- Accueil ›
- Profession ›
- Socioprofessionnel ›
- Produits de contraste : la forfaitisation passée aux rayons X
Produits de contraste : la forfaitisation passée aux rayons X
L’intégration des produits de contraste dans les forfaits radiologiques, avec la possibilité pour les radiologues de s’approvisionner directement auprès des laboratoires sans que le patient passe par la case officine, c’est pour bientôt. Pourtant, personne n’est prêt.
La forfaitisation des produits de contraste entrera en vigueur le 1er juillet 2023 pour les produits utilisés pour les examens d’imagerie par résonance magnétique (IRM), et le 1er mars 2024 pour ceux employés pour les examens par tomodensitométrie (scanner). La mesure, issue de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, a bien du mal à passer auprès des pharmaciens. En effet, « les médecins radiologues vont acheter directement les produits de contraste nécessaires à leurs actes, sans avoir à les prescrire et donc sans que les patients se les procurent dans leur pharmacie », expliquait Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) en décembre dernier. Avec des pertes économiques à la clé, estimées à 25 millions d’euros pour le réseau officinal. Pour couronner le tout, l’absence de réponses claires des autorités de santé « montre bien, je pense, le degré d’impréparation de cette réforme », s’exaspère Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
« Tout va bien se passer »
Car, un mois avant l’entrée en vigueur de la réforme, le flou règne sur l’organisation du nouveau circuit de distribution, le déremboursement des produits ou encore la reprise des stocks en officine.
Le 5 mai étaient réunis autour de la table les représentants des industriels – le Leem (Les Entreprises du médicament) –, les grossistes-répartiteurs, les syndicats de radiologues libéraux et de radiologues hospitaliers, ceux de pharmaciens d’officine et l’Assurance maladie « pour la première fois, et moins de deux mois avant l’entrée en vigueur [de la forfaitisation] », résume le président de l’USPO. Mais cette réunion « n’a servi à rien, tonne-t-il. Elle était totalement hors-sol. Personne n’est prêt pour le 1er juillet. Ni les laboratoires, ni les radiologues libéraux, ni l’hôpital, qui considère que ce n’est de toute façon pas à lui d’absorber les problèmes de l’ambulatoire. »
Même impression du côté des industriels. « Lors de cette réunion du 5 mai, chacun des acteurs a soulevé des problématiques soit pragmatiques, soit logistiques, soit de fond, raconte Juliette Moisset, directrice des opérations économiques du Leem. Nous avons eu le sentiment de ne pas avoir de réponses à ces questions au-delà de l’assurance du ministère que tout allait bien se passer et qu’il n’y allait pas y avoir de rupture dans l’accès aux soins des patients, sans que ce soit étayé par des solutions très concrètes. »
A la hâte
« Beaucoup d’interrogations subsistent : en matière logistique sur le financement, l’impact économique pour la chaîne de distribution, la reprise des produits, etc. Mais aussi concernant la capacité des laboratoires à distribuer les produits directement auprès des cabinets médicaux – une activité qui prend du temps –, la structuration des cabinets de radiologie et leur aptitude à recevoir et à stocker les produits et à les dispenser aux patients. Autre sujet de préoccupation : les produits de contraste qui sont utilisés dans d’autres spécialités, notamment en cardiologie ou en gynécologie, et qui ne font pas partie de la forfaitisation et auxquels les patients doivent encore pouvoir avoir accès en pharmacie, énumère la représentante du Leem. Le niveau des questions qu’on se pose actuellement relève plutôt d’une phase préliminaire d’investigation, qui aurait dû avoir été effectuée avant la prise de décision et de mettre en marche la réforme. Cela nous laisse inquiets quant à l’accès aux soins des patients français dans l’imagerie médicale et fait craindre des retards de diagnostic, notamment en oncologie. » En résumé, « notre sentiment est que cette réforme est vraiment envisagée à la hâte par les autorités. Elle pose des questions fondamentales et impose un rythme insoutenable ».
