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Pourquoi le PLFSS pour 2024 nous fait-il si peur ?

Publié le 4 novembre 2023
Par Magali Clausener
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Bien que comportant des mesures positives pour les pharmaciens, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 inquiète les syndicats pharmaceutiques, en particulier pour les négociations conventionnelles. Quels sont les enjeux de ce texte ? Explications.

 

Le gouvernement a présenté le 23 septembre 2023 le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Après une première utilisation de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter le volet « recettes » du PLFSS, la Première ministre Elisabeth Borne a de nouveau engagé la responsabilité du gouvernement dans la nuit du 30 au 31 octobre pour faire adopter l’ensemble du texte. Deux cent cinquante amendements ont été retenus mais, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le texte final n’est pas disponible.

 

Quoi qu’il en soit, ce PLFSS suscite déjà des critiques de la part des acteurs de la santé, mais aussi des craintes auprès des représentants des pharmaciens. Pourtant, il comporte plusieurs dispositions accueillies favorablement par la profession. Pourquoi les griefs l’emportent-ils ?

Un budget insuffisant

 

Le PLFSS fixe chaque année la progression de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). L’Ondam est composé de six sous-objectifs, dont l’Ondam dit « de ville » qui couvre les dépenses d’assurance maladie du secteur ambulatoire et, par conséquent, les professionnels de santé libéraux. En 2024, les dépenses prises en compte dans le dispositif devraient atteindre 254,9 Md€. Quant aux dépenses de soins de ville, elles devraient s’élever à 108,4 Md€. Ce qui représente une progression respectivement de + 3,2 % et + 3,5 %. Une évolution qui est loin de couvrir l’inflation (+ 4,9 % en septembre 2023) et l’augmentation des charges (+ 4 % environ pour les pharmaciens). Ni même « l’augmentation des besoins naturels de la population », a souligné Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le 13 octobre. Et a priori encore moins les besoins que nécessitera la négociation de l’avenant économique à la convention pharmaceutique. « Il n’y a pas de budget prévisible pour la négociation, je ne vois pas apparaître l’argent », a estimé Philippe Besset le 7 octobre. En fait, selon l’annexe 5 au PLFSS pour 2024, 1,6 Md€ est prévu dans l’Ondam de ville au titre des revalorisations conventionnelles et mesures nouvelles en ville. Ce qui comprend notamment le financement de la fin de la montée en charge de mesures conventionnelles déjà signées, tel que le règlement arbitral à la convention médicale, l’avenant 8 à la convention nationale des infirmiers, l’avenant 11 à la convention nationale des transporteurs sanitaires, etc., ainsi que le financement d’une revalorisation transversale des professions paramédicales matérialisée par la signature d’avenants pendant l’été 2023, afin de compenser la perte de revenus induite par le contexte inflationniste. L’annexe cite également « le financement de négociations conventionnelles à venir comme le renouvellement de la convention avec les pharmaciens d’officine ». Ce milliard et quelque d’euros doit aussi financer les mesures de lutte contre la précarité menstruelle et de facilitation d’accès aux protections périodiques réutilisables.

Un plan d’économies

 

Si de l’argent est donc prévu, l’annexe ne précise aucun montant. Qui peut en outre dépendre des négociations avec les autres professions, en particulier celle des médecins. Ce qui fait dire à Philippe Besset : « Quand il n’y a pas d’avoine dans l’écurie, les chevaux se battent. On est en train, entre acteurs de la santé, d’essayer chacun de voir comment on peut faire pour survivre ou passer les caps difficiles ». C’est bien ce qui inquiète la FSPF et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). D’autant que les deux syndicats comptent demander à l’Assurance maladie 1 milliard d’euros pour la revalorisation de la rémunération des pharmaciens ! Et que l’impact de cette revalorisation sur l’économie de l’officine sera limité en 2024. Car les mesures négociées ne pourront entrer en vigueur que six mois après la négociation. « Si nous finissons de négocier en mars ou avril, avec une application six mois plus tard, cela veut dire deux à trois mois d’impact sur l’année », a expliqué Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, lors d’une conférence de presse organisée conjointement avec la FSPF le 25 octobre. « Les effets sur 2024 sont compris dans cette enveloppe, mais on peut quand même négocier pour les effets en 2025 et 2026 », a d’ailleurs ajouté Philippe Besset.

 

Pour les syndicats, c’est clair : il s’agit bien d’un PLFSS d’économies. Sachant, en outre, que le projet de loi prévoit encore cette année 1,3 Md€ de dépenses en moins pour les produits de santé : 850 M€ de baisses de prix sur les médicaments, 150 M€ sur les dispositifs médicaux et 300 M€ de réductions des volumes de médicaments. Pour les pharmaciens, c’en est trop alors que le gouvernement a décidé de bloquer la clause de sauvegarde des industriels du médicament à 1,6 Md€. « La pharmacie d’officine ne sera pas la variable d’ajustement de la politique du médicament. Les pharmacies d’officine, dont la situation économique s’est profondément dégradée, ne supporteront pas de nouvelles mesures imposées par Bercy visant à rééquilibrer les comptes publics. Les conséquences pour le réseau officinal de proximité seraient irréparables et contribueraient encore à dégrader l’accès aux soins des patients », a, dès le 25 septembre, prévenu l’USPO.

