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Ouf !

Publié le 23 mai 2009
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La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a débouté la Commission européenne, mardi 19, dans les affaires qui l’opposaient aux pharmaciens sarrois et italiens sur la propriété du capital officinal. N’en déplaise à certains, un Etat est fondé à réserver le capital aux pharmaciens ! Les arguments déployés par la Cour sont revigorants.

La Cour conclut que les libertés d’établissement et de circulation des capitaux ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui empêche des personnes n’ayant pas la qualité de pharmaciens de détenir et d’exploiter des pharmacies. » Ouf ! Tous les pays avec un modèle de pharmacie « latin » attendaient cette décision de la CJCE sur les cas sarrois et italien (1). Dont la France, sous la menace d’une procédure. Certes, cela « constitue une restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation de capitaux », note la Cour, mais qui « peut néanmoins être justifiée par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité ».

La CJCE a donc suivi l’avocat général Yves Bot, estimant qu’avec un investisseur extérieur « l’intérêt d’un non-pharmacien à la réalisation de bénéfices ne serait pas modéré d’une manière équivalente à celui des pharmaciens indépendants ». De même, un pharmacien salarié ne pourrait guère s’opposer à l’exploitant, raisonne la Cour. Elle reprend ainsi l’argumentation des représentants officinaux.

Un principe de précaution face aux dangers financiers potentiels

La Cour estime que « l’intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices » est tempéré chez le pharmacien par sa formation, son expérience professionnelle, ses responsabilités, et par le fait « qu’une violation des règles légales ou déontologiques fragilise la valeur de son investissement, mais également sa propre existence professionnelle ». N’y avait-il pas un moyen moins radical que l’exclusion totale des non-pharmaciens du capital pour garantir la même sécurité ? La Cour répond qu’un Etat est tout à fait fondé à ne pas prendre le risque ! Un principe de précaution appliqué à la dangerosité potentielle de purs investisseurs financiers, en quelque sorte.

Mais la Cour enfonce aussi le clou concernant des investisseurs du secteur, à savoir les laboratoires et les grossistes : un Etat peut tout à fait les exclure du capital officinal dans la mesure où ils « pourraient porter atteinte à l’indépendance des pharmaciens salariés en les incitant à promouvoir les médicaments qu’ils produisent ou commercialisent eux-mêmes »… ou à écouler des médicaments « dont le stockage n’est plus rentable ». « Un Etat membre peut considérer que les entreprises de distribution [les grossistes] sont en mesure d’exercer une certaine pression sur les pharmaciens salariés dans le but de privilégier l’intérêt consistant à réaliser des bénéfices », considère la Cour. Quant au système de pharmacies succursalistes allemandes (2), elle estime que, sous certaines conditions (présence et proximité du pharmacien exploitant notamment), il n’est pas incohérent avec la réserve du capital.

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Le maillage et le monopole relèvent aussi des Etats !

Deux principes fondamentaux sont confortés : la subsidiarité des Etats dans l’organisation des services de santé et la règle de proportionnalité (la règle restrictive nationale doit être nécessaire et juste suffisante pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique). Et pour rafraîchir la mémoire de la Commission si celle-ci venait à engager de nouvelles procédures sur le quorum ou le monopole, la CJCE cite la directive 2005/36/CE : « la répartition géographique des officines […] et le monopole de dispense de médicaments devraient continuer de relever de la compétence des Etats membres ». Et rappelle que les effets des médicaments « les distinguent substantiellement des autres marchandises ».

Voilà une évidence qui prend un relief particulier venant de la CJCE ! D’autant que son arrêt fait jurisprudence. On peut donc probablement s’attendre à ce que la Commission européenne abandonne les plaintes similaires qu’elle s’apprêtait à lancer. Elle l’avait d’ailleurs laissé entendre en cas d’échec. Les pharmaciens se souviendront longtemps du mardi 19 mai, jour de la saint Yves. Comme Yves Bot ! Il n’y a plus qu’à espérer que la future Commission sera moins ultralibérale. Mais prudence ! Si les investisseurs potentiels sont groggy, ils avaient annoncé qu’en cas de défaite ils combattraient sur les terrains nationaux.

(1) La Cour avait d’ailleurs admis l’intervention directe dans ce dossier italien de la France, la Grèce, l’Espagne, la Lettonie et l’Autriche. Ce qu’avait fait la France en produisant un mémoire en septembre 2007.

(2) Les officines allemandes peuvent exploiter jusqu’à trois officines succursales.

Audition publique sur le maillage territorial

En sus du jugement sur le capital officinal, se déroulait mardi, à Luxembourg, une audition publique sur le maillage territorial. Audition qui faisait suite à une question préjudicielle du tribunal des Asturies en Espagne : les règles d’établissement démogéographiques sont-elles conformes avec le traité européen ?

Les représentants de sept pays (Espagne, France, Grèce, Italie, Autriche, Belgique et Slovaquie) ont ainsi plaidé de conserve (méthode qui a fait ses preuves dans les cas sarrois et italien !) en faveur de règles encadrant la répartition des officines. Objectif de santé publique poursuivi : éviter l’abandon des zones rurales et urbaines défavorisées. Face à cette conception basée sur un quorum, tel qu’il existe dans l’Hexagone, la Commission européenne défend de son côté un simple seuil minimal à partir duquel l’ouverture d’une pharmacie est possible.

Les conclusions de l’avocat général sont attendues le 10 septembre sur ce dossier.