Socioprofessionnel Réservé aux abonnés

Sortir de la crise : les solutions possibles

Publié le 27 octobre 2001
Mettre en favori

Quelles solutions préconisez-vous pour sortir de la crise de l’emploi ? En réponse à cette question, les pharmaciens que nous avons interrogés ont fait de nombreuses suggestions. Nous avons repris ici les principales propositions qui ont été formulées, en demandant à quelques représentants de la profession de les commenter et de livrer leur propre appréciation de la situation.

ILLUSTRATION : CHRISTELLE HOLVECK

Augmenter le numerus clausus

Le numerus clausus doit être revu à la hausse très rapidement sous peine d’asphyxie généralisée de la profession ! », s’alarme Jean-François Robert, président de la Conférence des doyens. Le numerus clausus, qui n’a pas évolué depuis près de 20 ans, est toujours de 2 250 pour les 24 facultés. L’urgence est là.

« Selon nos estimations, il manque aujourd’hui 2 600 pharmaciens diplômés toutes filières confondues dont près de 1 400 pour la seule filière officine si l’on veut être conforme à la législation, analyse Jean-François Robert. Et à l’avenir, les besoins seront de plus en plus importants compte tenu des nouveaux métiers qui se développent, notamment à l’hôpital. »

Au total, c’est donc un peu plus d’une génération de pharmaciens qui manque à l’appel. L’Ordre, qui confirme ces chiffres, estime pour sa part que si la situation n’évolue pas, il y aura, dès 2011, plus de sorties que d’entrées dans la profession compte tenu des départs en retraite.

Trois hypothèses ont été étudiées : une augmentation du numerus clausus à 2 500 dès l’année prochaine, à 2 500 en 2005 ou à 2 800 en 2008. « Dans les trois cas, il y a un excédent de diplômes entre 2005 et 2013. A partir de 2013, les courbes des effectifs et des besoins estimés divergent et on retrouve un déficit de 500 à 600 pharmaciens en 2020, détaille Jean-Louis Craignou, responsable de la communication ordinale. Nous ne devons donc pas jouer sur un accroissement brutal du numerus clausus mais sur une augmentation progressive étalée sur les quinze prochaines années. »

Si la révision du numerus clausus à la hausse est un souhait partagé par l’ensemble de la profession, il ne peut s’agir que d’une solution à long terme. Car cinq ou six années seront nécessaires avant que les premiers étudiants bénéficiant d’une telle mesure entrent sur le marché du travail. « Nous avons réitéré notre demande de réévaluation du numerus clausus auprès du gouvernement, explique Jean-François Robert. La balle est dans son camp, mais lui-même attend le feu vert de trois ministères : l’Education, qui est d’accord, la Santé, qui n’est pas contre, et les Finances qui traîne les pieds et tarde à se prononcer. »

Mais le contexte n’est pas des plus favorables : Bernard Kouchner nous a dit dans une interview ne pas croire à une crise démographique de la profession.

Publicité

Revaloriser la filière officine dans les facultés

Relever le numerus clausus ne servira rien si une majorité d’étudiants continue à bouder la filière officine », analyse Claude Japhet, président de l’UNPF. C’est que depuis quelques années déjà, la filière a perdu ses lettres de noblesse. Le partage traditionnel, deux tiers pour l’officine, un tiers pour l’industrie, est en train de s’ inverser.

A Paris-V par exemple, alors que l’option industrie occupait 75 places et l’officine 100, la situation est aujourd’hui inversée avec 80 places pour l’officine et 120 pour l’industrie. Pourquoi une telle hémorragie ? « Parce que le métier est dévalorisé, répond Jean-François Robert, président de la Conférence des doyens. L’officine ne fait plus rêver. Mais à qui la faute ? Force est d’avouer qu’aujourd’hui la carrière d’un assistant n’est pas mirifique, et si, par exemple, le stage de fin de première année consiste à ranger les commandes pendant huit semaines, on peut comprendre pourquoi certains de nos étudiants ne sont pas emballés. »

Si la profession en prend pour son grade, Jean-François Robert n’oublie pas d’évoquer la nécessité de rénover les études de pharmacie pour les rendre plus attractives et propose, notamment, une réforme du deuxième cycle (3e et 4e années). Au programme : des enseignements intégrés et coordonnés par grandes pathologies qui devraient permettre aux pharmaciens d’avoir les outils nécessaires dans le dialogue avec leurs patients, et la mise en place de quatre fois une semaine de stage pour que les étudiants valident, en pratique, plusieurs fois au cours de l’année, ce qu’ils ont appris en théorie.

