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Menaces nucléaires, biologiques et chimiques : la France est-elle prête ?
Le conflit en Ukraine ravive de grandes craintes vis-à-vis des armes de destruction massive. En France, en cas d’attaque ou d’accident nucléaire par exemple, des dispositifs de prise en charge des victimes sont déjà établis. Avec un rôle à jouer pour les officinaux.
Les conséquences en cas d’attaque ou d’incident nucléaires sont bien connues depuis les catastrophes de Three Mile Island (Etats-Unis) en 1979, Tchernobyl (Ukraine) en 1986 et Fukushima (Japon) en 2011. Le principal risque étant le rejet de substances radioactives dans la nature environnante et dans l’atmosphère. « Avec un nuage qui ne stagnera pas au-dessus de la centrale, celui de Tchernobyl étant allé jusqu’en Islande, en France et en Corse », rappelle Jean-Claude Delalonde, président de l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli), dont la mission est d’informer la population sur les activités nucléaires et d’assurer un suivi permanent de l’impact des installations. Les dégâts provoqués par les radiations sont eux aussi bien documentés. Les principaux symptômes relevés sont : fatigue, hémorragie, nausées, vomissements, diarrhées, etc. « A plus long terme, on sait aussi que les radiations endommagent l’ADN et favorisent le développement de nombreux cancers. Et chez les femmes enceintes, une faible exposition aux radiations peut entraîner des malformations de croissance sur le fœtus », ajoute le président de l’Anccli.
Les protocoles de décontamination externe et interne sont eux aussi parfaitement identifiés. Idem pour les traitements à administrer. En plus des comprimés d’iode fabriqués par la Pharmacie centrale des armées et distribués par les pharmacies d’officine, sur consignes du préfet de département, pour empêcher l’iode radioactif de se fixer sur la glande thyroïde, le bleu de Prusse est prescrit pour éliminer le césium (Cs) et le thallium (TI) à l’intérieur de l’organisme. Des antidotes sont également appelés en renfort. Le diéthylène-triamine-penta-acétate de calcium trisodique (Ca-DTPA) est, par exemple, administré en perfusion pour sa capacité à se lier aux métaux comme le plutonium. L’acide dimercaptosuccinique (DMSA) ou la British Anti-Lewisite (BAL) sont, eux, utilisés pour atténuer les effets de l’exposition au plomb pour le premier, au polonium ou à l’antimoine pour le second.
Exercices comprimés
La France a mis en place un plan gouvernemental d’intervention pour faire face aux menaces et actes de terrorisme de type nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). Plan qui implique principalement les ministères de la Défense, de l’Intérieur et de la Santé. En cas d’incident ou d’attaque nucléaire, c’est le volet Piratome du plan NRBC qui est activé. En parallèle, le plan Orsan NRC détermine, lui, les parcours de soins des victimes et les modalités de coordination entre les différents acteurs de santé. Lorsqu’on lui demande si la France est prête à faire face à ce type de risque, Jean-Claude Delalonde répond sans détour. « Je n’en sais absolument rien. D’abord parce que les exercices de crise, organisés tous les trois à cinq ans, ne sont pas assez ambitieux. Ils ne mettent pas en scène les populations et les acteurs locaux pourtant directement concernés en cas de crise réelle. Ensuite parce que les campagnes successives de distribution des comprimés d’iode par les pharmaciens, la dernière ayant eu lieu en 2019, sont loin de produire les résultats escomptés. Sur le périmètre 10-20 km autour d’une centrale nucléaire, 25 % seulement des habitants les auraient actuellement en leur possession. Et sur le périmètre 0-10 km, la dernière campagne date de 2016… Or, on a bien vu avec la crise en Ukraine que s’il avait fallu en distribuer d’urgence aux populations, cela aurait été la panique car il n’y en avait pas dans toutes les pharmacies. »
Pour corriger le tir, l’Anccli formule des propositions. « Il faudrait placer le pilotage de la distribution d’iode sous la responsabilité des maires. Et que ces derniers travaillent en collaboration étroite avec les pharmaciens pour imaginer un dispositif plus efficace, suggère Jean-Claude Delalonde. Lors de la campagne de distribution de 2000, j’ai obtenu, pour la commune que j’administrais à proximité de la centrale de Gravelines (Nord), l’autorisation de faire distribuer les comprimés en porte-à-porte par des étudiants en médecine, en pharmacie, des aides-soignants… Résultat, l’adhésion des habitants a été de 94 %. » Pour le président de l’Anccli, il faudrait aussi renforcer la sensibilisation et l’information des populations. « Sur ce point, nous ne pouvons que nous féliciter de voir que Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, a décidé d’organiser le 13 octobre prochain la première journée annuelle de la résilience afin de sensibiliser la population aux différents risques et à la conduite à adopter. A l’Anccli, cela fait 30 ans que l’on demande la tenue d’un tel événement. »
Le spectre de la menace biologique…
« Dans le domaine biologique, nous sommes confrontés à un continuum de risques et menaces liés aux activités humaines, qui va de l’accident involontaire en laboratoire jusqu’à l’utilisation intentionnelle d’armes biologiques, en passant par le détournement à des fins malveillantes des résultats de programmes pacifiques », précise Elisande Nexon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialisée dans la prévention et la lutte contre les menaces chimiques et biologiques.
