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« Monopole ne signifie pas immobilisme »

Publié le 17 janvier 2004
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Il est à la pointe de tous les débats parlementaires liés à la santé. Député UMP et président du groupe Médicament et produits de santé à l’Assemblée, Yves Bur se veut à la fois rassurant et trublion vis-à-vis des professionnels de santé, dont les officinaux.

« Le Moniteur » : Jacques Chirac vient d’annoncer son souhait de voir le déficit de l’assurance maladie stabilisé d’ici 2007. Est-ce réaliste ?

Yves Bur : La réforme à engager devra être audacieuse pour dépasser un cadre conjoncturel. Cela sera difficile car nous savons que, pour les Français, l’assurance maladie est l’expression la plus aboutie de la solidarité. Les professionnels, eux, savent qu’elle est aussi une garantie de ressources pour eux. Chaque acteur devra assurer sa part d’efforts. Il existe un catalogue de mesures à visée strictement financière comme le forfait sur le médicament et bien d’autres encore, qui permettrait, si on l’appliquait brutalement, d’économiser 10 milliards d’euros par an. Mais il ne permettrait pas de s’attaquer aux causes structurelles et notamment à la « malgouvernance » du système. Concernant les pharmaciens, si leur monopole de distribution n’est pas remis en cause, ils devront cependant évoluer pour développer leur rôle d’acteur de santé publique. En obtenant le droit de substitution, les officinaux ont montré qu’ils pouvaient élargir leurs compétences.

Priorité donc à la gouvernance ?

Il faudra définir quel est le niveau de délégation laissé par l’Etat dont le rôle est avant tout de garantir l’accès aux soins pour tous, la qualité des soins et les priorités de santé publique. Le politique devra définir ce qui relève d’une couverture collective et l’assurance maladie discutera avec les professionnels les conditions de rémunération.

Est-ce à dire que, pour les officinaux, le seul interlocuteur devrait selon vous être la CNAM, y compris sur des problèmes de rémunération ?

Cela me paraît évident. Le ministère de la Santé doit couper le cordon ombilical avec l’assurance maladie qui doit être pilotée de manière autonome et avec plus de pouvoir. Concernant les pharmaciens, je souhaite qu’il y ait, comme pour l’ensemble des professions conventionnées, de vrais contrats qui soient signés. Dans la transparence, sans intervention intempestive de l’Etat, mais dont les objectifs devront être atteints et les clauses appliquées intégralement par tous les signataires.

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C’est-à-dire avec d’éventuelles sanctions ?

Le principe serait une convention cadre par profession de santé, mais avec signature individuelle intégrant des objectifs de santé publique et de maîtrise médicalisée. Une grande partie de l’évolution de la rémunération serait donc liée à la réalisation des objectifs et ne serait donc plus acquis préalablement. Ainsi, pour les officines, à côté de la marge commerciale, il pourrait y avoir des objectifs de substitution voire des objectifs de santé publique qui pourraient compléter la rémunération.

Vous imagineriez des honoraires spécifiques, par exemple dans le cadre de l’éducation sanitaire ?

Tout cela doit être débattu. Nous n’avons pas une vision très claire de ce que souhaitent les pharmaciens, mais nous sommes très ouverts.

Les officinaux s’inquiètent actuellement concernant la pérennisation du réseau…

La distribution du médicament ne peut se faire que dans un circuit de proximité. Je ne vois donc pas où cela pourrait être fait ailleurs qu’en officine, si ce n’est en GMS, ce qui ne paraît pas acceptable. Concernant le monopole, les officinaux peuvent être rassurés. Il n’est pas discuté. Quant à la réduction des points de vente, il faut arrêter de regarder la distribution à travers la lorgnette parisienne. Il faudra peut-être se demander un jour, au contraire, comment faire en sorte que certaines officines reculées de province trouvent preneur. Le pharmacien est un agent de santé publique dont on pourrait mieux utiliser les compétences, mais cela suppose aussi que l’on bouscule les frontières des compétences des uns et des autres. Et je crois que ce qui va nous y conduire, ce sont les problèmes de démographie médicale.

Est-ce à dire que l’on pourrait imaginer de donner plus de responsabilités au pharmacien en matière de renouvellement des traitements ?

Personnellement, je peux très bien imaginer pour le pharmacien un rôle accru qui ira dans le sens d’une maîtrise des dépenses. Pour les renouvellements d’ordonnance, quand une affection est stabilisée, rien ne devrait s’opposer à un renouvellement par le pharmacien, lui-même mieux formé pour assumer cette nouvelle responsabilité. Aujourd’hui, tout est possible, il faut sortir de certaines attitudes qui sont avancées au nom de l’intérêt du malade mais qui relèvent avant tout d’intérêts corporatistes.

Et concernant une forme de « prescription pharmaceutique », pour le rhume par exemple ?