Et pour les pharmaciens d’officine, qui doivent composer avec cette perte de marché ? « Pour l’instant, nous n’avons aucune réponse claire, répète Philippe Besset, au lendemain de la deuxième réunion plénière du 24 mai. Ce sera pour la semaine prochaine, nous ont-ils assuré ». « Ils fonctionnent à très court terme, ajoute Pierre-Olivier Variot. Je crois que la semaine prochaine nous aurons les solutions pour les médicaments concernés par la forfaitisation appliquée au 1er juillet, mais je ne pense pas qu’ils aient pensé à celles pour le mois de mars 2024… »
Déremboursement dans l’air
Pour l’instant, les autorités « nous ont présenté les médicaments qui allaient être radiés du remboursement au 1er juillet. Ce sont tous les médicaments à base de gadolinium qui servent en particulier pour les IRM. Les produits de contraste pour les scanners, donc à base d’iode en particulier, n’arriveront qu’en mars 2024 », explique le président de l’USPO, qui soulève également un autre problème : « Certains produits de contraste sont utilisés par d’autres professionnels comme les cardiologues ou les rhumatologues, et dans ce cadre-là, ces produits resteraient remboursés. Ce qui veut dire qu’il ne peut pas y avoir de radiation pour ces produits utilisés hors forfait technique. Mais nous, pharmaciens, sommes incapables de savoir quand l’examen rentre dans un forfait technique ou non. »
Autre question posée depuis plusieurs mois par les syndicats : quid de la reprise des invendus ou des surstocks en pharmacie ? « Les autorités n’excluent pas le fait de reprendre les stocks de produits des pharmacies et de le réutiliser après auprès des centres d’imagerie, mais pas des centres libéraux, entend Pierre-Olivier Variot. Nous avons réussi à négocier le fait que les stocks seraient repris par les industriels, cependant ce n’est pas encore définitif. »
Une réforme, pourquoi donc ?
« Pourquoi s’impose-t-on ce rythme-là, pour une réforme dont le rationnel n’est pas clair ? », s’interroge Juliette Moisset. D’autant que la mesure, apparue à la fin des discussions parlementaires sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, a pris par surprise les pharmaciens et les industriels. « Dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, les médicaments ne sont pas mentionnés. C’est le choix du gouvernement d’avoir inscrit les produits de contraste dans cette mesure par des arrêtés parus fin avril et c’est le choix du gouvernement de prévoir dans ces arrêtés des dates de mise en œuvre aussi rapprochées que le 1er juillet pour certains d’entre eux », dénonce l’industriel.
« Il faut remonter un peu plus loin que ça, avance de son côté Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). Avec la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), les radiologues, qui sont soumis à une pression constante d’économies, ont signé en 2018 un protocole d’accord visant à réaliser 180 à 200 millions d’euros d’économie sur deux ans, plutôt que d’obtenir des baisses tarifaires qui de toute façon ne vont rien résoudre. Nous avons réfléchi à la pertinence des soins avec imagerie. Nous avons travaillé sur les produits de contraste à ce moment-là, en prenant en compte les nouvelles recommandations qui sont d’en injecter moins au patient. Mais il y a eu le Covid-19. On a recommencé à discuter avec la Cnam en 2021 ».
« Il fallait entrer dans la logique des produits multidoses car, pour un produit présenté en conditionnement de 100 ml, on en utilise seulement un tiers pour un seul patient que la Sécurité sociale paie », poursuit le radiologue. Une idée qui a séduit les autorités de santé. Après un an de discussion, si les radiologues ont accepté l’intégration des produits de contraste dans les forfaits techniques, ils ont obtenu en échange l’abrogation de l’article 99 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 qui autorisait le directeur de la Cnam à fixer lui-même le montant des forfaits techniques pour IRM et scanner, lui donnant ainsi la possibilité de les réduire de manière unilatérale. Finalement, l’Assurance maladie octroie75 millions d’euros pour les forfaits techniques aux radiologues. « Le prix du forfait augmente mais ne compense pas le prix d’achat du produit de contraste », tempère Jean-Philippe Masson.