Les agents biologiques potentiellement dangereux les plus souvent cités sont le charbon (anthrax), la peste, la tularémie, la brucellose, la variole, la toxine botulique, les agents des fièvres hémorragiques, etc. La virulence de la menace dépendrait notamment de l’agent utilisé et du modus operandi. « Même si l’on ne peut pas écarter la possibilité d’un scénario de grande ampleur, il semble plus probable qu’une attaque biologique terroriste provoquerait un nombre relativement limité de victimes, estime Elisande Nexon. L’affaire de bioterrorisme qui a touché les Etats-Unis en 2001 – l’envoi de courriers contaminés au bacille du charbon sous forme de spores – n’a été à l’origine “que” d’une vingtaine de cas de charbon inhalé ou cutané entraînant cinq décès. »
En cas de menace biologique, c’est le volet Biotox du plan Pirate NRBC qui serait activé. Des dispositifs de triage seraient mis en place par les services d’aide médicale d’urgence (Samu) et les pompiers pour prendre en charge les victimes contaminées, des chaînes de décontamination pouvant être déployées dans un laps de temps assez court dans les hôpitaux référents. Le recours aux médicaments interviendrait dans un second temps. En traitement prophylactique postexposition ou en traitement des personnes symptomatiques, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande l’administration de ciprofloxacine, d’ofloxacine, de lévofloxacine ou de doxycycline en première intention chez les adultes pour le charbon, la peste ou la tularémie. Pour la variole, elle affirme que la France disposerait de stocks suffisants pour vacciner l’ensemble de la population, une vaccination dans les quatre jours suivant l’exposition permettant d’atténuer la sévérité ou de prévenir la maladie.
… et du risque chimique
Pour le risque chimique, l’hypothèse la plus probable reste celle d’un événement accidentel lors du transport de matières dangereuses ou d’une explosion sur un site Seveso, comme ce fut le cas à Toulouse (Haute-Garonne) en 2001 avec AZF. « Mais il faut aussi prendre en compte la menace d’attaque chimique terroriste comme dans le métro de Tokyo en 1995 avec le gaz sarin, ainsi que la possibilité d’attentat ciblé ou l’emploi d’agents chimiques dans le cadre d’un conflit armé. La Russie est par exemple soupçonnée d’avoir tenté d’assassiner avec du Novichok un ex-agent double russe au Royaume-Uni en 2018, et d’avoir été associée à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie », rappelle Elisande Nexon.
Les armes chimiques sont classées en deux grandes catégories : les agents toxiques, qui peuvent avoir des effets mortels, et les incapacitants. Parmi les toxiques, les agents vésicants comme l’ypérite, la Lewisite ou l’oxime de phosgène attaquent la peau, quand les agents neurotoxiques ou innervants tels que le gaz sarin, le tabun ou le VX tétanisent, eux, les muscles, y compris les poumons, pour entraîner une mort par asphyxie. Les agents pulmonaires, notamment le chlore, le phosgène et le disphogène, affectent, de leur côté, les voies respiratoires alors que les asphyxiants systémiques comme les composés cyanurés ou le sulfure d’hydrogène bloquent la respiration cellulaire.
Lors d’une attaque aux agents vésicants, les victimes doivent d’abord être décontaminées. Les lésions de la peau sont traitées comme des brûlures thermiques et il faut éventuellement prévoir une assistance respiratoire en cas de besoin. Deux traitements, l’atropine et la pralidoxime, sont administrés après une exposition à un agent neurotoxique. Des soins de support, une intubation, des bronchodilatateurs précoces, l’oxygène et la ventilation à pression positive peuvent être mis en place pour les agents pulmonaires. L’assistance respiratoire et l’oxygène à 100 % sont prescrits pour les asphyxiants systémiques. Pour le cyanure, l’inhalation d’antidotes spécifiques est nécessaire.
Chaîne de décontamination
Lorsqu’on lui demande si la France est prête à affronter une attaque biologique ou chimique en termes de réponse de santé publique, Elisande Nexon se montre plutôt rassurante. « Les plans Orsan BIO et NRC définissent de manière très précise les parcours de soins des patients et les modalités de coordination entre les différents acteurs de santé, précise la maître de recherche. Il y a dans les Samu et les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) des personnels formés à ce type de prise en charge. Idem dans les hôpitaux désignés référents contre le risque chimique et biologique. Ils disposent de chaînes de décontamination et d’équipes qui s’entraînent régulièrement à ce genre d’intervention. De plus, les primo-intervenants sont dotés de lots standardisés permettant la prise en charge médicale urgente des victimes et la décontamination. »
En cas d’attaque biologique ou chimique, les pharmaciens d’officine sont susceptibles d’avoir un rôle important à jouer. « Ils pourraient d’une part voir des patients arriver au comptoir avec des symptômes inhabituels, ou pensant avoir été exposés en cas d’incident, et, d’autre part, devoir répondre aux interrogations suscitées par un contexte anxiogène de menace, note Elisande Nexon. Il est donc important que les pharmaciens suivent les alertes de santé publique diffusées par la Direction générale de la santé, qu’ils connaissent l’existence des dispositifs nationaux de réponse pour être des relais d’information, et qu’ils se forment pour pouvoir, en cas de besoin, être en mesure d’identifier une situation justifiant d’alerter les autorités sanitaires. »
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