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De nouvelles missions, mais à quel prix ?

 

Surtout que les pouvoirs publics comptent sur les pharmaciens pour assurer de nouvelles missions. Plusieurs dispositions dans ce sens figurent dans le PLFSS1. Il s’agit d’autoriser les pharmaciens à dispenser sans ordonnance certains médicaments à prescription médicale obligatoire, dont les antibiotiques, après réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) pour les cystites simples et les angines. Le PLFSS acte aussi la généralisation de la délivrance à l’unité (DAU) par les pharmaciens des médicaments concernés par une rupture d’approvisionnement, en particulier les antibiotiques. Dans le cadre de la lutte contre les pénuries de médicaments, ils vont pouvoir produire des « préparations officinales spéciales », ce statut permettant de garantir aussi la qualité de la matière première utilisée pour ces préparations et, si besoin, dans des cas définis par le ministre de la Santé et de la Prévention, de distribuer en officine des préparations hospitalières spéciales. Le PLFSS prévoit également que l’Assurance maladie rémunère directement les professionnels de santé, dont les pharmaciens, qui participeront à la vaccination contre les papillomavirus (HPV) dans les collèges.

 

Autant de nouveaux actes auxquels sont favorables les syndicats. Encore faut-il qu’ils soient payés à leur juste valeur. Or, par exemple, la rémunération de la prescription des antibiotiques en cas de Trod angine ou cystite positif doit être déterminée par la convention pharmaceutique. C’est-à-dire négociée… Alors qu’actuellement les pharmaciens jugent que de nombreuses nouvelles missions sont trop faiblement rémunérées, comme la réalisation des Trod angine ou la prescription des vaccins du calendrier vaccinal. Ce qui signifie qu’effectivement les négociations avec l’Assurance maladie risquent d’être serrées.

 

Le 25 octobre, l’USPO, la FSPF, l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), Federgy et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), ont appelé la profession à se mobiliser si le 11 novembre, le gouvernement n’a toujours pas répondu aux demandes de la profession et, en particulier, si aucune date d’ouverture des négociations avec l’Assurance maladie n’a été fixée. Pour l’heure, les syndicats n’ont pas souhaité détailler les actions qu’ils pourraient entreprendre, mais Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO, a déclaré : « Si la seule chose que comprend l’Etat, c’est la grève, on la fera ».

             

Des missions qui coûtent cher… aux pharmaciens

La dispensation à l’unité (DAU) d’antibiotiques, en l’occurrence d’amoxicilline et d’amoxicilline/acide clavulanique, permettrait d’économiser environ 6 millions d’euros selon l’étude d’impact du PLFSS 2024. Car le pharmacien est rémunéré 1 € par délivrance à l’unité, dans une enveloppe de 500 € au maximum par an. « L’enveloppe maximum étant déjà atteinte avec la DAU des stupéfiants, la DAU des antibiotiques n’engendrera pas de surcoût », est-il précisé dans l’étude d’impact.

Quant à la prescription d’antibiotiques en cas de cystite ou d’angine, l’impact financier de la mesure dépend de trois aspects, souligne l’étude : le différentiel de valorisation entre l’acte d’orientation réalisé par le pharmacien et le tarif d’une consultation médicale, coûts qui ne sont pas intégrés ; le renforcement de l’utilisation des tests associée à un moindre recours à d’autres examens de biologie médicale (examen cytobactériologique des urines, ou ECBU) ; les volumes moins importants d’antibiotiques délivrés. Pour les deux derniers points (tests et antibiotiques), l’étude d’impact évalue les économies totales à 80 M€ par an sous l’hypothèse d’un recours à 100 %.

Enfin, concernant la rémunération des libéraux dans le cadre de la campagne de vaccination contre les papillomavirus (HPV), si elle doit être fixée par arrêté, l’étude d’impact évalue les tarifs à 75 €/h pour les médecins, à 48 €/h pour les pharmaciens et les sages-femmes et à 37 €/h pour les infirmiers.

À retenir

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 inquiète les syndicats de pharmaciens car :

– l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) ne prend pas en compte l’inflation et peu les négociations conventionnelles pharmaceutiques ;

– 1,3 Md€ d’économies sur les produits de santé sont envisagés.

– de nouvelles missions sont prévues pour les pharmaciens, mais leur rémunération doit être négociée dans le cadre de la convention pharmaceutique.

  • 1 Sous réserve des amendements retenus.