Pourquoi la chute du gouvernement pénalise les pharmaciens

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Pourquoi la chute du gouvernement pénalise les pharmaciens

Publié le 9 décembre 2024
Par Elisabeth Duverney-Prêt
Le rejet du PLFSS a précipité la chute du gouvernement Barnier, impactant directement les pharmaciens. Les mesures attendues, comme les remises sur les biosimilaires et la lutte contre les pénuries, sont suspendues. De plus, plusieurs réformes essentielles risquent de ne pas être appliquées à temps, retardant ainsi des ajustements cruciaux pour le secteur.

Présenté début octobre, le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2025 a connu un parcours chaotique à l’Assemblée nationale et au Sénat. Entre l’échec du vote en séance plénière, l’accord trouvé en commission mixte paritaire après l’approbation du Sénat, et, enfin, le rejet définitif du texte après le vote de la motion de censure déposée par la gauche, jamais un PLFSS n’aura été aussi malmené. L’enjeu est pourtant considérable : le texte visait à combler un déficit de la Sécurité sociale estimé à 18,3 milliards d’euros. Face à cette situation, l’État se doit chaque année de trouver un équilibre complexe entre dépenses et recettes, tout en poursuivant des objectifs de prévention, d’amélioration de l’accès aux soins, et d’innovation dans les traitements. Une équation devenue presque impossible à résoudre sans le PLFSS, alors que de nombreux experts anticipent un déficit de près de 30 milliards d’euros en 2025 si les économies prévues ne sont pas mises en œuvre.

Des remises sur les biosimilaires perdues pour les pharmaciens

Le rejet du PLFSS a lourdement impacté la profession pharmaceutique, notamment en ce qui concerne les remises sur les médicaments biosimilaires. Alors que la pression sur les prix réduit les marges des officinaux, ces remises étaient très attendues. L’Assurance Maladie comptait sur elles pour réaliser des économies de près d’un milliard d’euros, les biosimilaires étant vendus environ 30 % moins chers que les médicaments de référence. Par ailleurs, le texte prévoyait de réduire à un an le délai d’inscription automatique des biosimilaires sur la liste des groupes substituables, contre deux ans actuellement. Avec le rejet du PLFSS, ce délai reste inchangé, freinant ainsi la substitution et les économies attendues.

Pénuries de médicaments : des mesures abandonnées

Le rejet du PLFSS a également saboté les dispositifs de lutte contre les pénuries de médicaments, un phénomène qui ne cesse de s’aggraver. L’article 19 du texte prévoyait des mesures de soutien renforcé aux dispositifs médicaux en cas de rupture d’approvisionnement, ainsi que l’élargissement du recours à l’ordonnance conditionnelle en cas de risque de rupture. Ces dispositions ont été annulées, de même que l’augmentation du plafond des sanctions financières contre les établissements pharmaceutiques en cas de manquement à leurs obligations de stockage. Les amendes, initialement fixées à 5 millions d’euros, restent plafonnées à 1 million. De plus, le système DP-Ruptures, qui permettrait d’anticiper les pénuries avec une transparence accrue, est suspendu. Un coup dur pour les syndicats et l’Ordre des pharmaciens, qui saluaient pourtant ce dispositif.

L’urgence d’une loi spéciale

Bien plus qu’un simple texte de santé, le PLFSS est censé autoriser chaque année l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (Acoss) à emprunter pour équilibrer les comptes sociaux, un montant estimé à 65 milliards d’euros pour 2025. Or, faute de PLFSS, ces emprunts sont désormais bloqués. Devant cette situation inédite, plusieurs solutions ont été envisagées. Dès août, le secrétaire général du gouvernement avait proposé un décret d’urgence pour relever le plafond des emprunts. Toutefois, la solution privilégiée par le gouvernement est l’adoption d’une loi spéciale permettant la poursuite de la gestion des affaires publiques. Ce texte devra être discuté et promulgué dans un délai extrêmement court, avant le 31 décembre. Une course contre la montre qui laisse planer de nombreuses incertitudes, d’autant que les constitutionnalistes sont divisés sur la validité de ce processus.

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Syndicats et pharmaciens : des attentes et des doutes

Les syndicats de pharmaciens restent vigilants. Selon Jérôme Koenig, directeur général de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo), si le gouvernement reprend le PLFSS, cela dépendra de la cohérence politique de la nouvelle équipe, sachant que certains amendements risquent de tomber avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement. Même son de cloche à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), où l’on espère que les mesures demandées seront reprises, bien que leur mise en place soit retardée. Les Libéraux de santé appellent à une approche plus stable et à long terme. Selon Sarah Degiovani, vice-présidente de l’intersyndicale, « le système de santé ne peut pas reposer uniquement sur un texte budgétaire ».

Des réformes retardées

Outre les mesures économiques du PLFSS, de nombreuses réformes attendues par les pharmaciens sont désormais retardées. La réforme du troisième cycle des études pharmaceutiques, par exemple, était suspendue à un décret, lui-même retardé par la crise politique. Une autre réforme cruciale, le déploiement des tests rapides de diagnostic du VIH (Trod VIH), est également bloquée faute de ministre. De son côté, Corinne Imbert, secrétaire de la commission des affaires sociales au Sénat et pharmacienne, s’inquiète des retards dans le renforcement de la pertinence des prescriptions. Le décret, paru en novembre, ne spécifie pas encore les produits concernés, retardant encore la mise en place du dispositif. Pour 2025, l’année s’annonce donc particulièrement incertaine pour la profession, avec de nombreuses inquiétudes liées à la gestion du médicament et à son impact sur le budget de la Sécurité sociale.

Une situation politique fragile, des enjeux de taille

Alors que des mesures importantes, telles que la hausse du ticket modérateur, la baisse des remises sur les génériques, et le délistage de certains médicaments, sont désormais suspendues, les opposants à ces propositions bénéficient d’un délai supplémentaire pour affiner leurs arguments. Le seul avantage de cette crise politique majeure pourrait bien être ce répit inattendu. Mais au-delà des mesures immédiates, c’est la stabilité à long terme du système de santé qui reste en jeu.