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Naturopathie : gourou, y es-tu ?
A la suite de signalements d’internautes, les naturopathes, ainsi que tous les professionnels du bien-être, seront prochainement retirés de la plateforme de rendez-vous médicaux Doctolib. Qui sont ces praticiens exerçant cette profession non réglementée ? Que font les Ordres pour lutter contre des pratiques pouvant relever de l’exercice illégal de la pharmacie et de la médecine ?
En août 2021, une femme de 44 ans était retrouvée morte alors qu’elle effectuait un jeûne hydrique à Noyant-de-Touraine (Indre-et-Loire). L’organisateur de la « cure », un naturopathe, vient d’être mis en examen par le parquet de Tours pour homicide involontaire, abus de faiblesse, mise en danger de la vie d’autrui et exercice illégal des professions de médecin et pharmacien. D’autres victimes ayant participé à ces stages auraient été identifiées au cours de l’enquête. Des drames qui alimentent la polémique autour de certaines pratiques alternatives de santé. Une polémique qui a d’ailleurs conduit Doctolib à annoncer la suppression de son annuaire de 5 700 praticiens spécialisés dans le bien-être pour ne répertorier sur sa plateforme que des professionnels référencés par les autorités de santé et détenteurs d’un numéro d’identification RPPS (répertoire partagé des professionnels de santé) ou Adeli (automatisation des listes). En précisant que ces praticiens avaient six mois pour réorganiser la gestion de leur rendez-vous. Ils seront donc retirés de la plateforme à partir du mois de mai. Cette décision a été prise en octobre dernier, à la suite des signalements, de la part d’internautes, de naturopathes se réclamant de Thierry Casasnovas ou d’Irène Grosjean, deux personnalités influentes et controversées du monde de la naturopathie et du crudivorisme. Dans un entretien vidéo, Irène Grosjean invite, par exemple, les parents à accomplir des attouchements sexuels sur leurs enfants pour faire baisser la fièvre…
Du côté du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), on se félicite du choix de Doctolib. « A l’occasion d’un entretien dans nos locaux le 22 septembre dernier, nous avions demandé à Doctolib de ne pas laisser s’installer de confusion entre les professionnels de santé et les personnes ne s’inscrivant pas dans l’exercice médical, rappelle la Dre Claire Siret, présidente de la section santé publique du CNOM. Nous avons été entendus, et on ne peut que s’en féliciter pour la sécurité et la qualité des soins délivrés aux patients. »
Du côté de la Fédération française de naturopathie (Fena), on prend acte. « Doctolib est une entreprise indépendante. Si elle a jugé bon de retirer les naturopathes de sa plateforme, on ne peut que le regretter, souligne Alioune Diaw, son président. D’autant plus que cela fait maintenant plusieurs années que nous nous battons avec les autres instances représentatives, l’Organisation de la médecine naturelle et de l’éducation sanitaire (Omnes), l’Association pour la promotion de l’hygiène vitale et de la naturopathie (APHN), l’Association professionnelle des naturopathes francophones (APNF) et le Syndicat des professionnels de la naturopathie (SPN), pour que la naturopathie soit reconnue comme la médecine traditionnelle occidentale. Et que notre profession soit réglementée et encadrée, comme l’ostéopathie depuis 2007. » Pour le président de la Fena, c’est même cette absence de réglementation qui favorise les dérives. « Aujourd’hui, n’importe qui peut exercer une activité de naturopathe puisqu’il suffit d’être déclaré à l’Urssaf, reconnaît-il. Alors que si nous étions une profession réglementée, nous aurions des écoles agréées par l’Etat, avec des cursus à suivre pour être diplômé et un code de déontologie qui fixerait officiellement les limites de notre exercice. Mais comme au niveau gouvernemental, personne n’a jamais voulu nous entendre, nous avons été contraints de nous organiser nous-mêmes. »
Organisés comme un Ordre
Une trentaine d’établissements composent aujourd’hui le paysage des écoles de naturopathie. Un seul délivre un titre accrédité… par le ministère de l’Agriculture : le Centre de formation professionnelle et de promotion agricole d’Hyères (Var). Celui-ci propose, dans le cadre de la formafotostorm tion continue, un cursus de 12 mois pour obtenir le titre de conseiller naturopathe de niveau bac + 2. Huit autres écoles ont, elles, obtenu l’agrément de la Fena. Elles s’engagent donc à respecter le référentiel commun défini par cette dernière, à savoir assurer a minima 1 200 heures de cours en présentiel, délivrées en 12 ou 15 mois, ou sur trois ans en alternance.
