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Pénurie d’étudiants : la profession désorientée
Une rentrée universitaire dans laquelle plus d’un millier d’étudiants manquent en 2e année de pharmacie, c’est du jamais vu. Un chiffre élevé qui alarme la profession, les étudiants eux-mêmes, les doyens des facultés et même l’Académie nationale de pharmacie. En cause ? Les nouvelles modalités d’accès aux études de pharmacie et, quoi qu’on en dise, la faible attractivité de la profession.
Environ 1 100 : c’est le nombre estimé de places vacantes en 2e année de pharmacie, sur 3 802 places ouvertes aux étudiants. « Nous nous attendions à avoir 300 à 400 places vacantes, sachant que cette année il y a plus de redoublants de la première année commune aux études de santé (Paces), mais pas plus d’un millier », explique Maxime Delannoy, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf). Un coup de massue. Pour l’Anepf, mais également pour l’ensemble de la profession, Ordre et syndicats. D’où un communiqué commun, le 21 septembre 2022, pour alerter les ministères de tutelle. « Cette hausse laisse envisager un avenir inquiétant pour le métier de pharmacien, souffrant d’ores et déjà d’une pénurie de ressources humaines au sein de la profession depuis maintenant plusieurs années », expliquent les organisations. Et d’insister : « 30 % d’étudiants en moins dans nos amphithéâtres n’est ni acceptable ni viable pour la profession et le système de soins français dans sa globalité ».
Mise en Pass et LAS difficile
Egalement préoccupée par la situation, l’Académie nationale de pharmacie n’a pas, le 26 septembre, mâché ses mots : « Le risque d’un déficit de la démographie pharmaceutique dans les années à venir (les études de pharmacie durent six ans) conduira, si rien n’est fait, inévitablement à un regroupement des officines et donc à une perte de proximité de la population, particulièrement les personnes fragiles (malades chroniques, sujets âgés, etc.) ». Elle pointe aussi du doigt la réforme de la Paces qui a conduit à la mise en œuvre de nouvelles modalités d’accès aux études de santé : le parcours d’accès santé spécifique (Pass) et la licence accès santé (LAS). Les étudiants et la Conférence des doyens des facultés de pharmacie de France mettent également en exergue le manque d’attractivité des métiers de la pharmacie.
La réforme de la Paces visait deux grands objectifs : diversifier les profils des étudiants en santé et permettre aux jeunes, en cas d’échec, de se réorienter plus facilement. Elle actait également la fin du numerus clausus, qui est remplacé par un numerus apertus, c’est-à-dire un nombre minimal de places décidé par chaque faculté avec l’agence régionale de santé.
Depuis 2020, l’accès aux études de santé (médecine, pharmacie, maïeutique, odontologie et kinésithérapie) est possible par deux voies différentes via Parcoursup : le Pass et la LAS. Le Pass est axé sur des enseignements « santé » et n’est proposé que dans les universités ayant une faculté en santé. Les LAS concernent des disciplines autres (droit, chimie, mathématiques, etc.) comportant une « mineure » santé. Le parcours pour devenir pharmacien devient donc complexe (voir Repères page 22).
Ce nouveau dispositif est loin de remporter tous les suffrages. « Le principe d’ouvrir les études de santé à des profils plus variés est louable sur le papier, mais son application est désastreuse », n’hésite pas à déclarer Maxime Delannoy. Et de détailler : « L’application des textes est très disparate sur le territoire. Très peu d’étudiants en études de santé sont issus des LAS. Celles-ci sont aussi, dans certaines facs, peu présentées ou dévalorisées au profit du Pass. Nous ne pouvons même pas avoir une communication nationale sur les LAS car le système est trop hétérogène. » « Le principe d’ouvrir les études de pharmacie à de nouveaux profils est bien », estime de son côté Gaël Grimandi, président de la Conférence des doyens des facultés de pharmacie de France. Celui-ci pointe néanmoins des difficultés : « Un étudiant littéraire qui opte pour une LAS ne réussira pas forcément à suivre des études de pharmacie. Dans le même temps, on ne peut pas dire que seuls les étudiants de LAS scientifiques vont réussir ».
