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Peut-on encore sauver l’hôpital ?

Publié le 4 septembre 2010
Par Marie Luginsland
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L’hôpital doit revenir à l’équilibre en 2012. Ce défi en forme de credo lancé par le président de la République doit mettre un terme aux dépenses galopantes d’un système qui transfère de plus en plus les soins vers la médecine de ville. Cette dernière, si l’objectif est atteint, n’aura plus le sentiment d’être injustement rendue responsable du trou de la Sécurité sociale quand l’hôpital n’est jamais montré du doigt.

La médecine de ville n’est pas source de tous les maux. Moins encore qu’elle, l’hôpital, prescripteur de 53 % des dépenses d’Assurance maladie, ne parvient pas à maîtriser son déficit. De 193 millions d’euros, en 2006, il est passé à 486 millions d’euros en 2007. Et l’année suivante, s’il a été réduit d’un cinquième, près de 40 % des établissements demeuraient en déficit. Du reste, en 2009, 60 % du dépassement de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) étaient liés aux établissements de santé contre 40 % aux soins de ville.

Des capacités d’ajustement quasiment nulles

En contraignant l’hôpital à équilibrer ses comptes d’ici à 2012, l’Etat exprime sa détermination à mettre la médecine hospitalière au même régime que la médecine de ville, jusqu’alors seule cible véritable des efforts de maîtrise des coûts de santé.

Un an après sa promulgation, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) qui concerne également les établissements hospitaliers devrait connaître tous ses décrets d’application sous peu. D’ores et déjà, il est permis de croire qu’elle devrait pallier un certain nombre de dysfonctionnements relevés par la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) dans son rapport présenté à Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé, en mai dernier.

L’hôpital est aujourd’hui un paradoxe. Les 3 040 établissements (dont 988 entités publiques) qui génèrent 71,2 milliards d’euros de dépenses de santé voient leur activité augmenter de 1 à 1,5 % par an alors que les séjours – 5,8 jours en moyenne – ne cessent de diminuer, tout comme le nombre de lits (– 1,7 % en 2008). L’augmentation relative des entrées à 0,5 % ne saurait expliquer à elle seule cette différence. Pas davantage qu’elle n’est responsable du déficit généré d’année en année.

Jean-Marie Le Guen, ancien président du conseil d’administration de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)* et adjoint à la santé à la mairie de Paris, explique cette situation par la configuration du système de financement : « Le budget des hôpitaux est aujourd’hui contraint. L’enveloppe globale dont ils bénéficient – et donc le déficit qu’ils peuvent générer – n’est pas liée à leur gestion économique. Les tarifications des missions d’intérêt général sont forfaitisées. Elles n’évoluent pas en fonction des coûts réels mais en fonction des décisions budgétaires. » Par conséquent, pour lui, « les capacités d’ajustement sont quasiment nulles puisque les emplois et les coûts des produits de soins sont indépendants du pouvoir des prescripteurs et des managers ». En un mot, il faut considérer les dépenses des hôpitaux de façon globale en intégrant le public et le privé.

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Pas de potion magique pour aplanir les disparités

Or, le paysage hospitalier public est lui même un contraste. 391 hôpitaux, soit 39 % des établissements, sont aujourd’hui dans le rouge. Les écarts sont particulièrement significatifs entre, d’une part, les petits centres hospitaliers et les hôpitaux locaux qui sont dans une situation excédentaire à respectivement + 0,9 % et + 2,3 % et, d’autre part, les centres hospitaliers régionaux (CHR) qui génèrent 70 % du déficit du système de soins stationnaires. Une situation quasi généralisée pour les CHR puisque, sur 30 établissements, 26 sont en déficit.

Ces disparités se retrouvent dans la mise en œuvre de moyens d’un établissement à l’autre. Les écarts de coûts restent très importants. A titre d’exemple : le coût d’une ligne de garde pour 5 000 passages peut varier de 16 000 à 200 000 euros, soit un rapport de 1 à 12 !

Pourtant, les remèdes pour aplanir ces disparités se sont multipliés au cours des dernières années. La mesure la plus marquante a été l’introduction de la T2A, ou tarification à l’acte, comme source de financement de l’hôpital. Mais, là encore, les dérapages n’ont pu être évités : pour générer la même recette issue de la T2A, avec le même nombre de journées et de lits dans la même spécialité, il faut à certains hôpitaux quatre fois plus de médecins qu’à d’autres. A tel point que, sur un plan plus général, la T2A reste impuissante dans la maîtrise des coûts globaux, car si l’hôpital est parvenu à juguler son déficit sur le budget principal de 716 millions d’euros en 2007 à 592 millions d’euros en 2008 (soit une baisse de 17 %), il peine toujours à endiguer la croissance des coûts de fonctionnement. Les dépenses les plus dynamiques restant les charges de personnel et les achats en produits pharmaceutiques et produits à usage médical dont le volume a augmenté en 2008, comme en 2007, de 3,7 %. Aussi la T2A mise en place afin d’éliminer les disparités historiques de financement entre établissements montre ses limites : « Conduit-elle à rendre transparente la facturation, afin de connaître le juste coût, ou à changer les pratiques ? », s’interroge Laurent Degos, président de la Haute Autorité de santé. Selon lui, la T2A pourrait même être inflationniste : « La tarification à l’activité est un excellent moyen pour accroître l’activité de l’hôpital. Cet outil a d’ailleurs été utilisé dans les pays qui souffraient d’un défaut d’accès à l’hôpital. » Il en veut pour exemple la dernière version de la T2A qui, en surfacturant très nettement les soins palliatifs et la dénutrition sévère, incite les hôpitaux à prendre en charge les personnes en fin de vie ou sévèrement dénutris…