« Le stage de fin de 1re année n’est d’aucune utilité pour des étudiants qui ne connaissent rien à la pharmacie. Il faut le basculer en fin de 2e année lorsqu’ils ont déjà acquis une première approche du médicament, estime Claude Japhet. D’une manière générale, il faut tout faire pour éviter de dévaloriser leur enseignement. Et commençons par dire aux titulaires qu’un étudiant, ce n’est pas de la main-d’oeuvre pas chère. » Car faute de trouver des assistants et des préparateurs les officinaux se rabattent sur les étudiants. « Ils en demandent beaucoup dès la 3e année, témoigne Sébastien Renard, président de l’Association des étudiants de la fac de pharmacie de Lille. Nos panneaux d’affichage sont pleins d’annonces. Nous faisons du rangement des commandes, des préparations simples, quelques délivrances, et jusqu’à 80% des étudiants de la faculté travaillent un samedi par semaine et les petites vacances. C’est beaucoup. »

Une solution à la crise de l’emploi peut-elle donc venir rapidement de la faculté ? « Oui, répond Claude Japhet. A nous, professionnels et enseignants, de trouver les bons arguments pour convaincre les étudiants de 4e année d’opter pour l’officine. Nous pourrons ainsi disposer d’un vivier de diplômés d’ici à deux ans. »

Relever la tranche de chiffre d’affaires pour l’embauche obligatoire d’un pharmacien assistant

Cette solution que préconisent 22 % des officinaux interrogés dans le sondage Fovéa aurait le mérite de réintroduire rapidement des assistants sur le marché du travail.

Actuellement, le seuil d’embauche obligatoire des pharmaciens assistants est fixé par tranche de chiffre d’affaires de 5,6 millions de francs.

Relever ce seuil permettrait donc de libérer des assistants. « C’est une solution qui mériterait d’être étudiée sérieusement» , commente Jean-Pierre Lamothe, en charge du social et de la formation professionnelle à la FSPF.

« Dans l’absolu, le recrutement par tranche de chiffre d’affaires est une hérésie, car l’accroissement du chiffre d’affaires n’est pas forcément lié à un surplus d’activité réel, estime Claude Japhet. Si l’on fixait cette tranche ne serait-ce qu’à 6 millions, cela permettrait de dégager quelques confrères. Mais, dans la situation actuelle de pénurie, cela ne ferait que déplacer le problème dans le temps. » D’autant que certains officinaux sont déjà en infraction par rapport à cette réglementation.

« Si l’officinal nous prouve qu’il cherche à recruter un assistant, il nous est difficile de sanctionner compte tenu de la situation de l’emploi », admet un inspecteur de la pharmacie. Pour l’Ordre, « une telle mesure n’est pas acceptable parce qu’elle poserait un problème de santé publique. Pour une bonne dispensation du médicament, les pharmaciens doivent êtres suffisamment nombreux et qualifiés ».

Et comme toute décision concernant ce seuil ne peut qu’être prise par le gouvernement, sur proposition ordinale après concertation avec les représentants de la profession, une telle mesure n’est pas à l’ordre du jour.

Revaloriser le métier d’assistant

Arrêtons de nous voiler la face. Quel peut être le plan de carrière d’un assistant ?, interroge Claude Japhet. Dans une entreprise de 3 000 salariés, il se conçoit, dans la majorité de nos entreprises, c’est impossible. Il n’y a aucune échelle à grimper, sauf celle du salaire et de l’ancienneté, mais est-ce un plan de carrière ? La meilleure solution consiste sans doute à permettre aux assistants d’entrer dans le capital des officines dans lesquelles ils travaillent. »

Association, intéressement, participation, autant de pistes vers lesquelles de plus en plus d’officinaux semblent se tourner spontanément. « C’est aussi à nous, à l’intérieur de nos officines, de revaloriser le statut de l’assistant pour qu’il devienne celui d’un pharmacien adjoint à qui l’on confie plus de responsabilités », confie ainsi André Sournia, installé à Ille-sur-Têt. « La solution pour faire face à cette pénurie se situe peut-être dans l’association, suggère Philippe Rousseau, titulaire à Saint-Malo. Si le CA le permet, on devrait proposer la formule association qui permet de fonctionner sur un rapport d’égalité. » « L’accès progressif au capital de l’entreprise semble une excellente solution, commente Jean-Pierre Lamothe. Mais je ne crois pas qu’il faille l’imposer comme un modèle, ou pire, la rendre obligatoire. C’est une décision de gestion de l’entreprise qui dépend de son manager. Aujourd’hui tous les outils juridiques sont à la disposition des officinaux. A eux de réfléchir à cette possibilité même si elle soulève quelques interrogations. » De quoi, malgré tout, redonner l’espoir d’un titulariat aux assistants et peut-être redorer le blason du métier aux yeux des étudiants.