Les enseignements sont structurés en quatre grands blocs. Dans le premier, celui des sciences fondamentales, les étudiants suivent des cours d’anatomie, de physiologie, de compréhension des pathologies… Ils sont également formés aux outils que les naturopathes utilisent au quotidien pour améliorer le bien-être des patients (l’alimentation, la nutrition, la « diététique vitale », etc.) et aux méthodes qui vont leur permettre d’effectuer des « bilans de vitalité ». La dernière partie de l’enseignement est consacrée aux trois techniques naturopathiques majeures (l’alimentation, les exercices physiques et la psychologie) et aux sept techniques complémentaires, dites mineures, comme l’hydrologie, qui consiste à soigner grâce à l’eau sous toutes ses formes (liquide, vapeur, chaude, froide, etc.), ou la phytologie fondée, elle, sur le recours aux plantes et aux huiles essentielles.
« Toutes nos formations abordent la dimension déontologique du métier pour s’assurer que nos étudiants ne dériveront pas, une fois diplômés, vers des pratiques qui s’apparenteraient à un exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, ajoute Alioune Diaw. Le naturopathe n’a en effet pas vocation à intervenir dans tout ce qui touche aux pathologies, à l’urgence, à la prescription ou au traitement médical. Notre rôle se borne à travailler sur la prévention et à l’accompagnement des patients pour les aider à se sentir mieux. » La Fena emploie d’ailleurs un avocat pour aider les naturopathes sortis des huit écoles agréées à rester dans les clous. « Dès que quelque chose nous est signalé, nous rappelons au praticien les limites à ne pas franchir, précise le président de la Fena. Et lorsque la dérive est intolérable, l’Omnes et le SPN peuvent faire passer la personne incriminée devant le conseil de discipline de leur bureau fédéral, avec des sanctions pouvant aller du blâme jusqu’à l’exclusion. »
Faire face aux dérives
Du côté du CNOM, la vigilance reste de mise. « N’étant pas réglementé par le Code de la santé publique, le métier de naturopathe ne peut pas être considéré comme une profession de santé, c’est aussi simple que cela, rappelle Claire Siret. Dès que des patients nous font part de comportements relevant de l’exercice illégal de la médecine, nous effectuons systématiquement un signalement au procureur de la République. Ce qui se produit d’ailleurs de plus en plus souvent en ce moment. En effet, il ne se passe pas une semaine sans que nous ne soyons alertés sur des dérives. Celles-ci ne se limitent d’ailleurs pas à la naturopathie puisque nous avons aussi affaire à beaucoup de cas de personnes s’autoproclamant hypnothérapeutes ou acupuncteurs sans être médecins. » En 2022, le CNOM a déposé plus de 120 signalements. En 2021, il n’y en avait eu que 20… De par ses missions, l’Ordre des pharmaciens est lui aussi habilité par la loi à agir en justice afin de défendre la santé publique et l’intérêt collectif de la profession de pharmacien. Il recueille les signalements effectués par les conseils centraux de l’Ordre, les pharmaciens ou encore les particuliers. Il peut, en outre, être amené à déposer plainte au pénal quand il est informé de faits caractérisant un exercice illégal de la profession et portant atteinte à la santé publique, ou à se constituer partie civile lorsqu’il a connaissance d’une affaire pénale lancée par un tiers. Récemment, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) s’est constitué partie civile dans le cadre d’une affaire mettant en cause un « centre de naturopathie » qui proposait à la vente, notamment sur Internet, des produits répondant à la définition du médicament.
Par délibéré rendu le 5 juillet 2022, les prévenus ont été condamnés du chef d’exercice illégal de la pharmacie.
Des pratiques issues de la tradition
D’après la Fena, la naturopathie est « un ensemble de pratiques issues de la tradition occidentale, visant à préserver et optimiser la santé globale de l’individu ainsi qu’à aider l’organisme à guérir de lui-même par des moyens naturels. » De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui classe la naturopathie parmi les médecines traditionnelles, la définit comme « un ensemble de méthodes de soins visant à renforcer les défenses de l’organisme par des moyens considérés comme naturels et biologiques. » Le ministère de la Santé rappelle toutefois que la naturopathie fait partie des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) et que, « dans la très grande majorité des cas, les PSNC n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité, ainsi que leur non-dangerosité », en ajoutant que « les effets indésirables des PSNC sont mal, voire non connus, car il n’y a pas eu d’évaluation rigoureuse préalable à leur emploi, et peu ou pas de données publiées. De plus, les professionnels qui utilisent ces PSNC ne déclarent pas ces effets indésirables. »
À RETENIR
Les naturopathes ne sont pas des professionnels de santé, leur profession n’est ni réglementée ni encadrée. Un statut que regrette la Fédération française de naturopathie en raison des possibles dérives. La naturopathie fait partie des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC) qui, dans la très grande majorité des cas, n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leur efficacité ainsi que leur non-dangerosité.
Des naturopathes ont été condamnés pour exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie.
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