Le nerf de la guerre
L’intérêt de la forfaitisation repose donc sur la mise à disposition des produits de contraste en présentation multidoses. « La France est le seul pays au monde, avec le Japon, à ne pas les utiliser », s’énerve le président de la FNMR, qui calcule : « Les économies ne se feront pas vraiment sur les produits de contraste à base de gadolinium, sauf si les radiologues emploient les génériques – le taux de pénétration pour les produits au gadolinium est de l’ordre de 20 % seulement aujourd’hui. En revanche, pour les produits iodés, ce sont les présentations multidoses qui sont économiques. Puisqu’on n’administre pas la totalité du volume, mieux vaut utiliser un flacon multidose de 200 ml que trois flacons de 100 ml sur la base de trois forfaits. »
« Actuellement, ces présentations n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) sur le marché français, explique la représentante du Leem. Il semblerait que certains laboratoires aient pu déposer des demandes d’AMM pour ces formats multipatients, mais en tout état de cause elles ne seront pas en vigueur le 1er juillet. Donc il faudra que la réforme soit mise en place avec les présentations qui existent aujourd’hui, c’est-à-dire avec des formes par patient ». Et au cas où les laboratoires ne parviendraient pas à approvisionner en direct les radiologues, « on nous a demandé qu’il soit possible pour les pharmaciens de dépanner en attendant que les choses se mettent en place. Je suis contre ! », s’agace encore le président de l’USPO.
« Sur le principe, cette disposition représente une brèche dangereuse pour la qualité et le monopole pharmaceutiques, indispensables à la sécurité des patients. Demain, d’autres spécialités seront-elles concernées ? », s’inquiète encore Pierre-Olivier Variot. L’Assurance maladie, elle, table sur 138 millions d’euros d’économies. Les radiologues voient encore autre chose : « On évite le gaspillage et, en plus, cela a un énorme impact sur l’environnement. »
A compter du 1er juillet, les produits de contraste pour IRM (à base de gadolinium) seront inclus dans les forfaits techniques des radiologues. La mesure s’étend aux produits de contraste pour scanner (produits iodés) à partir du 1er mars 2024.
En conséquence, les produits de contraste seront déremboursés et le patient n’est plus tenu de passer par l’officine pour obtenir son produit d’examen.
Un mois avant l’entrée en vigueur de la mesure, l’organisation n’est pas prête. Les pharmaciens attendent des réponses claires sur les produits concernés et la reprise des invendus et des surstocks.
Stock et invendus : que faire ?
Les discussions avancent entre les autorités et les syndicats de pharmaciens concernant la reprise des invendus ou des surstocks de produits de contraste. Les autorités de santé veulent déjà recenser l’état des stocks en pharmacie.
« Pour l’instant, les pharmaciens continuent de dispenser ces produits comme d’habitude, mais ils seront déremboursés. Les pharmaciens ne doivent pas stocker les produits pour les IRM et ne pas surstocker ceux utilisés pour les scanners », préconisait Philippe Besset, président de la FSPF, début mai. Même conseil du côté de l’USPO, qui recommande aux pharmaciens « d’être vigilants lors de la commande et l’éventuel stockage de ces produits ».
À retenir
A compter du 1er juillet, les produits de contraste pour IRM (à base de gadolinium) seront inclus dans les forfaits techniques des radiologues. La mesure s’étend aux produits de contraste pour scanner (produits iodés) à partir du 1er mars 2024.
En conséquence, les produits de contraste seront déremboursés et le patient n’est plus tenu de passer par l’officine pour obtenir son produit d’examen.
Un mois avant l’entrée en vigueur de la mesure, l’organisation n’est pas prête. Les pharmaciens attendent des réponses claires sur les produits concernés et la reprise des invendus et des surstocks.
- Economie officinale : les pharmaciens obligés de rogner sur leur rémunération
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine
- Explosion des défaillances en Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Occitanie
- La carte Vitale numérique, ce n’est pas pour tout suite
- [VIDÉO] Financiarisation de l’officine : « Le pharmacien doit rester maître de son exercice »
- [VIDÉO] Arielle Bonnefoy : « Le DPC est encore trop méconnu chez les préparateurs »
- [VIDÉO] Le service de livraison en ligne : « Ma pharmacie en France » disponible dès juin
- [VIDÉO] Négociations, augmentations, ancienneté… Tout savoir sur les salaires à l’officine
- [VIDÉO] 3 questions à Patrice Marteil, responsable des partenariats Interfimo
- [VIDÉO] Quand vas-tu mettre des paillettes dans ma trésorerie, toi le comptable ?