Médecins : leur rémunération au cœur des négociations conventionnelles

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Médecins : leur rémunération au cœur des négociations conventionnelles

Publié le 19 octobre 2023
Par Yves Rivoal
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Si l’intersyndicale des médecins libéraux a suspendu le 17 octobre le mouvement de grève qui avait débuté le 13, la mobilisation reste intacte à la veille du démarrage de nouvelles négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie. Les conditions d’attractivité et la rémunération font partie des points de vigilance. Qu’en pensent les économistes ?

Lors du prochain round de négociations conventionnelles, les syndicats de médecins généralistes arriveront devant l’Assurance maladie avec des revendications en ordre dispersé. « Chez MG France, nous sommes persuadés que la seule rémunération à l’acte n’est pas structurante pour notre système de soins, explique la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Nous souhaiterions donc que les rémunérations au forfait, qui représentent aujourd’hui 16 % des revenus des médecins généralistes, passent à 30 %. Pour ce faire, nous demandons la consultation de base à 30 €, afin de compenser l’inflation, et la création d’une nomenclature spéciale pour les médecins traitants qui accompagnent des patients complexes dans la durée. L’objectif est de revaloriser leur rôle dans un contexte où, sur les 87 000 généralistes en activité en France, seuls 47 000 ont fait le choix d’être médecins traitants. Un tarif de 60 € pourrait ainsi s’appliquer aux trois ou quatre consultations longues que réalisent chaque année les médecins auprès des patients de plus de 80 ans ou en affection de longue durée (ALD). »

Un tarif à 50 €

La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) milite elle aussi pour une tarification de base à 30 €, et à 60 € pour la prise en charge des patients les plus complexes. « Nous demandons aussi la suppression de toutes les majorations et lettres clés qui ont rendu la lecture de la rémunération des médecins généralistes illisible, et l’abrogation des mesures coercitives de la loi Valletoux imposées aux médecins libéraux », précise le Dr Franck Devulder, son président. La proposition de loi du député Frédéric Valletoux prévoit notamment une participation de l’ensemble des médecins à la permanence des soins, tant en établissements de santé (PDSES) qu’en ambulatoire (PDSA). Adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, elle doit être débattue au Sénat en novembre.

Même s’il ne participera pas aux négociations, le collectif Médecins pour demain, qui fédère les mécontentements sur les réseaux sociaux, continue de réclamer la consultation de base à 50 € et de marquer son opposition à la forfaitisation. « Cette augmentation serait en partie financée par la suppression du forfait structure et de la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp), deux dispositifs qui se révèlent particulièrement opaques, note la Dre Mélanie Rica-Henry, présidente de Médecins pour demain. Avec cet argent en plus, nous pourrions investir dans nos cabinets en achetant des appareils pour réaliser des électrocardiogrammes ou des échographies et recruter des secrétaires médicales afin de pouvoir prendre en charge plus de patients. »  Pour justifier l’augmentation du tarif de la consultation, les syndicats et collectifs de médecins mettent en avant d’autres arguments. « Avec une consultation rémunérée à 36 € d’après la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) si l’on y intègre les différents forfaits et la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp), la France figure parmi les pays qui paient le plus mal à l’acte ses médecins généralistes en Europe où le tarif moyen tourne autour de 50 €. En sachant qu’il reste environ 11 € avant impôts par consultation à un médecin généraliste français », ajoute la Dre Mélanie Rica-Henry. Une augmentation significative du tarif de la consultation aurait aussi pour vertu, selon eux, de provoquer un choc d’attractivité. Les chiffres de la démographie médicale du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) montrent que la France a perdu depuis 2012 plus de 10 000 médecins généralistes, soit une diminution de 11 % des effectifs qui sont passés de 94 261 à 84 133. Dans le même temps, les autres spécialités ont, elles, progressé de 105 764 à 113 378, soit une augmentation de 6,6 %. « Si l’on veut donc redonner envie aux jeunes médecins de choisir notre métier, il va falloir réduire les inégalités de rémunération qui se creusent avec la médecine spécialisée », estime la Dre Agnès Giannotti.