Revaloriser le métier de préparateur

L’officine entre dans une zone de fortes turbulences, s’inquiète Philippe Gaertner, responsable d’une officine à Boofzheim (Bas-Rhin) et président de l’Association nationale pour la formation des préparateurs en pharmacie. Aujourd’hui on assiste à un véritable jeu de chaises musicales. Comme il n’y a pratiquement plus de préparateurs sur le marché, les officines se les arrachent les unes aux autres. Et ça ne s’arrangera pas de sitôt. »

C’est que la modification du BP, avec la suppression du CAP d’employé en pharmacie, qui était la voie principale de préparation du diplôme, bouleverse la donne en accélérant le processus d’assèchement du marché.

« Les derniers étudiants sont entrés en CAP en 2000. D’ici deux ans, nous n’aurons plus de filière d’alimentation », prévient Philippe Gaertner. Que faire ? « Il faut renégocier les filières d’accès et les diplômes de préparateurs, estime Claude Japhet, qui a présidé en 2000 la Commission paritaire nationale de l’emploi. En attendant, une solution à court terme consiste à proposer à des salariés actuellement en activité (vendeurs ou rayonnistes…) ou au chômage de terminer leur parcours de formation interrompu après le CAP. Ils sont à la porte de leur diplôme. Il faut que nous mettions rapidement sur pied un système de prise en charge doublé d’un accompagnement avec une formation en alternance. Il y a au moins mille personnes dans ce cas et, si nous allons vite, nous pouvons former entre cinq cents et six cents préparateurs opérationnels dès l’année prochaine. »

Embaucher du personnel administratif

Une solution qui trouve de plus en plus d’écho auprès de la profession. « A l’heure de la pénurie, chacun doit réfléchir à sa véritable place dans l’officine, estime Philippe Gaertner. On croule sous la paperasse. Mais est-ce le boulot d’un assistant ou d’un préparateur de faire des tâches administratives toutes la journée ? » La création en août dernier d’« un module d’approfondissement sectoriel pharmacie d’officine » attaché au baccalauréat professionnel « commerce » devrait permettre de libérer les préparateurs de tâches qui les empêchent d’être plus souvent au comptoir et donc de redonner un peu de souplesse au marché de l’emploi. « Chacun dans l’officine va se concentrer sur son métier de base, se félicite Jean-Pierre Lamothe. Les jeunes diplômés vont pouvoir prendre en charge le travail administratif, la gestion des commandes, des télétransmissions ou celle des stocks. On va libérer l’avant et renforcer l’arrière. » Pour aller plus vite, certains proposent de former en quelques mois seulement des secrétaires administratives. Jean-Etienne Martineau, secrétaire général de la FSPF, avait en son temps testé cette formule. « Je suis convaincu de la nécessité d’établir un échelon administratif à l’officine, explique-t-il. En 95 nous avons mis en place une formation en alternance de quatre à cinq mois au secrétariat administratif spécialisé en officine avec le CFA de Limoges. Nous avions recruté quinze jeunes femmes auprès de l’ANPE. Dix ont finalement trouvé du travail en officine. L’expérience a capoté faute de financement adéquat et suffisant. A l’époque, les pharmaciens refusaient de prendre une secrétaire pour trois raisons : « elle ne saura pas faire », « ça va me coûter cher » et « elle va savoir combien je gagne »… Peut-être était-ce une idée trop neuve à l’époque ? » « Je refuse une solution hors des classifications de la profession, explique Claude Japhet. Former des jeunes rapidement va nous être utile aujourd’hui parce que nous sommes en crise, mais si la tendance s’inverse, devrons-nous les laisser sur le carreau ? »

D’autres pistes

Embaucher des pharmaciens de l’Union européenne

Depuis 1987, sous certaines conditions d’équivalence de diplôme, d’expérience professionnelle et de connaissance de la langue française, des titulaires d’un diplôme de pharmacien émanant d’un pays de l’Espace économique européen peuvent exercer en France. « On a toujours l’habitude de trouver des solutions qui sont des vraies fausses solutions, estime Claude Japhet. Le recours à des assistants ressortissants de l’Union ne réglera pas le problème tant les besoins sont importants. ça ne peut-être qu’une solution ponctuelle, notamment pour les zones frontalières. » Au 1er janvier 2001, on ne compte que 132 ressortissants d’un pays de l’Union inscrits à l’Ordre dont 58 Belges, 22 Allemands, 14 Espagnols et 12 Italiens.

L’automatisation de l’officine

L’automatisation des officines pourrait-elle être un recours ? D’après Philippe Rouyer, installé à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et membre de l’AURA, l’Association des utilisateurs de robots et automates, l’automatisation de son officine lui a permis de gagner en productivité, ce qui l’a conduit à se séparer d’une de ses préparatrices : « Au-delà de l’économie de personnel, c’est une solution au problème de sécurité, et le temps gagné nous permet de faire plus de conseil. »

Encore faut-il avoir les moyens, l’espace ou la configuration architecturale permettant ce type d’installation…