Socioprofessionnel Réservé aux abonnés

Produire son propre gel hydroalcoolique est loin d’être un choix aseptisé

Publié le 19 juin 2021
Par Anne-Charlotte Navarro
Mettre en favori

En mars 2020, comme d’autres confrères, un titulaire charentais décide de fabriquer lui-même du gel hydroalcoolique. Faute de trouver de l’alcool normé, il prend l’initiative de s’adresser à une maison de cognac. Bonne ou mauvaise idée ? Le conseil régional de l’Ordre a tranché.

Alors que la France fait face à la première vague de Covid-19, en mars 2020, Vincent Negret, pharmacien à Aigre, en Charente, produit du gel hydroalcoolique à partir d’alcool à 96 % fourni par une maison de cognac implantée dans sa commune. L’initiative attise la curiosité de la presse régionale. Le président du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens, également à la tête du conseil central de l’Ordre des pharmaciens (section A), Pierre Beguerie, interpellé, ne l’entend pas de cette oreille et décide de porter plainte. « En mars 2020, la profession s’est battue pour obtenir le droit de fabriquer des gels hydroalcooliques, les biocides n’étant pas dans la liste des préparations que nous pouvions réaliser. Nous avons obtenu la dérogation sous réserve de respecter la Pharmacopée et les règles de bonnes pratiques. Ce confrère, en utilisant de l’alcool non normé, n’a pas respecté les conditions de cette dérogation », explique-t-il. L’incompréhension s’installe, Vincent Negret vivant cette plainte comme une injustice : « Remettons-nous un instant dans le contexte. A l’époque, tout manquait, nous faisions face à l’épidémie avec peu de connaissances et un lot d’informations nouvelles chaque jour. Le président de la République avait dit que nous étions en guerre, il fallait proposer des solutions ».

Le 11 mars 2021, la chambre de discipline de l’Ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine inflige à Vincent Negret un blâme avec inscription au dossier. « Certes, je n’ai pas utilisé d’alcool conforme à la Pharmacopée, mais un alcool de bouche ayant subi des contrôles et destiné à être ingéré. Ce qui m’a permis de fournir les patients, les professionnels de santé, les mairies pour les élections. L’utilisation de ce même alcool a été rendue légale quelques jours plus tard », se défend-il en décidant de faire appel.

La fabrication d’une préparation est soumise à des règles strictes posées par le Code de la santé publique et l’arrêté des bonnes pratiques du 21 novembre 2007. « Les matières premières utilisées pour réaliser des préparations pharmaceutiques doivent répondre aux spécifications de la Pharmacopée européenne (dernière édition). La jurisprudence de la Chambre nationale de discipline est intransigeante sur ce point. Plusieurs pharmaciens ont, par le passé, été condamnés à des peines d’interdiction d’exercer pour avoir, par exemple, employé des matières premières périmées », explique Matthieu Blaesi, avocat en droit de la santé. C’est d’ailleurs sur cet argument que Pierre Beguerie se fonde. « La qualité des matières premières est la clé de notre sérieux. Que se serait-il passé si les patients avaient souffert de brûlures ou d’allergies ? »

Visions opposées

Il n’en demeure pas moins que l’histoire reste regrettable. « Je ne comprends pas cette sanction, je n’ai mis la santé de personne en danger, je suis injustement condamné, alors que d’autres pharmaciens ont fait la même chose sans être inquiétés. Un confrère parisien a lui été décoré de la Légion d’honneur », insiste Vincent Negret, amer.

Publicité

En définitive, ce sont deux visions de la crise sanitaire qui s’opposent là. La première, celle d’un pharmacien qui a pensé bien faire dans l’urgence pour aider ses patients et a accepté que soit publié un article destiné au grand public ; la seconde, celle d’un président de l’Ordre, défenseur des normes, pour qui nécessité ne fait pas loi. L’affaire sera rejugée par l’Ordre national. Reste que depuis un arrêté du 1er juin, publié au Journal officiel du 2 juin, le droit de fabrication des produits hydroalcooliques par les officines ne fait plus partie des mesures dérogatoires.