Quant au Pass, il suscite aussi des critiques. « Accéder aux études de pharmacie par le Pass est difficile. Outre le numerus apertus, les étudiants doivent obtenir au minimum 10 de moyenne, mais s’ils ne sont pas bien classés, ils ont un oral d’admission à passer. Or, les modalités des oraux sont différentes selon les facultés. Ceux-ci peuvent ainsi porter sur les connaissances en culture générale et non en santé », déplore Maxime Delannoy. Le président de l’Anepf dénonce aussi le volume des cours en Pass auquel s’ajoutent les cours de la « mineure », qui correspond en fait à une licence classique. Une sélection qui ne concerne pas forcément les étudiants des LAS. « Nous nous sommes rendu compte que certaines LAS sont beaucoup moins sélectives que le Pass. Nous voyons ainsi arriver des étudiants de LAS2, voire de LAS3 car, en licence, il suffit d’avoir la moyenne pour passer dans l’année supérieure », souligne Gaël Grimandi.
Appel d’air extérieur
Tous les deux constatent également un appel d’air dû à une augmentation du nombre de places en médecine dans certaines facultés. De fait, une partie des étudiants a choisi médecine et délaissé les études en pharmacie.
Car il faut bien l’avouer : la profession de pharmacien ne fait pas forcément rêver. « La pharmacie n’a pas une forte attractivité. Les étudiants ne connaissent pas tous les métiers que peuvent exercer les pharmaciens », observe Maxime Delannoy. Et ce malgré la campagne d’information de l’Ordre visant à faire découvrir les métiers aux jeunes, lancée en 2020 et reprise en 2021. La filière, organisée autour du Pass et de la LAS, souffre aussi d’un manque de mise en avant sur Parcoursup. « Le dispositif n’est pas lisible, constate Gaël Grimandi, président de la Conférence des doyens des facultés de pharmacie de France. Un lycéen fonctionne avec des mots-clés : “médecin”, “dentiste”, “ingénieur”… Il ne connaît pas le métier de pharmacien. Les jeunes ne vont pratiquement jamais dans une pharmacie. Ils ont une image de “vendeur de boîtes” et ce n’est pas très sexy ! Ils ne connaissent pas la diversité des métiers de l’officine malgré nos journées portes ouvertes et l’information donnée par l’Anepf dans les lycées. » La communication sur les métiers à l’université en général fait aussi défaut. « Des modules de présentation des métiers sont obligatoires durant la première année. Cependant, ceux-ci sont bien trop mal exploités au vu des nombreuses voies professionnelles se présentant aux étudiants restant encore trop méconnues », remarque la profession dans son communiqué du 21 septembre.
Réagir rapidement
Face à ce constat, l’Anepf, l’Ordre et les syndicats attendent des ministères de tutelle « des réactions quant à la communication autour de la filière, des dérogations pour l’année à venir, et une adaptation concrète de la réforme au sein des facultés ». L’Académie nationale de pharmacie demande aussi aux ministères concernés de réagir rapidement « pour ne pas avoir simplement à constater dans six ans le marasme du monde pharmaceutique qu’auront provoqué les réformes successives, infructueuses, d’accès en santé ». « Avant la réforme de la Paces et cette nouvelle réforme, les étudiants avaient un accès direct aux études de pharmacie. Nous pouvions nous retrouver avec 500 étudiants pour 100 places ! », abonde Gaël Grimandi. Pour autant, la Conférence des doyens ne veut pas d’une nouvelle transformation profonde. « Il faut quelque chose de simple. La meilleure solution que nous envisageons à ce stade serait d’avoir un parcours fléché “pharmacie” sur Parcoursup et des LAS “pharmacie”, explique Gaël Grimandi. Nous avons alerté le ministre de la Santé et de la Prévention et le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les trois conférences de doyens – médecine, pharmacie, chirurgie dentaire – réfléchissent ensemble à des propositions pour faire face à cette situation. Nous espérons avoir un projet avant Noël pour pouvoir ensuite discuter avec les tutelles. » Mais il paraît difficile de mettre en œuvre des modifications pour la rentrée 2023. « Nous aurons par conséquent encore un millier de places vacantes à la prochaine rentrée. Dans le pire des scénarios, il y aura 5 000 étudiants en pharmacie de moins. C’est la profession tout entière qui est en danger », conclut le président de la Conférence des doyens.
À RETENIR
1 100 places sont vacantes en 2e année de pharmacie en 2022, soit 30 % des effectifs.
La profession, les étudiants et la Conférence des doyens des facultés de pharmacie de France mettent en cause le dispositif d’accès aux études de pharmacie et la faible attractivité de la profession.
La Conférence des doyens envisage de faire des propositions à la fin de l’année pour arrêter l’hémorragie d’étudiants.
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