Redéfinir l’hôpital et son périmètre d’action

Dans ce contexte, le retour à l’équilibre en 2012 semble pour le moins utopique. Si ce n’était l’espoir mis dans l’instrument principal qu’est l’ONDAM. Sa hausse contrôlée – le taux de croissance est encadré par le gouvernement – devrait canaliser les dérapages de coûts. Ainsi, fixé à 162,4 milliards d’euros en 2010, l’ONDAM n’a augmenté que de 3 % cette année par rapport à 2009, année où il avait crû de 3,3 %. Or, comme le note la MECSS, « si ce rythme de décélération de l’ONDAM est maintenu dans les deux années à venir avec un taux fixé à 2,9 % en 2011 et 2,8 % en 2012, l’objectif du retour à l’équilibre pourrait être atteint ». Cet instrument de maîtrise comptable ne saurait cependant suffire à lui seul. Comme le précise également la MECSS, « compte tenu de l’évolution de l’ONDAM hospitalier, les établissements sont contraints de s’adapter pour améliorer leur efficience ». Le retour à l’équilibre doit donc s’accompagner de mesures qui permettent à l’hôpital de redéfinir ses fonctions et son périmètre d’intervention. « Je crois que l’assistance publique devrait se concentrer sur certaines tâches et laisser les autres, moins fondamentales, à la médecine de ville. Sa fonction est d’accumuler un plateau technique et des expertises techniques et, pour les CHU, la formation de recherche, d’édiction de normes et d’animation d’un certain nombre de réseaux. Cela suppose de sortir des murs de l’hôpital comme on le fait par exemple pour le Sida », propose Jean-Marie Le Guen qui s’affirme en faveur d’une identification de l’hôpital. Cette identification passe par la définition et la reconnaissance de compétences propres. « Si on veut diminuer le poids de l’hôpital, la T2A doit être contrebalancée par ce que nous appelons “la qualité des soins” : c’est là que la Haute Autorité de santé prend toute sa place, notamment par sa mission de certification des établissements de santé, en particulier dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. Le financement des établissements ne doit pas en effet tenir seulement à l’activité mais également à la qualité », expose Laurent Degos.

Pour améliorer la performance des établissements, la MECSS réclame davantage de pilotage stratégique national et régional. Sur ce deuxième point, les hôpitaux pourront s’appuyer sur les structures extérieures que sont les agences régionales de santé (ARS), prévues par la loi du 21 juillet 2009. Elles détiendront en effet des compétences que n’avaient pas jusqu’alors les agences régionales de l’hospitalisation.

Un pilotage régional axé sur la performance

Un changement de cap que note Philippe Ritter, président du conseil d’administration de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux : « Il faudra que les ARS acquièrent une culture axée sur la performance. » Cette nouvelle donne est inscrite dans la loi HPST qui définit l’amélioration de l’efficience des établissements de santé comme axe clairement identifié de l’action des ARS. Cependant, les premiers contrats d’objectifs et de moyens des ARS ainsi que les projets régionaux de santé ne commenceront à être élaborés qu’à l’automne 2011. Elles arriveront donc trop tard pour influer sur le retour à l’équilibre en 2012. Tout juste pourront-elles aider l’hôpital à le conforter. Si, toutefois, il parvient d’ici là à recouvrer sa santé financière.

* L’AP-HP vient d’annoncer qu’elle veut réduire ses dépenses de 276 millions d’euros.

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone entre les 18 et 19 août 2010 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires, en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Comment qualifieriez-vous vos relations avec vos confrères hospitaliers ?

Voyez-vous les agences régionales de santé qui contrôleront les hopitaux et les obligeront à être plus efficients comme une bonne solution pour enrayer le déficit budgétaire hospitalier ?

Considérez-vous les missions qui vous sont reconnues depuis la loi HPST (contribuer aux soins de premiers recours, participer à l’éducation thérapeutique…) comme autant de solutions à la gabegie hospitalière ?

L’hôpital en chiffres

3 040 établissements

988 publics et 2 052 privés

• Nombre de lits : 440 243

• Nombre d’entrées (en milliers) : 11 941

• Effectif : 1,2 million de personnes, soit environ un million en équivalents temps plein

• Dépenses hospitalières pour 2010 : 71,2 milliards d’euros

• Chiffre d’affaires des cliniques privées en 2009 : 11,7 milliards d’euros

(Source : MECSS)