ces personnes dépendantes comme des malades. Un dépendant au tabac, on s’en occupe bien, non ? »

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Mais que fait la Sécu ?

Comment un tel détournement a-t-il pu se dérouler au nez et à la barbe de l’Assurance maladie, elle qui est parfois si regardante sur des prescriptions moins sensibles ? Elle se dit pourtant vigilante. « Les assurés consommant plus de 32 mg/j de buprénorphine avec un nomadisme médical important ont été systématiquement convoqués par les services médicaux de l’Assurance maladie. Ce qui a conduit en 2006 à 1 285 suspensions de prise en charge de traitements non justifiés », peut-on lire dans un document de synthèse de la CNAM sur les contrôles et la lutte contre les abus et les fraudes. 24 nouveaux médecins suspects d’être à l’origine de prescriptions de doses aberrantes ont été repérés pour faire l’objet d’un contrôle en 2007. D’autres pharmacies seront également pistées en 2007.

Les protagonistes sont poursuivis en tant qu’auteurs ou complices d’infractions à la législation sur les stupéfiants, d’infractions à la législation sur les substances vénéneuses et d’escroquerie au préjudice de la CPAM. L’ordre des pharmaciens se constituera sûrement partie civile. A la clé, des poursuites disciplinaires. Les pharmaciens risquent une interdiction d’exercer et mettent leur diplôme en danger. L’Ordre a toujours été sévère sur ce type de dossiers et ni la peur au comptoir, ni les difficultés financières ne peuvent servir d’excuses.

(1) Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

(2) Voir « Le Moniteur » n° 2642 du 23 septembre 2006.

repères

Entre 11 000 et 16 000 pharmacies délivrent de la buprénorphine.

Subutex se classe à la 25e place des médicaments remboursés en 2005.

Les saisies de Subutex sont passées de 4 000 unités en 2004 à 19 000 en 2006.