Des médecins pas si mal payés

Les justifications avancées par les syndicats de médecins sont-elles aussi recevables qu’ils veulent bien le laisser croire ? « Lorsque les médecins affirment qu’ils sont mal payés, il faut savoir que leur niveau de rémunération de 91 670 €, évalué par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en 2017, les plaçait parmi les 2 % de la population les mieux rémunérés en France, les spécialistes, avec 151 910 €, figurant eux dans les 1 %, explique Nicolas Da Silva, économiste spécialisé dans la santé et chercheur au Centre d’économie de l’université Paris 13. Les médecins généralistes peuvent donc se sentir lésés par rapport aux spécialistes, mais ils ne peuvent pas dire qu’ils sont mal payés par rapport au reste de la population. »

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Ils ne seraient pas non plus parmi les plus mal rémunérés en Europe, d’après Gaétan Lafortune, économiste à la division santé de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Les dernières statistiques en notre possession pour la France en 2017 montrent qu’ils affichaient des revenus bruts moyens avant impôts et cotisations sociales, et ajustés au coût de la vie, de 133 000 $ US, confie-t-il. Ils étaient donc moins bien lotis que leurs collègues allemands, suisses, autrichiens ou britanniques, mais un peu mieux qu’aux Pays-Bas ou en Belgique. Les différences étant encore plus marquées dans les pays où les médecins généralistes sont pour la plupart salariés. En Suède, le revenu moyen d’un généraliste salarié était de 105 000 $ US et de 91 000 $ US en Espagne en 2018. » Même constat lorsque l’on compare le revenu moyen des médecins généralistes libéraux au revenu moyen dans chaque pays. « En France, ils gagnaient environ trois fois le salaire moyen, note Gaétan Lafortune. C’était moins qu’en Allemagne (4,4) ou au Royaume-Uni (3,3), mais plus qu’aux Pays-Bas et en Belgique (2,4). La France se situait sensiblement au même niveau que l’Autriche ou la Suisse. »

Des négociations tendues

L’argument des syndicats qui réclament des tarifs plus élevés pour les consultations longues et complexes est difficile à entendre pour Nicolas Da Silva. « Des forfaits ont déjà été mis en place pour les revaloriser, rappelle-t-il. Le fond du problème, c’est qu’ils n’ont jamais vraiment été acceptés par des médecins qui souhaiteraient insuffler davantage de libéralisme dans leur rémunération, tout en subissant moins de contraintes. Je rappelle que 80 % de leur rémunération est solvabilisée par l’Assurance maladie. Il est donc normal que celle-ci leur demande en contrepartie un certain nombre d’engagements. »

Pour Nicolas da Silva, l’aspiration des médecins généralistes à voir leur tarif de consultation revalorisé est toutefois légitime. « Lorsque l’on regarde les rapports de force, on s’aperçoit que la politique de l’Assurance maladie ces 30 dernières années a conduit à une situation où les médecins ont des raisons d’être en colère. Leurs conditions de travail se sont dégradées du fait des tensions sur la démographie médicale, et les différences de rémunération avec les spécialistes se sont creusées, rappelle l’économiste. Beaucoup de jeunes médecins aspirent aussi à travailler moins afin de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Il faut reconnaître ces difficultés. Après, tout dépendra où le curseur sera placé. Dans un contexte où le salaire minimal a du mal à progresser, une augmentation à 50 € aurait pour conséquence de provoquer davantage de renoncements aux soins, plus de 2 millions de personnes n’ayant déjà pas de complémentaire santé en France. »

Si les négociations s’annoncent tendues, Nicolas da Silva reste toutefois optimiste sur la capacité des deux parties à trouver un accord. « D’un côté, l’Assurance maladie est bien obligée d’écouter les médecins généralistes car ils sont de moins en moins nombreux et sont donc devenus incontournables. De l’autre, ces derniers ne peuvent pas non plus ignorer que la Sécurité sociale solvabilise 80 % de leur rémunération. Les deux parties sont donc condamnées à s’entendre », estime l’économiste. Le Dr Franck Devulder aimerait partager cet optimisme. « Lors d’une déclaration récente, le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau, a indiqué qu’il faisait de ces négociations un des temps forts de sa politique, en souhaitant qu’elles aboutissent. Dont acte. Il va simplement falloir que le ministre nous explique comment, avec un objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam) annoncé à + 3,5 %, deux points inférieurs à l’inflation, nous allons pouvoir soigner plus de gens, en étant moins nombreux, et avec moins de moyens », conclut le président de la CSMF.