Si l’on parle de ce que certains appellent le « petit risque », cela rejoint la question de l’automédication. Mais son succès suppose une évolution des mentalités et des réflexes. Cela suppose aussi une réorganisation des officines en donnant par exemple la possibilité d’accès à des médicaments devant le comptoir en « libre-service ». Certains responsables officinaux pensent que ce serait le premier pas vers la sortie du monopole. Je ne le crois pas car je reste persuadé de la nécessité du rôle du pharmacien dont le contrôle, ou plutôt le conseil, pourra toujours s’exercer au moment du paiement. Reste que la réussite de l’automédication passera surtout par la mise à disposition de produits plus efficaces que les médicaments à l’efficacité incertaine qui sont dispensés aujourd’hui.

Et la vente de médicaments par Internet, qui vient d’être autorisée en Allemagne ?

Aujourd’hui, personne ne peut imaginer ce que cela peut devenir. En revanche, tout le monde peut en imaginer les dangers si l’approvisionnement n’est pas contrôlé. Par contre, les pharmaciens doivent regarder ce qui se fait ailleurs et notamment en Allemagne où la profession a créé un portail pharmaceutique. Cela peut avoir le mérite d’induire plus de concurrence et réduire les rentes de situation. A ce sujet, pour stimuler la concurrence on pourrait imaginer que l’Etat ne fixe qu’un prix plafond et qu’à l’intérieur du monopole il y ait davantage de compétition entre officines.

On peut parler de rente de situation pour la pharmacie en France ?

Dès qu’il y a monopole d’exercice, il y a forcément rente de situation. A cet égard, je soulignerais que ceux qui font évoluer une profession sont souvent les plus dynamiques, pas les plus conformistes. Il faut une réflexion autour de l’officine de demain qui ne soit pas frileuse mais offensive. Le pire qui pourrait arriver à la profession serait de privilégier le confort peut-être illusoire d’une situation connue, plutôt que l’exploration de nouveaux horizons. Monopole ne signifie pas immobilisme. C’est juste un cadre sécurisé dans un monde qui bouge.

Quelle est votre position sur les enseignes de pharmacie ?

La question est de savoir si ce type d’organisation apportera quelque chose en termes de santé publique et d’optimisation des dépenses. Mais ce n’est pas aux pouvoirs publics de se mêler de l’organisation du réseau en lui-même. En tout état de cause, les officines ne doivent pas tomber aux mains de financiers !

On vous a vu intervenir à l’Assemblée à propos du TFR. Quel premier bilan en tirez-vous ?

Les premiers chiffres montrent qu’il n’y a pas eu effondrement des génériques comme certains le craignaient. Le TFR restera un outil parmi d’autres à utiliser en fonction des situations. Personnellement, je pense que le générique n’est pas arrivé à son prix plancher si l’on considère d’autres marchés dans le monde. Et même si le médicament est moins cher en France qu’ailleurs, il n’y a pas de raisons que le prix des génériques ne baissent pas davantage sous l’effet de la concurrence.

Concernant les remises importantes sur les génériques, le marché ne se serait jamais développé sans cela…

Oui mais le marché n’est pas encore adulte. A terme il devra devenir comme les autres marchés du générique mondiaux. Quand on entre dans un marché mature, il n’y a aucune raison de conserver des dispositifs qui le sont moins… Nous savons qu’il y a des marges arrière. Il ne paraît pas anormal que celles qui dépassent les marges de droit public reviennent en tout ou partie (cela relève de la négociation) à l’assurance maladie. On ne peut pas à la fois bénéficier du confort du monopole et des avantages du libre marché, sauf conditions particulières qui existent à un moment donné.

A cet égard, le TFR est-il un moyen technique de récupérer une partie de ces marges arrière ?

Tôt ou tard, oui, par la baisse des prix. Je dis aux pharmaciens que le moment viendra où l’assurance maladie devra récupérer les marges arrière.

Le deuxième volet de la politique du médicament actuelle, ce sont les déremboursements. Ne va-t-on pas trop loin ?

Si l’on écoutait les Français et les laboratoires nationaux, on ne changerait jamais rien. Sur les déremboursements, il y a encore un petit enjeu à court terme qui est strictement hexagonal car nous avons conservé des rentes de situation pour un certain nombre de laboratoires, essentiellement français. Il vaut mieux miser sur l’innovation. Il faut que les Français comprennent que tous les médicaments n’ont pas vocation à être remboursés indéfiniment. Pour l’homéopathie, il a été décidé une baisse. Sachant que le déremboursement a aussi été une possibilité évoquée.

La prochaine étape touchera les veinotoniques et les vasodilatateurs. Mais il faudra voir dans quelles conditions se feront ces déremboursements : il me paraît souhaitable d’autoriser corrélativement la publicité pour ces médicaments et de dérembourser l’ensemble d’une classe thérapeutique pour éviter les reports de prescriptions sur des médicaments souvent plus chers. Nous savons que les prix des médicaments vont augmenter, il faut donc les utiliser de la manière la plus rationnelle et efficace possible. Il faudra que nous puissions bien rémunérer les vraies innovations au moment où elles s’adresseront à des groupes de malades de plus en plus ciblés. Le coût du médicament sera plus élevé car la recherche devra s’amortir sur un nombre de malade plus restreint. Face à l’explosion des coûts, il faudra aussi que peu à peu les Français s’habituent à avoir recours à un certain nombre de médicament qui ne seront plus pris en charge, mais relèveront davantage d’une approche de confort.