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Médicaments orphelins : le grand prix des formules
Fluidifier la négociation des conditions de prix des médicaments orphelins et encourager l’innovation. Tel est le double objectif de l’avenant à l’accord-cadre 2021-2024 signé par le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le Leem (Les entreprises du médicament). Mais la question du coût exorbitant de certains traitements reste posée…
Un médicament est considéré comme orphelin lorsqu’il vise l’une des 5 000 à 7 000 maladies rares sévères ou fortement handicapantes, affectant moins de 1 malade sur 2 000. 3 millions de personnes seraient concernées en France. Une petite cible pour les laboratoires.
C’est pourquoi un avenant à l’accord-cadre 2021-2024 a été signé en avril par le Comité économique des produits de santé (CESP) et le Leem (Les Entreprises du médicament). Afin de fluidifier la négociation des conditions de prix des médicaments orphelins et encourager l’innovation, le texte instaure de nouvelles règles : assouplissement du forfait budgétaire, fin du recours aux médicaments comparateurs hors brevets et hors autorisation de mise sur le marché (AMM), révision facilitée des conditions de prix lorsque le nombre de patients traités est susceptible d’évoluer de manière significative… « Dans ce cas, les négociateurs peuvent prévoir une clause de revoyure au forfait budgétaire pour la révision », précise Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du Leem.
Ce qui est rare est cher
Un pas de plus pour susciter l’intérêt des laboratoires. Depuis la mise en place du règlement CE n° 141/2000, les médicaments orphelins bénéficiaient déjà d’un statut spécifique, d’un mécanisme de fixation des prix incitatif, d’une voie d’accès au marché privilégiée et d’une exclusivité commerciale de dix ans. « A l’époque, ces mesures étaient justifiées car les industriels se désintéressaient de ces traitements s’adressant à des populations cibles extrêmement limitées, ce qui rendait du même coup impossible tout espoir de rentabilité, rappelle Gilles Bouvenot, professeur émérite de thérapeutique à Marseille (Bouches-du-Rhône), qui a présidé entre 2003 et 2014 la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS). Le problème, c’est que les médicaments orphelins ont eux aussi profité de la spirale inflationniste des prix et du phénomène de cliquet, qui autorise un laboratoire à revendiquer un prix plus élevé que le comparateur dès lors qu’il est en mesure de prouver que son traitement apporte un progrès même incrémental avec au moins une ASMR1 4. Résultat, certaines thérapies géniques arrivent sur le marché à des prix astronomiques. »
Pour justifier ces prix, les laboratoires mettent en avant des problématiques de recherche spécifiques. « 80 % des maladies rares ont une composante génétique, mais, souvent, on ne connaît pas la pathophysiologie, rappelle François Houÿez, directeur de l’information et de l’accès aux traitements chez Eurordis, une association de patients européens. Dans la plupart de ces pathologies, il n’y a également pas assez d’effectifs pour effectuer des essais cliniques randomisés de taille significative. Or, des essais sans bras contrôle, et qui ne durent parfois qu’un ou deux ans, donnent finalement des résultats souvent peu concluants. » « Et comme il est impossible, en général, de s’appuyer sur une comparaison en l’absence de traitement existant et compliqué d’évaluer la population cible, la part d’incertitude inhérente aux médicaments orphelins ne cadre pas toujours avec la doctrine d’évaluation appliquée par la HAS, ajoute Eric Baseilhac, du Leem. Cette difficulté explique d’ailleurs probablement pourquoi près de 30 % des médicaments orphelins existants sont aujourd’hui classés en ASMR 5. »
Pour Gilles Bouvenot, ces arguments ne sont pas toujours recevables. « La recherche sur les médicaments orphelins ne me semble pas plus complexe que dans le diabète ou l’hypertension artérielle qui sont des pathologies multifactorielles, estime le professeur. Lorsque vous travaillez sur une maladie avec une mutation chromosomique, la cible est souvent parfaitement identifiée, et la recherche orientée sur le meilleur moyen de corriger cette anomalie. » Gilles Bouvenot réfute également l’argument de la difficulté à mettre en place des essais cliniques. « Il existe de par le monde et en France des centres de références et des centres de compétences disposant de registres des patients. Ce n’est donc pas si difficile que cela de les trouver, assure-t-il. Que l’on ne vienne pas me dire non plus que constituer des effectifs réduits pour des essais à la durée en général limitée met en péril les finances des industriels. »
Selon le professeur, la mise de fonds pour mettre au point ces médicaments ne justifie donc pas les prix demandés par les laboratoires. « Ils ne sont plus calculés sur la base des investissements consentis et du retour sur investissement attendu mais en fonction de ce que les pays riches peuvent payer, regrette Gilles Bouvenot. Et comme les conditions d’évaluation sont en général clémentes, alors que les performances de ces médicaments sont souvent minimes, pour ne pas dire médiocres, on comprend mieux pourquoi les laboratoires se lancent sur ce marché de niche très lucratif. »
La stratégie Netflix
Pour autant, le débat sur le prix des médicaments orphelins, en particulier celui des thérapies géniques, est loin d’être tranché. « Le sujet se révèle en réalité éminemment éthique et moral car la question qui est posée est celui du prix de la vie, interroge Jean-Philippe Plançon, vice-président de l’Alliance maladies rares qui fédère 240 associations de patients. Au-delà, c’est toute la collectivité qui doit s’interroger face au coût faramineux de certains traitements, alors que nous n’avons aucun recul, notamment face aux potentielles maladies secondaires induites. »
La solution passera par plus de transparence, d’après Gilles Bouvenot. « Pour retrouver des niveaux de prix plus raisonnables, il faudrait que les laboratoires acceptent des règles du jeu plus transparentes concernant la réalité de leurs investissements. Par ailleurs, personne ne connaît le montant des forfaits négociés avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), ni la différence entre le prix facial et le prix réel. Je ne les vois donc pas abandonner un système qui est d’une opacité incroyable, et qui favorise l’inflation sur les prix. »
François Houÿez pense que la France pourrait s’inspirer des nouvelles approches qui peu à peu voient le jour dans d’autres pays. « Le CEPS commence, par exemple, à s’intéresser à la méthode anglaise du cost per Qaly2, qui consiste à évaluer le médicament par rapport au coût par année de vie gagnée, avec une bonne qualité de vie conservée. Mais elle est assez controversée, note-t-il. Les Pays-Bas ont, eux, ajouté au cost per Qaly une autre approche qui consiste à calculer le prix d’équilibre au-dessous duquel l’investisseur perd de l’argent et au-dessus duquel il commence à en gagner. Cela afin d’estimer une marge de négociation du prix. Nous pourrions enfin nous inspirer de la méthode Netflix, comme l’Australie l’a fait avec Gilead pour le médicament Sovaldi contre l’hépatite C. Sachant qu’un traitement concurrent allait arriver sur le marché cinq ans plus tard, Gilead a négocié avec l’Etat australien un prix payé cash. En contrepartie, la firme s’engageait à fournir autant de comprimés que le gouvernement lui demanderait pendant cinq ans. Par conséquent, l’Australie pourrait être le premier pays au monde à éradiquer l’hépatite C, tout en ayant obtenu un prix bien inférieur à celui que nous avons négocié en France. »
1 Amélioration du service médical rendu.
2 Quality-adjusted life year.
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